Introduction
Pour faire patienter les spectateurs, deux écrans LED diffusent le parcours d’Alain Choquette, depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui. Trente-cinq ans de carrière qui défilent à l’américaine sur le modèle de son ami David Copperfield qui nous avait fait le même coup lors de sa tournée européenne en 2005. Ce moment d’autocongratulation présente l’illusionniste comme l’un des meilleurs du monde et devra assurer par la suite… ce qu’il fera haut la main !
Parcours
Alain Choquette débute sa carrière à la télévision canadienne en 1989 en devenant chroniqueur dans le talk-show Ad Lib (TVA, Canada) jusqu’en 1995. Il crée son premier spectacle de magie Première apparition en 1993 au Théâtre St-Denis de Montréal.
Alain Choquette au Théâtre St-Denis en 1993 avec Première apparition.
En 1994, Alain Choquette se lance à la conquête de l’Amérique et présente son spectacle Grand Illusions ’94 – An Evening of Magic and Wonder au Caesars Palace d’Atlantic City pour cent cinquante représentations. La même année, il est invité à participer à l’émission mythique World’s Greatest Magic, enregistrée à Las Vegas et diffusée par la chaîne américaine NBC. En 1995, il s’installe au Forum de Montréal avec Fascination, un nouveau spectacle en compagnie de vingt-deux artistes de l’École nationale de cirque. En 1996, Alain Choquette retourne aux États-Unis et devient le premier artiste francophone à obtenir une résidence sur la célèbre Strip de Las Vegas. Il s’installe pour six mois au Caesars Palace avec son spectacle Grand Illusions et obtient une reconnaissance mondiale avec son numéro original La disparition des douze, dans lequel douze spectateurs de la salle disparaissent sur une plateforme scénique. David Copperfield, lui demandera l’autorisation de présenter son illusion dans l’un de ses spectacles.
Alain Choquette en 1994 à Las Vegas.
En 1997, Alain Choquette crée un nouveau spectacle, Jeux de vilain au Cabaret du Casino de Montréal, pour ensuite partir en tournée à travers le Québec et le Canada. En 1999, l’illusionniste retourne à Las Vegas pour inaugurer le Paris, un nouveau casino-hôtel du Strip et s’y installe pour une résidence de cinq mois avec un nouveau spectacle. En 2000, Alain Choquette lance un spectacle éponyme, en français et en anglais, avec lequel il parcourt le Canada. En 2004, il propose la tournée Alain Choquette et vous… drôlement intime en tournée à travers le Québec. En 2005, il crée un nouveau spectacle, Alain Choquette et compagnie qu’il présente en résidence au Casino de Montréal et en tournée à travers le Canada. En 2009, Alain Choquette crée le spectacle Drôlement magique, qu’il présente à travers le Québec. En 2012, il arrive en France pour testé le public parisien au Théâtre du Gymnase avec un premier spectacle intitulé Alain Choquette et Vous. En 2013, il rejoint l’équipe du Comedy Magik Cho d’Arturo Brachetti. L’année d’après il décide de présenter son ancien spectacle Drôlement magique au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse qui restera à l’affiche pendant quatre saisons et plus de six cents représentations ! En 2019, l’illusionniste crée son dernier grand spectacle La mémoire du temps au Québec, puis part pour des représentations à Paris dès le mois d’octobre et jusqu’à janvier 2020.
Fin de spectacle
Alain Choquette entre sur scène, dans un décor moderne et épuré, et exécute son tour final de son dernier spectacle : la production de papillons en papier. Le spectacle est terminé et ses assistants arrivent sur scène pour nettoyer la scène et charger le matériel restant dans des flycases. La scène est plongée dans le noir et une lumière de chantier s’allume et projette l’ombre de l’illusionniste, sur un grand écran blanc, qui se confie au public sur ses débuts en magie. Un flycases s’ouvre tout seul pour révéler la première mallette de magie d’Alain Choquette.
