Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Je ne me souviens pas exactement de l’âge que j’avais quand j’ai eu ce premier déclic. Ce dont je me rappelle c’est que lors d’une récréation à l’école primaire j’ai vu un élève faire un tour de carte et là j’ai su que je deviendrais magicien. Parallèlement c’est l’artiste Jacques Courtois qui me donna le déclic de la ventriloquie que je pratique toujours. Puis plus tard ce fut Kassagi pour l’art du pickpocket. Discipline que maintenant je pratique beaucoup moins, faute de spectateurs possesseurs de cravate, de bretelles, de portefeuilles même (à moins de « baronner » ce qui m’arrive parfois mais là…chut !).
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
A 12 ans j’ai produit mon premier spectacle sur scène devant un vrai public en reproduisant les tours proposés par le journal Mickey et ceux, copiés, des rares magiciens de la région. Je me souviens notamment de l’effet de « l’eau dans le journal » que je présentais, sans vraiment connaitre son principe. L’ayant construit avec un sachet d’eau de javel, je ne pouvais malheureusement pas le retourner sans éclabousser la scène où je me produisais ! Ce tour est resté dans mon répertoire jusqu’à ce jour. Mais maintenant, je peux retourner mon journal, rester au sec, tout en faisant apparaître une colombe. A cette époque, apprendre des tours de magie était difficile. Pas d’Internet, aucunes vidéos, pas de professeur dans ma région et peu de livres, surtout accessibles à un jeune adolescent.
Un peu plus tard, j’ai monté mon numéro de colombes sans pratiquement aucune référence car à l’époque les secrets étaient bien gardés. Le vrai choc pour moi a été le passage à Dijon du japonais Kazuo Hatta. Etant dans les coulisses, j’ai pu profiter de sa prestation pour m’approprier plusieurs de ses idées et, comme le font beaucoup de magiciens, reproduire avec ma propre sensibilité ce que j’avais « copié ».
Maintenant : je présente toujours mon numéro de colombes, je donne des conférences en France et à l’étranger ainsi que dans différents congrès nationaux et internationaux sur la magie. Ceci surtout grâce à la publication de mes deux livres Colombes passion 1. Petit scoop. J’ai commencé à travailler sur une compilation écrite de ces ouvrages avec un support de lecture en DVD (avec bonus et super bonus).
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ?
Ce sont au départ, les livres de chez Payot avec une prédilection pour le Bobo, le Kaplan, le Jean Hugard, puis plus tard pour La prestidigitation sans appareils de Camille Gaultier. Puis la rencontre avec des magiciens de ma région, Bob Valor, Dimitri, Pierre Guedin, la venue de Jean-Yves Prost à Dijon à l’occasion de son service militaire, l’aide de Dominique Lebel dit Domi Nho plusieurs fois premier prix FISM qui m’a coaché lorsque j’ai monté mon numéro de colombes. Tous ces événements ont été pour moi des atouts formidables pour ma formation et mon devenir de magicien.
A l’inverse, un ou plusieurs événements vous ont-ils freiné ?
Après avoir été primé lors de plusieurs concours j’ai eu la possibilité de faire une grande tournée. Or à cette époque nous venions d’avoir notre deuxième enfant et d’acheter une maison. Par ailleurs je montais un commerce la même année. Alors…Soit je partais, soit je restais et devenais le meilleur de mon quartier (un sacré enjeu, j’étais le seul !). Je n’ai aucun regret, au regard de tout ce que j’ai pu ainsi faire en plus de mes activités professionnelles (profiter de ma famille, faire du sport…).
Alban William ventriloque entouré de ses poupées.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
J’ai connu toutes les conditions possibles et inimaginables. Les supers scènes de 3000 places, les pistes de grands cirques, de minuscules podiums (cabarets), sur des chariots à foin, sur quatre tables, dans des coins de scène en plein air (ma hantise pour mon numéro de colombes.) J’ai même travaillé devant des aveugles, où à chaque table il y avait un « voyant » qui leur expliquait chaque phase de mon numéro. Grand moment : j’ai eu le privilège de me produire en première partie du spectacle de Zizi Jeanmaire, une très grande dame par son talent et sa gentillesse, et qui aimait les artistes.
Alban William sur la piste de cirque avec son numéro de colombes et entouré de ses amis.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqués ?
Celles de Kazuo Hatta, Domi Nho, Kassagi, sans oublier Borra, Dominique Risbourg, Channing Pollock, Fred Kaps que j’ai eu l’occasion de rencontrer…Pierre Edernac, Jean Merlin, Mimosa, Pierre Brahma et encore beaucoup d’autres…
Quelles sont les styles de magie qui vous attirent ?
Tous les styles de magie pour autant que ce soit de la magie et non des tours de magie ! Que ce soit travaillé, visuel, et surtout sincère. J’ai une attirance particulière pour la scène, ma formation initiale mais je me produis régulièrement en close-up. Bien que je ne sois pas fan de la magie avec des cartes, je pratique le chapelet depuis près de 50 ans, ce qui m’a permis de monter une routine de transmission de pensée avec mon fils (grand spécialiste de « la carte à la commande »).
Alban William en duo avec son fils Ludovic.
Je pratique beaucoup en close-up le mentalisme et comme j’ai évolué dans ma manière de concevoir la magie, je me sers aussi de l’électronique. Mais de telle manière qu’à aucun moment les spectateurs puissent penser que j’utilise ce moyen grâce à une présentation que j’ai beaucoup travaillée.
