Ce festival annuel, inauguré pour la première fois en 1992 (de juin à octobre, puis d’avril à novembre), tend à faire découvrir au grand public des créations contemporaines, de nouveaux tracés de jardins, des associations végétales audacieuses. Tous les ans, les œuvres de l’année précédente sont démontées et un thème nouveau est imposé à une trentaine de paysagistes et concepteurs internationaux sélectionnés sur concours1. Chacun rivalise d’imagination et d’innovation dans l’aménagement de la parcelle de terre, d’environ 250m2 qui lui est attribuée2.
C’est un voyage incroyable dans le monde végétal et la biodiversité, totalement inédit, esthétisant, éphémère et expérimental où la création dans l’art des jardins et des paysages peut s’exprimer en toute liberté. Ni parc paysager, ni jardin botanique, ce festival unique au monde transporte les visiteurs, toutes générations confondues dans un laboratoire à ciel ouvert de la création contemporaine à la limite du Land art.
Le Domaine de Chaumont-sur-Loire3
Le festival prend place dans le vaste domaine de 32 hectares de Chaumont qui est au cœur des paysages culturels du Val de Loire, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO (depuis 2000). Il regroupe également deux autres entités : un centre d’arts contemporain et de nature4 et un château de type Médiéval-Renaissance5.
Le biomimétisme au jardin
Vingt-quatre équipes pluridisciplinaires ont été retenues6, plus des « cartes vertes » données à des invités spéciaux du Domaine pour une trentaine d’installations autour de la thématique du biomimétisme : la nature, source infinie d’inspiration à remettre au cœur de la réalisation des projets humains. Le biomimétisme s’inspire de la nature pour innover durablement. Nous pouvons nous inspirer des formes de la nature, des procédés, des stratégies, de l’efficience ou des écosystèmes du vivant. La nature est une bibliothèque extraordinaire ainsi qu’une source de connaissances et de recherches. Nombre de prouesses humaines ont été inspirées par les prodiges de la nature qui offrent des solutions, des applications tout à fait extraordinaires. Avec le biomimétisme, l’idée est de voir comment l’univers du jardin peut utiliser, mettre en valeur, faire comprendre l’importance de cette observation et de cette démarche bio-inspirée. C’est ainsi que les jardins de cette trentième édition se sont inspirés du monde des abeilles, des araignées, des caméléons, des oiseaux, des zèbres, mais aussi des cactus, des lierres, des racines, des lotus… Ils nous parlent de symbiose, d’osmose, de métamorphose, d’interconnexion, d’entraide et de construction collective.
Le mimétisme est une des composantes de l’illusion et tout particulièrement du trompe-l’œil. Les éléments bio-organiques et végétaux qui emploient cette stratégie le font dans un but de survie en se confondant à autre chose. C’est une sorte d’imitation vitale, une transformation nécessaire pour se confondre et se fondre dans un environnement familier.
Voici une sélection (suggestive) des installations les plus surprenantes :
A rebrousse-poil. Le designer végétal Alexis Tricoire a créé ce jardin par l’assemblage de brosses industrielles aux formes géométriques simples (la sphère, le disque, la spirale, le cylindre, la ligne…) qui permet de réaliser des sortes de fleurs, de lianes, de champignons, de serpents, d’arbres et bien d’autres formes rappelant une multitude d’organismes vivants imaginaires. Il insère ensuite ces assemblages dans le célèbre et magnifique Vallon des Brumes , où se trouve le Pont Rustique, pour en faire une installation de Land art. Ce parcours d’une centaine de mètres, réparti en sept scènes et vingt-cinq créations, nous plonge dans une forêt « magique » peuplée d’étranges créatures hybrides, d’animaux, végétaux et humanoïdes où le mimétisme est confondant.
Le jardin caméléon. Conçu par un paysagiste (Loïc de Larminat) et un magicien (Matthieu Malet),cette installation circulaire créée un jeu de transformation grâce à l’utilisation de miroirs et de verres translucides dans la lignée des sculptures conceptuelles de Dan Graham. L’œil et le cerveau sont dupés par la réflexion et la transparence dans un va et vient constant. Qu’est-ce qui est devant nous ? dernière nous ? La symétrie joue un rôle centrale dans l’appréhension de cet espace végétal où les couleurs contrastées renforcent l’idée de filtration de la lumière au travers d’un prisme déformant notre perception du réel. Le corps entier est pris dans un mouvement cinétique puissant qui offre une symbiose avec le végétal.