C’est alors que l’ombre du magicien se transforme en silhouette d’enfant qui joue avec Alain et la lumière de l’ampoule, dans un va et vient de l’écran au réverbère. Le magicien et son double enfantin transposent la lumière dans une routine de D’Light entre passé et présent. Les souvenirs refont surface et le duo exécute ensemble une routine classique d’anneaux chinois entre le virtuel et le réel. L’ombre du petit Choquette disparaît laissant ce dernier seul en scène pour enchainer sur une expérience photographique et générationnelle.
Ce premier tableau n’est pas très convainquant et reprend tous les stéréotypes du magicien qui remonte le temps et se remémore de ses jeunes années où il découvre la magie sur un modèle anglo-saxon usé jusqu’à la corde. Le rendu virtuel de la projection n’est pas fluide ni esthétique. Les traits de l’enfant sont grossiers et ont du mal à interagir avec le magicien sur scène.
Les enveloppes
Cette transition permet néanmoins à Alain Choquette de rentrer dans le vif du sujet avec la participation active du public. Chaque spectateur ayant reçu une enveloppe à l’entrée de la salle est invité à l’ouvrir et découvrir quatre photos du magicien à quatre époques différentes. Le jeunes Alain adolescent avec son premier livre de magie, sa première photo professionnelle, l’artiste aujourd’hui et l’artiste vieilli.
Quatre moments d’une vie qui vont se mélanger sous les ordres de l’illusionniste qui va demander au public de faire exactement les mêmes gestes et mouvements que lui. Les quatre photos sont d’abord mélangées face en l’air, puis face en bas. Le paquet est alors déchiré en deux parties. Les bouts sont de nouveaux mélangés dessus dessous et des morceaux sont jetés en l’air, ceci plusieurs fois de suite. Un bout est gardé par les spectateurs et mis en dessous de leurs cuisses. Les opérations sont répétées encore et encore jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une moitié déchirée face en bas. Le magicien demande à tout le monde de rassembler leurs deux morceaux et les bouts correspondent parfaitement ! Le passé, le présent et le futur se sont mélangés un instant mais tout est rentré dans l’ordre au final et l’intégrité du magicien est sauve.
Magnifique adaptation et présentation du tour Before You Read Any Further…How To Find Your Other Half créé par Woody Aragon en 2011 (inspirée du Redivider de Max Maven), déjà utilisé par Penn and Teller dans leur show de Las Vegas sous le titre Love Ritual. Alain Choquette construit un grand moment de communion avec la salle entière autour de sa personne et se rattrape de son introduction impersonnelle.
Les ballons
Le spectacle est définitivement lancé dans les hautes sphères du mystère et l’illusionniste ne lâchera plus le lien qui l’unit désormais à tous les spectateurs jusqu’à la fin de la représentation. Pour cela, il va sceller le sort de onze spectateurs qui vont participer activement aux prochaines expériences sur scène et dans la salle grâce à des gros ballons de plage numérotés qui vont se balader dans la salle et s’arrêter au stop du magicien sur des volontaires au hasard.
Expériences des sens et chaises musicales
Les six premiers numéros sont appelés sur scène pour prendre place sur des chaises numérotées et disposées en arc de cercle autour d’une table à « expériences sensorielles ». Un premier spectateur est invité à une expérience olfactive en choisissant une boîte fermée parmi six, suivant le forçage PATEO. L’objet que la dernière boîte renferme secrètement est deviné par le spectateur à l’odeur… Un fruit.
Un deuxième spectateur est invité à mélanger cinq liquides différents sur la table (café, lait, eau, jus de pomme) et boire une gorgée de celle qu’il veut à l’abri du regard du magicien. Ce dernier se propose de révéler la boisson bue à distance par le goût. La première révélation échoue. Le spectateur reconduit ses mélanges et boit une nouvelle gorgée d’un autre liquide. Cette fois ci, le magicien devine le bon liquide. Il demande ensuite au spectateur de boire deux liquide l’un après l’autre et les devine également.
