Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Quand j’avais cinq ans, mon père m’a montré un tour de cartes. À partir de ce moment, je suis tombé amoureux de la magie.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
J’ai franchis le pas immédiatement après que mon père m’ait montré ce tour. Quand j’ai pu lire, j’ai demandé à mes parents de m’acheter des livres de magie. Pendant de nombreuses années, j’ai appris tout seul cette déscipline. Je vivais à la campagne, loin des villes. Je ne savais rien des marchands de trucs ou des clubs de magie.
Quand j’avais environ douze ans, un ami d’école m’a montré un catalogue magique du marchand allemand Joe Wildon. À cette époque (vers 1960), c‘était une personnalité bien connue dans la ville de Bielefeld, qui était à environ 50 km de chez moi. À partir de ce moment là, j’ai économisé tout mon argent de poche pour acheter des tours de magie.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Quand j’avais environ seize ans, mes parents m’ont envoyé dans notre famille qui vivaient en Angleterre, sur l’île de Wight, pour apprendre l’anglais. Sur le chemin, j’ai dû passer par Londres où j’ai découvert des magasins de magie et des librairies. Davenports, Harry Stanley et Tony Corinda. Je suis devenu très ami avec Tony et il m’a invité chez lui. Il m’a montré et appris sa merveilleuse magie des pièces à la Slydini.
A cette époque, je ne voulais pas devenir magicien professionnel. J’ai commencé à étudier les Beaux-Arts à l’académie de Düsseldorf avec le célèbre artiste et professeur Joseph Beuys. A partir de 1973, pendant mon temps libre, je jouais dans les rues de Düsseldorf. A cette époque, je devais être l’un des premiers allemand à faire de la magie de rue.
Un jour, Jean Pütz, un producteur de télévision, m’a repéré et m’a demandé de participer à une émission. C’était en 1975 et depuis je me produit régulièrement à la télévision allemande. En 1980, j’ai dû prendre une décision : rester dans mon métier de designer ou devenir magicien professionnel à plein temps. J’ai choisi la seconde option.
Wittus Witt et Flip Hallema en 1984 lors d’un tournage pour l’émission Die Kunst der Täuschung (Photo by Andrea Pazzi).
Wittus Witt dans le studio KuK.
De 1993 à 1998, j’ai eu ma propre émission Tele-spell with Wittus Witt où je réalisais de la magie interactive en direct, tous les quinze jours. De 1996 à 1998, j’ai aussi réalisé des tours interactifs à la radio.
Quand j’ai commencé à devenir professionnel, j’étais un grand fan d’un magicien peu connu, qui était l’un des meilleurs artistes dans le domaine commercial. Son nom était Fredo Raxon. Nous sommes devenus des amis très proches. J’ai appris beaucoup de lui. Nous sommes tous les deux des magiciens « parlants ».
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
J’ai d’abord essayé tous ces endroits que nous avons tous fait ou faisons en tant que magicien : fêtes, mariages, événements d’entreprise, salons industriels.
Et un jour, j’ai décidé de ne plus faire de la magie de close-up. Pour moi, ce n’était pas une forme d’art. Montrer des tours de magie à des gens qui mangent et boivent à une table n’est pas artistique. Pour moi, c’est une façon, bon marché, de raconter des blagues.
J’ai donc décidé de travailler dans des théâtres et que les gens viendraient à MOI pour regarder MA magie. À la fin des années 1980, j’ai créé mon premier spectacle et j’ai demandé aux théâtres de me programmer. Ce n’était pas facile car, à cette époque, les théâtres n’étaient pas sensibilisés à la magie et la magie n’était pas considérée comme un art. Après deux ans d’essais infructueux (et je veux dire DEUX ans), j’ai eu ma première pogrammation dans un (vrai) petit théâtre. Je suis à peu près sûr d’avoir été le premier magicien allemand à avoir ouvert les portes des théâtres1… (arrogant ? Oui, mais vrai). Aujourd’hui, je joue dans mon propre « théâtre » à Hambourg2, tous les vendredis soirs à 21h00.
Parlez-nous de votre magazine Magische Welt3.
Magische Welt a été fondé en 1952 par le célèbre marchand allemand W. Geissler-Werry. Après sa mort en 2000, sa veuve m’a proposé de devenir le nouveau directeur du magazine et j’ai sauté sur l’occasion.
