Les femmes magiciennes furent assez rares dans l’histoire, et celles qui rivalisèrent avec les meilleurs de leurs confrères masculins par l’habileté et le talent furent encore plus rares. La plus grande est sans doute Adélaïde Herrmann. Depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1920, sur une période de plus de quatre-vingts ans, le nom de Herrmann était synonyme de grande magie sur les scènes du monde entier. D’abord Carl Herrmann, puis son plus jeune frère Alexander, puis leur neveu Léon et enfin la veuve d’Alexander, Adélaïde, tous représentèrent pour le public l’emblème de la mystification.
Adélaïde Herrmann vers 1880.
« La plus grande magicienne du monde » naquit de parents belges en 1853 à Londres sous le nom d’Adele Celine Scarcez. Encore adolescente, elle entra dans le monde du spectacle comme danseuse et en réalisant un numéro à bicyclette. Elle rencontra ensuite le grand magicien Alexander Herrmann à Egyptian Hall et devint son assistante principale, puis l’épousa en 1875 à l’âge de vingt-deux ans. En tant qu’assistante, Adélaïde Herrmann remplit divers rôles et tâches selon les exigences de son mari. Son identité fut transformée pour répondre aux besoins du spectacle et pour son premier rôle elle revêtit un costume masculin, habillée en jeune garçon sous le nom de « M. Alexander ». Elle a pour mission d’emprunter au public certains objets dont Alexander Herrmann avait besoin pour ses tours. Cette tenue masculine permettait de concentrer entièrement l’attention sur le numéro de son mari. En modifiant son identité de genre, une femme sur scène trouvait paradoxalement sa propre autonomie. Cette action souligne le sexisme oppressif des années 1870, selon lequel, pour se sentir pleinement libérée socialement, une femme devait devenir un homme. Ce n’est qu’en de rares occasions que les femmes étaient acceptées pour leur talent !
La jeune Adélaïde et son mari Alexander Herrmann.
Adélaïde en costume masculin, dans le rôle de « M. Alexander ».
Il était rare à l’époque qu’un magicien partage l’affiche avec une femme. Adélaïde jouait un rôle majeur dans les spectacles d’Alexander et exécutait à la perfection la danse du serpent. Parmi leurs numéros phares se trouvaient une magnifique suspension aérienne nommée The Slave Girl’s Dream, L’illusion de la crémation, et un tour où Adélaïde était propulsée d’un canon !
La fiancée fantôme (1894). Dissimulée sous un voile de gaz, Adélaïde devenait un fantôme. Dans cette étourdissante illusion inventée par William Ellsworth Robinson, une dame assise sur une chaise était hissée en l’air. Un coup de feu et un nuage de fumée plus tard, la chaise retombait sur la scène, la dame envolée.
Après la mort de son mari, le 17 décembre 1896 Adélaïde forma la « Grande Compagnie Herrmann » et tourna pendant trois saisons avec son neveu par alliance, Léon. Elle monta ainsi un luxueux et habile numéro de magie dans les théâtres de variétés. Quand, à cause de certains différents, ils rompirent leur association, Adélaïde se retrouva avec un entrepôt rempli d’accessoires de magie et un nom prestigieux. En 1899, elle décida de continuer seule pour devenir une des têtes d’affiche du spectacle pendant plus de trente ans. Elle joua à Paris aux Folies-Bergère, à Londres à l’Hippodrome, à Berlin au Wintergarten, et dans les principaux théâtres des Etats-Unis, pays qu’elle aimait par-dessus tout.
Adélaïde Herrmann et son neveu Léon Herrmann en 1898.
Magie hindoue. La décapitation réalisée par Adélaïde Herrmann semblerait être une de celles qu’Alexander présentait avec elle dans ses premiers spectacles, bien qu’il en ait présenté beaucoup. Dans cette illusion, l’artiste sort une femme d’un crâne, lui donne une chaise et (pour une raison inconnue) la décapite immédiatement avec un sabre. Sur un piédestal, surgi brusquement, il pose la tête, qui bouge et parle. Le magicien peut remettre la tête à sa place, la femme se relève, se penche et disparaît.
Les talents de danseuse d’Adélaïde faisaient d’elle une magicienne idéale. Elle présentait des tours de manipulation compliqués avec des boules de billard ainsi que de superbes et spectaculaires illusions. Un critique loua ainsi sa longue carrière : « Madame Herrmann s’est produite pendant 20 ans. C’était une actrice qui, outre des talents de magicienne, avait un charme fou. »
Manipulation de boules en 1899.
Adélaïde Herrmann a été l’une des seules magiciennes à effectuer le tour de la cible vivante où elle devait rattraper des balles au vol, un tour reprit de son mari Alexander et tristement popularisé par Chung Lin Soo. Elle se tenait devant un peloton d’exécution et capturait, dans sa bouche, six balles tirées sur elle par des miliciens locaux.