Quelles ont été vos influences artistiques ?
Tous les arts artistiques reconnus ou non reconnus (*), inconsciemment, m’ont influencés avec une mention spéciale pour les artistes de cirque que j’admire pour leur professionnalisme, leur sincérité artistique mais aussi humaine.
(*) La magie n’est pas reconnue actuellement comme un art par le ministère de la culture. J’espère que ceci va changer grâce au brevet d’initiation aux arts magiques mis en place à la FFAP.
Parlez-nous du BIAM.
Les arts magiques occupent une place croissante dans les activités culturelles, artistiques, éducatives et de loisirs. Ils s’adressent plus particulièrement à un public jeune (mais aussi plus âgé). En effet des ateliers de magie voient de plus en plus le jour : dans les centres sociaux, les écoles dans le cadre de leurs « semaines découvertes », les mairies lors des « vacances pour ceux qui restent » qu’elles organisent…
La FFAP, souffre d’un sérieux handicap pour se développer, augmenter son rayonnement… En effet la magie n’est pas reconnue comme un art à part entière par les pouvoirs publics, notamment par le ministère de la Culture et de la Communication ainsi que par le ministère de l’Education Nationale, comme le sont le cirque, la danse, la musique, le théâtre… Pour qu’elle puisse être reconnue par ces pouvoirs publics, il lui fallait d’abord mettre en place une formation, en vue dans un premier temps, de délivrer un brevet fédéral d’enseignement. Le but n’étant pas de former techniquement des magiciens mais de leur donner une compétence pédagogique, au moyen de cours théoriques, d’outils méthodologiques et d’applications pratiques (mises en situation).
Aussi, en 2014, j’ai proposé à la FFAP de créer une commission pour réfléchir et mettre en place un brevet d’initiation aux arts de la magie (BIAM), dans le but de former en respectant les critères spécifiés par la FFAP, les futurs enseignants aux arts de la magie. La FFAP a décidé alors de me confier la responsabilité de cette mission. Cette formation s’appuie sur des enseignements théoriques et sur des mises en situation pratiques. Elle fait suite à une évaluation (prérequis et compétences) de chaque candidat. Elle s’articule autour des axes suivants :
– La pédagogie appliquée à l’enseignement des arts de la magie
– La législation
– L’éducation artistique et l’histoire de la magie
– L’enfant et l’adolescent (phases de leur développement)
Promotion 2020 du BIAM.
Dès l’obtention de son module théorique, chaque candidat doit effectuer sa formation pratique (50 heures d’enseignement) pour valider son diplôme. Rappelons-le, nous ne formons pas des magiciens (ils doivent déjà l’être), nous formons des enseignants aux arts de la magie. La première session a eu lieu en janvier 2020 avec 18 candidats. La deuxième session qui devait avoir lieu au mois de juin 2020, annulée à cause du coronavirus, se déroulera en janvier 2021. Pour information il reste encore de la place. N’hésitez pas à me contacter à ce sujet : albanwilliam.p@gmail.com ou au 06 82 97 05 15.
Quel conseil et quel chemin conseillez-vous à un magicien débutant ?
Un seul : Ne pas devenir un clone.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je préfère utiliser mon joker afin d’éviter de passer pour un vieux C…
Quelle importance donnez-vous à la culture dans l’approche de la magie ?
Toutes les disciplines et expressions artistiques constituent un chapeau inépuisable dans lequel chaque magicien devrait puiser afin d’aider notre art dans son long chemin de la reconnaissance et de disposer de moyens pour s’améliorer.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Disons mes anciens hobbies, qui ont été essentiellement des activités sportives. J’ai pratiqué les agrès en gymnastique, la plongée sous-marine, le parachutisme. J’ai ma licence de pilote d’aviation légère, un diplôme d’état de professeur de judo-karaté-aïkido, disciplines que j’ai enseignées pendant environ une vingtaine d’années. J’étais aussi artificier spécialiste dans les feux personnalisés et j’élaborais la conception et le tir. Malheureusement par suite d’un gros problème de santé, je n’ai plus le droit de piloter et de plonger. Je continue cependant à m’entretenir physiquement afin de pouvoir encore rentrer dans mes costumes de scène et en sortir…facilement !
Pour terminer.
Avec l’âge (74 ans) je suis devenu assez bon pour reconnaitre que je n’étais pas si bon que ça.
– Interview réalisée en septembre 2020.
Note :
1 Les ouvrages Colombes passion, tome 1 (2002) et tome 2 (2012) décrivent des passes très efficaces et apportent des astuces qui peuvent s’intégrer dans n’importe quel numéro de scène : pliage et dédoublement de foulards, harnais improvisé qui peut s’appliquer à l’apparition d’un objet, fumée au pouce, fumée dans le verre… Sont également détaillés l’achat des colombes, leur nourriture, leur entretien, la cage de transport, ainsi que de nombreuses techniques (productions, apparitions, transformations, dédoublement) et astuces. L’auteur n’oublie pas le travail de l’éclairage, du maquillage, de la musique et fait partager son expérience dans les cirques. Cerise sur le gâteau, un historique sur les colombes est proposé par deux experts : Philippe Billot et Pierre Guedin.
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