Le petit pays des larmes. Du collectif Eva Willemsen, Ellert Haitjema,Carolien Barkman et Frits van Loon. Sur une toile figurant le tissage de l’araignée, gouttes de pluie et de rosée perlent comme des bijoux. Glissant jusqu’au sol, elles sont redistribuées à travers le jardin. Il faut s’arrêter et regarder là où il n’y a apparemment rien à voir car c’est dans le détail et la lenteur du processus que tout se passe. Une installation d’une délicatesse extrême, légère, poétique, subtile et fragile comme le fil de notre existence.
Retour aux racines. Par Giulia Pignocchi, Julien Truglas et Alan Douchet. A travers l’architecture racinaire d’un arbre centenaire et coloré en bleu, le promeneur entame un voyage poétique au cœur de la vie des sols. Une intelligence collective entre les espèces y opère, à travers la « symbiose mycorhizienne », inspirante pour nos sociétés contemporaines.
Bleu désir. Du collectif Jean Robaudi, Ken Novellas, Adèle Justin, Robin Abel Flosi et Johanna Bonella. Quand le recyclage devient séduction. Tel le « jardinier satiné », oiseau bleu australien, construisant patiemment le nid de ses amours en glanant des objets de sa propre couleur, il est possible de créer un jardin « refuge » en perspective forcée qui rappelle les accumulations d’objets du quotidien des artistes du Nouveau réalisme où les compositions monochromes en trois dimensions de Tony Cragg.
Le jardin camouflage. De l’architecte-paysagiste Dominika Gabrielle Tesarkova. Si certains animaux se fondent dans le paysage, un abri couvert de miroirs offre à son tour un refuge aux humains. Sans porte ni toit, cette grande structure accueille celui qui vient contempler le ciel.
Le jardin de la serre. Situé dans la serre du Domaine, Patrick Nadeau a conçu une pluie de tillandsias qui traverse, sur toute sa hauteur, l’enchevêtrement des plantes tropicales, réfléchissant le moindre rayon de lumière. Ces imposantes méduses volantes sont saisissantes.
Notes :
1 Le concours est ouvert aux architectes-paysagistes diplômés d’une école, d’une université ou inscrits à la FFP (Fédération Française du Paysage) ou à l’EFLA (European Fondation for Landscape Architecture). Aux professionnels de l’aménagement ou du jardin, seuls ou en équipes pluridisciplinaires (architectes, ingénieurs, designers, scénographes, jardiniers ou artistes). Aux étudiants des écoles de paysage ou d’architecture, d’horticulture, de design ou d’arts décoratifs.
2 Depuis toutes ces années, de très nombreux jardins ont été créés en son sein, prototypes des lieux verts de demain, car le festival, pépinière de talents avec des idées fraîches et une vision souvent décalée, redynamise ces œuvres d’art vivantes.
3 Dans son écrin de verdure et d’architecture dominant le fleuve, le Domaine de Chaumont-sur-Loire se trouve au coeur des paysages culturels du Val de Loire. Centre culturel de rencontre, Centre d’Arts et de Nature depuis 2008, Chaumont-sur-Loire est un lieu à part dans le domaine de l’art et des jardins. Sa triple identité – patrimoniale, artistique et jardinistique – en fait un lieu singulier, offrant au 400 000 visiteurs par an une expérience culturelle globale. Le Domaine de Chaumont-sur-Loire est un lieu atypique, sorte « d’utopie artistique », multidisciplinaire et multisensorielle, avec une programmation exigeante autour de laquelle des publics différents, de tous pays et de toutes générations, experts et non experts, se retrouvent et se croisent sans s’exclure. Laboratoire à ciel ouvert, ouvert 363 jours par an, c’est un lieu vivant en chaque saison et en perpétuelle métamorphose. L’année est ponctuée par trois événements majeurs : la Saison d’art et le Festival International des Jardins marquent le printemps et l’été, tandis que rendez-vous est donné à la photographie pour l’automne et l’hiver, avec les expositions de Chaumont-Photo-sur-Loire. Entre ces temps forts, fleurissent de multiples occasions de partager à la fois la beauté du site et des moments de créations exceptionnels.
