Valérie Mageux, suisse d’origine, vivant à Paris, pratique l’art des « Quick Changes » seule sur scène, allié avec de la magie. Elle parcourt le monde avec son numéro et sa conférence.
Comment avez-vous commencé ?
Toute jeune, j’avais un ami magicien qui voulait bien me montrer ses tours de Grandes Illusions mais en aucun cas me dévoiler leur « truc ». Je le suivais dans ses spectacles. Il me cachait ses secrets jusqu’au jour où il cassa une caisse juste avant un spectacle. Lui, n’étant pas du tout manuel et connaissant mes facilités de « bricoleuse », je lui ai proposé de réparer sa caisse. C’était une boîte à tiroir. Après quelques hésitations, il accepta et la réparation fût exécutée immédiatement.
Après cette expérience et surpris de constater que j’avais compris la plupart de ses tours, il accepta de m’emmener avec lui dans son Club de magie, celui de Genève, présidé par Jean Garance.
Comment vous est venu le goût de la « bricole » ?
Depuis toute petite, j’ai toujours aimé construire, réparer, inventer. Les outils furent vite ma passion. (Aujourd’hui encore, j’ai bien plus de plaisir à parcourir les rayons d’un magasin de bricolage que ceux d’une bijouterie). Je rêvais d’être ébéniste. A l’époque, il n’y avait pas de place pour les femmes dans ce métier et je me suis dirigée vers le métier d’ensemblier-tapissier décorateur (restauration et garnissage de sièges anciens, pose de sol, tenture murale etc…), ce qui n’est pas beaucoup plus féminin.
Nous n’étions que 3 filles en Suisse à pratiquer ce métier. Outre le fait que j’ai adoré ce métier, il m’a et me sert encore aujourd’hui pour la fabrication de mon matériel de magie.
Comment passe-t-on du « bleu de travail » aux paillettes ?
Outre le travail manuel, j’ai été très tôt attirée par la scène. Je fis partie d’une troupe de théâtre amateur puis fut chanteuse dans un groupe de rock. La scène commençait à me tendre les bras. Donc, lorsque je découvris la magie, j’ai tout de suite compris qu’elle réunissait théâtre, création, fabrication, ce qui n’allait plus me quitter désormais.
Comment se sont passés vos débuts de magicienne au Club de Genève ?
Pour mon introduction au Club, on me demanda de savoir réaliser quelques tours ; j’ai décidé de monter immédiatement mon premier numéro complet.
A l’époque, je ne connaissais rien des principes existants de magie et j’ai décidé de les créer pour mon propre numéro. J’ai voulu privilégier la mise en scène avec déjà des Changes de Costume. J’ai, à l’époque, surpris les magiciens présents par mes tours qui n’utilisaient ni les principes ni les accessoires existants en magie.
Par exemple, j’utilisais des balles de couleur pour les manipuler et les magiciens ne comprenaient pas ma façon de tenir les « coquilles » dans les mains et c’est là que j’ai compris l’existence de ces dites coquilles car je n’en avais évidemment pas. Mes boules n’étaient que des balles de ping-pong peintes. Également, je voulais faire éclore une fleur ; pour ce faire, j’utilisai simplement une pince à sucre (trouvée dans la cuisine de ma mère) sur laquelle j’avais collé quelques pétales et une feuille.
Tout mon matériel n’était que récupération et fabrication maison. J’arrivais en scène en peignoir de bain avec des rouleaux sur la tête. Je prenais un des rouleaux et le multipliais jusqu’à en avoir un entre chaque doigt. En fait, je faisais des « rouleaux excelsior » sans le savoir. Mon truquage par contre était beaucoup plus primitif ; il s’agissait simplement de tubes d’isolation électrique coupés, décorés et emboîtés les uns dans les autres (pas facile à manipuler mais très efficace). Un sceau en plastique décoré me servait de casque de coiffeur afin d’y faire disparaître le reste des rouleaux. J’étais persuadée d’avoir inventé un nouveau tour.
Ce n’est que plus tard, après avoir consulté les différents ouvrages de magie, que j’ai pu constater que ce que je croyais être « mes inventions » existait déjà depuis de nombreuses années mais la plupart du temps, sous des formes différentes. J’ai alors compris que l’on ne pouvait que réinventer la « roue ».
Je pense de plus en plus que le fait d’avoir conçu mon premier numéro sans ne rien connaître en magie, est pour moi providentiel. Car, aujourd’hui encore, je continue à vouloir être différente, à créer et fabriquer des effets originaux.
En tant que magicienne, par quelles étapes êtes-vous passée pour vous faire connaître sur le plan international ?