Dès le premier numéro sous ma direction éditoriale, j’en ai changé complètement l’apparence, plus grande, plus colorée et plus professionnelle. Ensuite, j’ai décidé de diviser le magazine en deux : une partie pour les informations générales et une autre pour les tours uniquement. Beaucoup de magiciens n’aimaient pas l’idée à l’époque, mais maintenant la plupart d’entre eux sont très heureux que tous les tours de magie soient réunis et peuvent-être rassemblés dans un fichier séparé. Ce qui est très utile lorsque vous recherchez quelque chose en particulier. Mon objectif était de produire un magazine magique qui devait ressembler à un « vrai » magazine. Beaucoup de publications magiques ressemblent à des « magazines scolaires », si vous voyez ce que je veux dire…
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Comme je l’ai déjà dit plus haut, il y a d’abord eu Fredo Raxon en tant que magiciens. Mais plus tard, je me suis intéressé à des artistes d’autres domaines. J’aimais beaucoup Gilbert Bécaud. Quand il jouait sur scène, et je dirigeait dans le public. La façon dont il a interagi m’a beaucoup plu.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Je préfère les performances dans lesquelles je peux voir une « idée » derrière. Pour moi, c’est totalement ennuyeux de regarder quelqu’un qui montre juste un tour après l’autre. Je veux savoir pourquoi il me montre sa magie. Pourquoi est-il sur scène ?
Quelles sont vos influences artistiques ?
Joseph Beuys vient en premier. À travers mes études auprès de lui, j’ai compris que nous, les magiciens, devons être des êtres humains et nous comporter comme tels. C’est la principale raison pour laquelle je n’aime pas les animaux sur scène. Peu importe quel animal. Pour moi, faire des tours avec des animaux n’est pas humain.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Apprenez d’abord à développer votre propre personnalité. Les tours viennent en second.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je suis très heureux du développement des théâtres dédiés à la magie. En Allemagne, il existe une douzaine de petits théâtres magiques très intimes. Et les gens aiment venir regarder un répertoire magique. Peu importe si vous êtes un magicien connu ou non.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Vous devriez toujours regarder toutes les autres formes d’art pour vous inspirer.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Publier des livres magiques4, nager, aimer …5
– Interview réalisée en mai 2020.
Notes :
1 Wittus Witt a travaillé au Kom(m)ödchen de Düsseldorf, au Renitenz-Theater de Stuttgart, au Kammerspiele de Aachen et au Kabarett Die Stachelschweine de Berlin.
2 La Galerie-W / Zauber und Kunst (Magie et Art) ouvre ses portes en 2012 à Hambourg. C’est la première galerie allemande dédiée à la magie et aux arts visuels. Wittus Witt y présente sa collection d’art magique, ainsi que des oeuvres plastiques d’artistes contemporains hambourgeois. En 2020, Wittus Witt a créé un prix d’art spécial proposant des récompenses de 1 500 €, 500 € et 250 € pour des œuvres qui allient magie et art. Il s’agit du « Prix Rosa Bartl ». Rosa Bartl étant l’épouse de Janos Bartl, célèbre marchand de magie à Hambourg de 1910 à 1950.
Tous les vendredis soir, la galerie se transforme en salon magique (Zauber-Salon Hamburg), où le maître des lieux, Wittus Witt présente ses nouvelles idées dans une ambiance conviviale avec amuses bouche et verre de Prosecco. Ce concept reprend l’idée des salons de magie du XIXe siècle qui étaient particulièrement populaires. L’un des magiciens les plus représentatif de cette époque était le viennois Johann Nepomuk Hofzinser (1806-1875), qui invitait dans des salons chics, un public trié sur le volet, issu de la société bourgeoise.
3 En 1952, W. Geissler, alias Werry et Theodor Wolf, alias Torry, fondent le magazine indépendant Magische Welt. Il paraît trois fois la première année puis six fois par an à partir de 1953.
La série d’excercice mental de Gert Graf von Haslingen, publiée sous le titre Q-E-D, se distingue particulièrement parce qu’elle a été imprimée sur du papier de couleur différente avec une pagination séparée. La série commence dans le deuxième numéro de la seizième année 1967 et se termine la vingt-cinquième année 1976.