4 Toujours liée à la nature, la Saison d’art 2021 fait intervenir, avec des créations originales, une quinzaine de nouveaux artistes qui dialoguent, comme à l’accoutumée, avec le paysage et l’architecture du Domaine de Chaumont-sur-Loire. Ce sont tout d’abord deux géants de l’art, Miquel Barceló et Paul Rebeyrolle qui sont à l’honneur. Dotés du goût de la matière brute, de l’épaisseur des choses, de la rugosité du réel et de la nature, ces artistes ont en commun une formidable énergie. Ils ressentent et expriment profondément, dans leur puissance désespérée, la douleur et le bonheur d’être et de vivre. Miquel Barceló a conçu, pour un bosquet du Parc Historique, une oeuvre originale de terre cuite et de céramique, tandis que le Château accueille près d’une trentaine de grands tableaux de paysages de Paul Rebeyrolle, immense peintre-matiériste français sous-estimé jusqu’à sa mort en 2005. Traversé par d’autres violences et d’autres souffrances. En contrepoint, les délicats fils sombres et arachnéens de Chiharu Shiota, parcourent, telles de vibrantes cellules nerveuses, l’espace de la Galerie basse du Fenil, tandis que l’Asinerie accueille la subtilité des arborescences de fil et de plumes de Carole Solvay. La délicatesse chromatique des constellations de Sheila Hicksse pose, quant à elle, dans l’Escalier d’honneur du Château, tandis que les poétiques lianes de céramique de Safia Hijos gravissent les parois des écuries. L’aventure continue aussi avec Pascal Convert, qui ajoute à la bibliothèque de verre et aux souches qu’il a déjà montré en 2020, une incroyable chambre d’enfant cristallisée et un « triptyque » d’anges, tandis que Chris Drury crée une nouvelle oeuvre originale et exceptionnelle dans la Grange aux Abeilles appelée Nuage d’épines et de lichen. Un immense nuage-champignon composé de brindilles et de lichens évoquant les racines souterraines d’une amanite.
Paul Rebeyrolle – La vache rouge (1998).
Paul Rebeyrolle – Paysage du soir (2001).
Paul Rebeyrolle – Un arbre (détail, 2000).
Pascal Convert – Les trois anges (2009). L’artiste utilise la technique des visages convexes pour créer une forte illusion où ces figures de jeunes filles internées, du début du XXe siècle, semblent nous suivre du regard et avancer vers nous malgré leurs yeux fermés.
Chris Drury – Nuage d’épines et de lichen (2021).
5 Le château de Chaumont est édifié de 1445 à 1510 par Pierre d’Amboise sur une forteresse qui avait été rasée. La façade extérieure Ouest, la plus ancienne, offre un aspect sévère avec son appareil militaire. Les deux autres façades, tout en conservant une apparence féodale, ont subi l’influence de la Renaissance. A l’intérieur du château, nous retrouvons la magnifique salle du Conseil pavée de fabuleuses majoliques (scène de chasse), céramique espagnole du XVIIe siècle, ainsi qu’une remarquable série de sept tapisseries tendues du XVIe siècle. Les appartements avec, entre autres, les deux chambres des deux rivales : Catherine de Médicis et Diane de Poitiers, celle de Côme Ruggieri (astrologue et mage florentin de la Reine). Ruggieri, qui en 1560, au Château de Chaumont, a évoqué dans un miroir d’acier le destin des Valois et l’avenir de la France. Il eu recourt à une mise en scène grandiloquente et à d’astucieux trucages pour stupéfier et convaincre Catherine de Médicis.
6 Des équipes venues d’Italie, des Pays-Bas, du Mexique, de Suède, de Grande-Bretagne, de Chine, du Japon, de la République Tchèque et de France.
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