Un troisième spectateur est invité à mélanger six cartes qui portent les numéros de 1 à 6 pour redistribuer les emplacements des volontaires. Une fois assis à leur nouvelle place, les six spectateurs retournent leurs chaises respectives et découvrent un nouveau numéro derrière. Une fois les chaises toutes retournées, la salle peut lire une série de numéro qui signifie le cycle d’une année 365 / 7 / 4 / 12 (jours de l’année / jours de la semaine / nombre de semaines dans un mois / nombre de mois dans l’année). La dernière chaine restante est retournée et son dos est marqué du prénom de l’illusionniste.
Mentalisme
Les spectateurs numéros sept et huit sont demandés sur scène et entourent le magicien qui propose une expérience de mentalisme avec un jeu de cartes. Après avoir mémorisé le jeu face en l’air, une première carte est choisie librement par un spectateur et replacée face en bas dans le jeu qui est mélangé par ses soins. Le mentaliste se propose alors d’étaler les cartes face en l’air et retire la carte choisie qui n’est plus à la même place qu’au début. L’opération est répétée et réussie avec cette fois ci trois cartes choisies et replacées dans le jeu.
Prédiction
Les personnes avec les ballons numérotés de 9 à 11 prennent place debout sur le côté de la salle. Alain Choquette demande à une personne dans la salle de choisir entre les hommes et les femmes de la salle. Une autre personne désignée choisie les plus ou les moins de 50 ans. Une troisième personne choisie entre les gens portant des lunettes ou non. Enfin, quelqu’un désigne d’« éliminer » une partie du public pour n’en garder qu’une moitié. Le spectateur avec le ballon n°11 le lance sur le public de la moitié de salle. Le n°10 et le n°9 en font de même. La personne qui a le ballon avec la croix est LE CHOIX final.
L’illusionniste rappelle toutes les étapes de ce choix totalement libre et hasardeux. Il révèle alors une prédiction d’une enveloppe, visible début le début du spectacle en avant-scène dans une vitrine, qui s’avère être la photo de la personne choisie ! Cette séquence est extrêmement puissante et la révélation finale laisse le public bouche bée tellement la construction de l’effet perd les gens dans des choix apparemment libres et sans maîtrise aucune.
Le sable
Le magicien présente deux vases à pied disposés sur deux guéridons. Le premier est rempli d’un foulard blanc et recouvert d’un autre foulard rouge. Il produit alors du néant du sable qui coule de son poing dans le deuxième vase vide qui se remplit au fur et à mesure pendant que l’illusionniste récite un très beau texte sur le temps qui passe. Quelques grains de sable sont envoyés plusieurs fois en direction de l’autre vase recouvert et au final, le foulard blanc s’est transformé en sable qui est déversé dans l’autre vase.
Prédiction 2
L’illusionniste présente au public une vidéo de lui quand il était enfant pour l’anniversaire de son père. On le voit dans sa chambre décorée d’éléments et d’accessoires magiques comme les anneaux chinois. La vidéo s’arrête sur ordre du magicien qui se propose de faire revivre cet instant important pour lui sur scène en faisant venir un enfant ayant son âge au moment de la vidéo. Une jeune fille l’assiste en jouant la magicienne. Alain Choquette lui montre un jeu de cartes avec des objets dessus et lui demande d’en choisir un au hasard face en bas. Elle tombe sur un objet en noir et blanc. Pour déterminer sa couleur, l’illusionniste lui fait choisir au hasard un bubble gum dans une quêteuse. La vidéo se met sur play et on découvre que le cadeau que le jeune Alain offre à son père est le même objet avec la bonne couleur choisie par la jeune fille. Le présent rejoue un moment clé du passé familial dans une séquence en forme de Madeleine de Proust et de son « temps retrouvé ».
Prédiction 3
Un coffre suspendu descend des cintres, isolé de tout et bien visible pour l’ensemble des spectateurs. L’illusionniste demande quel est le couple avec le plus d’année de mariage et le fait monter sur scène. Ce couple d’un certain âge s’assoie sur un banc de parc public muni d’un réverbère pour planter un décor intimiste d’une première rencontre amoureuse. A l’aide d’un grand tableau noir, Alain Choquette va noter successivement toutes les réponses de la dame à ces questions sur les conditions et les circonstances de la rencontre et des habitudes du couple. Une fois, le tableau rempli, il fait descendre le coffre et en retire une lettre contenue dans un tube en plastique transparent qui est celle que le mari a écrit à sa femme avec les mêmes mots qui se correspondent.
