Extraits de la revue L’Illusionniste, N°49 et N°102 de janvier 1906 et juin 1910
Née de parents industriels, en 1877, dans une petite ville de la Silésie, Zirka perdit sa mère de très bonne heure, son père, qui était un ingénieur-mécanicien d’une assez grande valeur, la fit élever à Krakovie dans un couvent de soeurs, d’où elle sortit à l’âge de 18 ans. Rien à ce moment-là ne laissait supposer qu’un jour elle serait appelée à étonner le monde. En effet, quiconque a eu la bonne fortune d’assister à ses représentations n’a pu s’empêcher de se sentir envahi aussitôt d’une admiration profonde pour son merveilleux talent, qui n’a rien de comparable avec ce que l’on a pu voir jusqu’ici dans le genre, elle en est l’absolue créatrice.
Ses scènes sont aussi captivantes qu’originales. Chacune d’elles est un chef-d’oeuvre d’impeccable adresse et de virtuosité sans pareille, et est présentée avec l’accompagnement d’une musique qui lui a été spécialement composée. L’acte des Cigarettes, surtout, suffit à lui seul à rendre rêveurs tous les manipulateurs,
même les plus célèbres que nous ayons vus ; et puis, il faut voir avec quelle grâce, quelle suprême élégance, quelle distinction, tout est présenté ; ajoutez à cela sa beauté, sa jeunesse, son entrain, sa mimique, sa comédie, l’expression de ses yeux, de sa physionomie, de toute sa personne enfin, et vous aurez là le portrait approximatif de Zirka, la reine des cigarières.
C’est les bras nus, dans une élégante robe, sortant de chez Landolf, et qui la moule à ravir, « toute seule », sans l’aide de personne, que Zirka, qui possède de toutes petites mains fines et aristocratiques, accomplit rien qu’avec ses petits doigts flûtés, mais habiles en diable, toutes ses merveilleuses scènes de « mimo-illusionnisme ». Il faut dire aussi que ses aptitudes n’ont pas eu de peine à se développer dans toute leur ampleur, puisqu’elle est depuis neuf ans la compagne du « grand maître » universellement réputé, « L’Homme Masqué » (marquis d’O…). Formée à son école, l’on peut dire que Zirka personnifie aujourd’hui, dans toute sa plus fidèle réalité, l’art véritable de la prestidigitation. Zirka, ainsi que l’Homme Masqué, son mari, sont venus de très loin, à Paris, pour prendre part à la manifestation artistique que la Chambre Syndicale des prestidigitateurs français avait organisée pour fêter le centenaire de Robert-Houdin, et à cette occasion, tous leurs collègues ont cru devoir leur marquer leur sympathie et leur admiration, en offrant à chacun d’eux une médaille commémorative. De nouveau ils sont partis reprendre le cours de leurs engagements dans les pays Scandinaves, où ils sont pris pour toute l’année 1906.
J.C
Nécrologie
Nous avions depuis quelque temps de mauvaises nouvelles de la santé de Zirka, l’universellement admirée Reine des Cigarettes, mais dans l’espoir d’un rétablissement que nous souhaitions sincèrement, nous n’avions pas cru nécessaire d’en faire part à nos lecteurs. Aujourd’hui notre devoir est autrement cruel… toute souffrance est finie pour elle désormais ! Après avoir perdu complètement la vue, Zirka s’était vue obligée d’abandonner une carrière à laquelle elle s’était attachée de toute son intelligence et de tout son coeur, et cette épreuve l’affecta de telle sorte que, malgré les soins et la sollicitude dont elle fut entourée, ses facultés allèrent s’affaiblissant de jour en jour et qu’elle dut se retirer définitivement dans une maison de santé. C’est là qu’elle vient de s’éteindre, en pleine jeunesse, — elle était née en 1877 — et nous pouvons dire aussi en pleine gloire, puisque, malgré sa retraite, tous ceux, et ils sont légion, qui ont eu la joie de la voir ont encore présents à l’esprit son élégance, sa grâce et le succès qui l’accompagnait dans les moindres de ses déplacements. C’est qu’elle réunissait, outre les dons les plus charmants de la femme, des qualités d’esprit et d’intelligence qui firent d’elle une artiste vraiment incomparable.
Il y a six ans, à l’occasion du centenaire de Robert-Houdin, Zirka, aux côtés de son mari, M. de Gago, avait illuminé de sa présence et de son sourire cette mémorable soirée. Nous ne nous doutions pas alors, lorsque nous acclamions en elle la jeune reine de la fête qui incarnait véritablement l’âme de la Magie, nous ne nous doutions pas en lui faisant ensuite nos adieux, avant son départ pour les pays du Nord, que ces adieux seraient véritablement sans retour !… La fatale destinée l’a cependant voulu ainsi et nous ne pouvons plus aujourd’hui que nous rappeler ce souvenir avec un douloureux attendrissement que partageront certainement tous les admirateurs de notre pauvre Zirka. Nos condoléances émues vont maintenant à celui qui, en elle, a perdu une compagne dévouée et une collaboratrice de tous les instants, à son mari qui fut aussi son maître dans l’art magique. Et quoique les paroles soient bien impuissantes en d’aussi terribles épreuves, nous lui souhaitons, de toute notre amitié, courage et résignation.
J. C.
Note de Didier Morax
Zirka (Agnés MARTINI, née à Ratibor (Allemagne en 1877, décédée à Nice (Alpes Maritimes le 9 juin 1910). Dans le monde de la magie, il y a des femmes qui ont marqué leur passage. Zirka, « la reine des cigarières » comme elle se nommait, en fait partie. Elle était la jeune épouse du magicien de Gago, « L’Homme masqué », qui savait manier les cartes aussi bien sur scène qu’en d’autres lieux. En parlant des artistes qui ont joué au théâtre Robert-Houdin, Méliès dira d’elle : « Son numéro présenté avec un charme, une grâce, et une dextérité sans pareilles est resté sinon inimitable, certainement difficile à reproduire avec un brio aussi stupéfiant. C’était une femme charmante et elle connut de véritables triomphes. » Avec son époux elle fut à l’affiche du gala célébrant le centenaire de la naissance de Robert-Houdin. En Allemagne, et principalement dans la région d’Hambourg des cigarettes furent vendues sous le nom de « Cigarettes Zirka » Les cigarettes étaient vendues par boites de 10 ou 20, ou par paquets de 2 cigarettes.
A la fin de sa courte vie elle souffrait de cécité, et rendit l’âme dans la maison de santé de Saint Pons à Nice. Elle fut inhumée dans la terre commune du cimetière de l’asile. Un petit monument avec une plaque commémorative fut érigé vers 1910 par une association d’Artistes Prestidigitateurs. Le magicien Clément de Lion essaya de sauvegarder le monument et la plaque, vers 1930, mais ses démarches furent vaines, car trop tardives semble t-il. Avec un peu d’humour noir je dirai que sa sépulture est partie en fumée. Zirka reste toujours vivante dans nos coeurs et c’est ce qui compte le plus.
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