Au cours des premières décennies, MW est principalement une revue spécialisée dans les tours de magie, dont la plupart sont rédigés exclusivement pour le magazine, mais la partie théorique a gagné en importance à partir des années 1970. Ces années sont particulièrement dominées par la parapsychologie, à laquelle le Dr Lutz Müller publie les premiers articles. A partir de 1974, Werry commence une lutte acharnée contre les charlatans qui prétendent avoir des pouvoirs surnaturels.
Les contributions à l’histoire ont rarement trouvé leur chemin dans le journal. Cela change lorsque Wittus Witt reprend le journal, dans lequel il avait auparavant publié des articles et une chronique. Et depuis 2000, des articles sur l’histoire de la magie sont publiés régulièrement par le Prof. Dr. Peter Rawert, Peter Schuster, Volker Huber et Richard Hatch.
À partir de 2008, le MW est imprimé entièrement en quatre couleurs avec une moyenne de 60 pages par numéro.
Depuis 2009, MW évolue encore. Le cahier technique des tours est supprimé de l’ensemble du magazine et imprimé sous forme d’encart séparé au format A5. Une nouveauté pour les abonnés.
La liste des auteurs ayant participé au MW se lit comme un « Who’s who » de la scène magique internationale : Max Maven, Jeff McBride, Otto Wessely, Werner Miller, Manfred Zöllner, Markus Zink, Denis Behr, Richard Sanders, Pit Hartling, Thomas Fraps, Andreas Michel-Andino, Bernd Schäfer, Roman Ertl, Jörg Alexander, Stephan Kirschbaum, Stefan Alexander Rautenberg, Levent, Malin Nilsson, Paul Potassy, Flip…
Aujourd’hui, le MW, avec un tirage de 2 500 exemplaires, est l’un des trois plus grands magazines magiques au monde et le deuxième plus ancien magazine magique depuis ses 60 ans.
4 Wittus Witt est l’auteur de nombreux livres et d’articles sur la magie. De 1977 à 2009, il publie, tous les trois ans, le seul annuaire professionnel des magiciens connu sous le nom de Gelbe Zauber-Seiten (Pages Jaunes Magiques). Une publication contenant environ 1 300 noms du monde entier.
Avec ses six éditions, son tout premier livre Taschenspieler-Tricks (Tours de poche, 1986) est l’un des livres de magie les plus vendu en Allemagne avec ses 30 000 exemplaires écoulés. En 1987, Wittus Witt publie Zauberkaesten, un livre-catalogue richement illustré sur sa collection de boîtes de magie historiques et destiné aux grandes expositions dans les musées de la ville de Munich et de Düsseldorf. En 2008, le livre Zaubern und Bewaubern (Magie et Enchantement) présente la scène magique allemande actuelle. En 2014, 65 Zauber-Geschichten (65 histoires magiques) est une autobiographie très personnelle où Wittus Witt va à la rencontre de ses collègues magiciens.
En 2019, Wittus Witt publie deux gros volumes sur la vie de Rosa et Janos Bartl, le célèbre marchand de magie Hambourgeois de 1910 à 1950. Sa femme Rosa Bartl avait trois autres sœurs. Leur père était Joseph Leichtmann, fondateur d’une des premières boutiques de magie à Vienne et Munich. Il donna à chacune de ses filles un magasin de magie appelé «Zauberkönig». Un à Munich, un à Berlin, un à Cologne et un à Hambourg. Ce dernier étant connu sous le nom de Janos Bartl, l’époux de Rosa.
En 2020 sort la première biographie sur Alexander Heimbürger (1819-1909), le magicien allemand le plus populaire au XIXe siècle. Il est devenu très connu, surtout aux États-Unis, où il a été le premier magicien à se produire à la Maison Blanche vers 1840. C’était un ami de Harry Houdini à la fin de sa vie. Il a été le premier à faire léviter une personne avant J.E. Robert-Houdin et sa fameuse suspension éthéréenne. Heimbürger a tenu un journal intime de 1840 à 1860 dans douze carnets. Ces carnets ont été perdus au cours des cents dernières années. Avec l’aide de Peter Mika, Wittus Witt les a retrouvé chez le Dr Günther Harsch qui s’est laissé convaincre de les rendre accessibles et de les publier un par un.
5 En 2014, Wittus Witt a lancé la première encyclopédie magique et publique en langue allemande : Zauber-Pedia.
A visiter :
– Le site de Wittus Witt
– La galerie de Wittus Witt
– Le site du magazine Magische Welt
Crédit Photos : Wittus Witt. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.