« Je ne souhaite pas me démarquer par le seul fait que je suis aujourd’hui l’unique femme prestidigitateur à donner des spectacles. Je ne serai satisfaite que lorsque le public m’aura reconnue comme l’un des chefs de file de ma profession, tout à fait indépendamment de mon sexe. » Adélaïde Hermmann.
Célèbre pour ses décors et ses costumes très élaborés, elle changeait périodiquement le thème de son spectacle. Fin 1910 elle apparut au théâtre Victoria de Hammerstein à New York en Cagliostro, le maître des mystères, dans un somptueux décor de palais magique. Adélaïde Herrmann était coiffée d’une perruque blanche et vêtue d’un pantalon noir. Six ans plus tard (à l’âge de soixante-quatre ans) elle parut en Cléopâtre dans un décor égyptien tout aussi soigné.
En 1918 elle ouvrit un « Palais des Mystères » dans le Luna Park de Coney-lsland à New York. Elle entreprit régulièrement des tournées dans les principaux théâtres de variétés jusqu’à l’âge de soixante-quinze ans.
Adélaïde Herrmann prit sa retraite en 1928 après que tout son spectacle ait été détruit dans l’incendie d’un entrepôt ! Elle mourut à soixante-dix-neuf ans dans la suite d’un hôtel de New York, le 19 février 1932, auréolée par presque un demi-siècle de gloire dans le monde du spectacle. Pour tous les publics du monde elle avait été la reine de la magie.
Programme de Madame Hermann aux Folies Bergère. Extrait de la revue L’Illusionniste n°10, octobre 1902.
Le programme de réouverture des Folies Bergère, annonce : Madame Adélaïde Hermann dans sa création Une Nuit au Japon, scène d’illusion. Au lever du rideau nous voyons deux légers guéridons et une assez grande table, toute simple et sans tapis. Des lanternes japonaises pendues au cintre nous donnent à penser que nous sommes au Japon, et comme elles sont éclairées, nous en déduisons que c’est la nuit ; voilà pour le titre. Une Japonaise et un nègre sont en scène. La magicienne ne fait son entrée qu’au bout d’un instant, elle s’avance manœuvrant gracieusement le traditionnel éventail qui lui servira à masquer les empalmages, à l’instar d’une baguette magique ordinaire. La séance commence par l’apparition d’un petit foulard rose qui est ensuite escamoté et retrouvé sous une assiette (l’assiette au foulard). Ce foulard rose étant retiré en tampon, Madame Hermann en fait sortir un second foulard bleu (celui-ci était simplement caché dans le rose pris sous l’assiette). Elle l’étale sur sa poitrine pour faire avec le rose le tour du nœud impossible. En allant déposer le foulard rose sur le guéridon, elle prend, de la main gauche qui tient le bleu, deux œufs sur la servante. Ces deux œufs sont ensuite produits du foulard bleu. On apporte en scène la casserole. Les œufs sont cassés dedans, de l’alcool y est versé et enflammé, le couvercle est mis, puis retiré, enfin deux tourterelles s’en échappent. Sortie après ce tour.
Rentrant en scène, la magicienne dissimule, grâce à l’éventail, une boule de billard à l’empalmage. Nous assistons au tour des boules Excelsior. Une très jolie passe que nous n’avons pas indiquée dans ce journal, lors de l’explication de ce numéro, est exécutée à la fin ; elle consiste à faire passer une boule d’une main dans l’autre, en montrant tantôt une boule dans chaque main, tantôt les deux réunies dans la même. Pour faire cette variation on se sert de deux boules et d’une coquille. On a à droite une boule ordinaire et à gauche la boule recouverte de la coquille. Vous découvrez la boule recouverte, de sorte qu’on voit deux billes en même temps que vous faites passer à l’empalmage la boule seule, et vice-versa pour continuer indéfiniment. C’est au moyen de la coquille que la disparition des premières boules a lieu, la dernière est simplement déposée sur la servante en venant prendre l’éventail qui est ensuite agité sous la main dans laquelle la boule a sensément été déposée.
Après cela c’est Le dîner du diable. Les accessoires sortis des six tubes sont étalés pour dresser un couvert de six personnes sur la table dont j’ai parlé. Il y a aussi une distribution de cosaques de même provenance. — N’allez pas croire, je vous prie, qu’on distribue à ces dames du promenoir, des soldats de notre ami et allié Nicolas II. Ce que j’appelle ainsi, ce sont des papillotes de chocolat. Enfin le programme est terminé par l’apparition des drapeaux rappelant très exactement le même tour exécuté par Mellot-Hermann. Ce sont des petits drapeaux de papier qui sont produits par paquets successifs de taille de plus en plus grande, jusqu’à ce que viennent, pour finir, les deux grands étendards français et américain montés sur hampe à ressort. Conclusion : Pour sa façon de faire les boules de billard, Madame Hermann a mérité nos sincères applaudissements.
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