Sur un banal tour de mentalisme réalisé par bon nombre de magiciens avec toujours la même trame semi dramatique, Alain Choquette à la grande intelligence de raconter une histoire bouleversante, d’un parcours de vie où un couple se retourne vers leur passé pour se rendre compte à quel point ils sont attachés l’un à l’autre. La réaction, ce soir-là, du mari à l’annonce de « sa lettre écrite » était d’une grande émotion et a fait pleurer la salle entière. Quel formidable tour de force a réalisé Alain Choquette qui nous a touché en plein cœur comme rarement un illusionniste sait et peut le faire !
Transposition
Après la séquence précédente, nous croyons le spectacle terminé, le niveau d’émotion étant tellement élevé que la représentation pouvait s’arrêter là. C’est mal connaître Alain Choquettequi se challenge pour un dernier tableau qui va mettre sur les fesses même les plus avertis des spectateurs. Une plateforme surélevée de tréteaux est disposée au centre de la scène par deux assistants. L’illusionniste insiste bien sur le fait que cette structure est bien isolée du sol. Pour contrôler tous les angles, il demande à quatre spectateurs de se positionner autour du plateau, devant, derrière et sur les côtés supérieurs.
Après avoir emprunté une écharpe à une spectatrice (ce qui aura son importance), Alain Choquette sort ensuite de la salle du théâtre pour rejoindre l’entrée accompagné d’un caméraman qui filme en directe son parcours. Nous voyons et nous entendons le magicien qui s’adresse à la salle et donne des instructions aux deux spectateurs sur la plateforme qui sont invités à soulever un grand rideau en velours noir et le secouer. A ce moment précis, la vidéo s’arrête brutalement et le magicien réapparait derrière le rideau sur la plateforme !
Personne n’a vu venir cette formidable transposition éclair qui est stupéfiante et clos la représentation en apothéose. Il faut dire que l’illusionniste a construit son coup comme un orfèvre avec un maximum de subtilités et de détails qui rendent possible un tel effet. Pour dissiper toute utilisation d’un double, il emprunte une écharpe avant de sortir de la salle sous prétexte qu’il fait froid dans le hall. Pour donner l’illusion de continuité par l’image, il insinue que son caméraman est novice et qu’il ne sait pas très bien se servir de la caméra vidéo ; ce qui donne lieu à des coupures inopinées et rapides de l’image qui ont leur importance. Nous avons donc l’illusion de continuité alors que le temps s’est déjà arrêté pour l’illusionniste, en coulisse, qui joue également sur cette métaphore pour habiller son tableau du mystère téléportatif qui est un vieux fantasme de l’humanité.
Conclusion
Nous avons assisté à un très grand moment de spectacle en compagnie d’Alain Choquette qui campe un illusionniste espiègle et charismatique. Construit sur une trame temporelle, toutes les expériences et les numéros se répondent entre eux et font des va et vient passionnants entre le passé, le présent et le futur sans jamais tomber dans le stéréotypé. Le but du spectacle est atteint ; se jouer de l’effet du temps en « conjuguant l’avenir au présent ».
L’illusionniste a l’intelligence de scénariser la moindre de ses actions et de choisir un répertoire magique classique et néanmoins parfaitement adapté à son propos. C’est la grande force d’Alain Choquette, utiliser un matériel et des techniques simples et les transfigurer en un moment de forte émotion et de leçon dramaturgique. Sa magie est directe et frappe juste à chaque fois en mettant au centre le spectateur qui apporte son énergie et sa synergie aux saynètes magiques. Des histoires intimes et universelles qu’il sait faire partager du début à la fin du spectacle et même au-delà de la représentation, dans toutes les mémoires que le temps façonne. Tout n’est qu’un éternel recommencement de choses communes.
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