C’est en voyant le numéro de Tina Lenert que j’ai eu le déclic et décidai de me présenter dans les différents concours à venir. Dès mon premier numéro abouti, j’ai décidé de le présenter en concours à Paris où j’ai remporté un 2ème Prix de Magie Générale. Ayant toujours aimé la compétition et aux vues de ce bon et premier prix obtenu, j’ai décidé de persévérer. C’est ainsi que j’ai pu obtenir au fil des années, de nombreux prix dont les plus prestigieux sont et restent pour moi ceux de Las Vegas et de Monte-Carlo.
Suite à ces bons résultats en concours, j’imagine que ceux-ci vous ont rapporté de nombreux engagements ?
Bien évidement, mais parallèlement à mon numéro de scène, j’ai fait beaucoup d’animation magique pour des privés ainsi que du close up. Les galas prestigieux ne vinrent que par la suite. Depuis, j’ai eu la chance d’être engagée en Europe, en Inde, en Chine, au Japon et bien sur, aux États-Unis (conventions SAM & IBM, Greatest Magic Show à Las Vegas et au fabuleux Magic Castle).
J’imagine que votre numéro a bien évolué depuis vos débuts ?
J’ai créé 3 numéros successifs bien différents depuis mes débuts. Mon goût de la création et de la fabrication fait que je suis constamment entrain d’essayer d’améliorer et de modifier le dernier numéro. Je me suis surprise à reprendre des effets de mes premiers numéros pour agrémenter mon numéro actuel.
Une seule chose est constante à mes 3 numéros, c’est mon attrait pour les « Changes de Costume » accompagnés d’effets magiques originaux et de comédie.
Les « Changes de Costume » semblent être devenus très à la mode ?
Oui, effectivement, lorsque j’ai commencé dans cet art du « Quick Change », je n’ai trouvé aucune littérature sur ce sujet et personne ne semblait vouloir s’y intéresser, ce qui m’a poussé à persévérer dans ce domaine. J’ai vraiment eu l’impression d’avoir un monde nouveau à créer. Mon problème était que, ne sachant absolument pas coudre, je m’y suis alors attelé, j’ai acheté une machine à coudre (ce qui à étonné fortement mon entourage), et ai créé mes premiers costumes de change jusqu’à aujourd’hui où je fabrique encore mes costumes. Je n’ai jamais fait de différence entre le fait de créer et de fabriquer un « Quick Change » ou une boîte. Seuls les outils diffèrent. Il y a beaucoup plus de points communs que l’on ne peut imaginer (trompe l’œil, mécanisme pour tirage, misdirection, etc.).
Aujourd’hui, les « Quick Changes » sont effectivement très répandus, mais peu de littérature ou DVD existent sur le sujet, c’est peut-être l’art magique le moins expliqué.
Suite aux nombreuses questions posées par les magiciens lors de mes galas et également suite à l’insistance et bons conseils de Christian Fechner, j’ai décidé en 2004 de monter la première conférence sur le thème des « Quick Changes » en parlant de mon expérience, de mes techniques personnelles et des accessoires que j’utilise pour les effectuer. Cette première conférence, de plus de 2 heures, continue de rencontrer un vif succès dans le monde entier, ce qui me pousse à aller encore plus loin.
Lors de ces conférences, vendez-vous des « produits » finis ?
Mise à part mes créations de Robes de Change (2 en 1, Robe de finale et divers autres), je ne vends pas d’autres vêtements finis.
En revanche, l’intérêt de ma conférence est de donner aux magiciens la possibilité de savoir comment réaliser eux-mêmes leur propre Change sur leur propre vêtement. Le « Quick Change » étant, je le pense, le domaine le plus personnel, il serait impossible de trouver un vêtement avec mise en scène adaptée qui corresponde à tous et toutes. C’est pour cela que je préfère vendre les accessoires (que sont mes aimants et pressions) pour réaliser leur propre « Quick Change ».
Pensez-vous déjà à faire évoluer votre conférence ?
Oui bien sur. Elle est sans cesse en évolution. J’ai rajouté dernièrement mon « Change de Gants », les « Gants Caméléon » que je vends également à l’issue de ma conférence. Au fil des années, la conférence est destinée également aux « hommes » pour qui je conçois de plus en plus d’effets de change.
Travaillez-vous pour d’autres magiciens ?
Je conçois et fabrique des costumes sur mesure. J’organise des ateliers-conférences où les magiciens intéressés peuvent s’inscrire et venir parfaire leur propre costume « à changer ». Je travaille également de plus en plus pour le cinéma, les chanteurs, le théâtre, le cirque et des shows en tous genres car là aussi les « Quick Changes » sont de plus en plus demandés.
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes en magie ?
Il est difficile de répondre à cette question. Peut-être est-ce par manque de temps (famille, maternité) ou simplement le fait que les lieux où se produisaient les magiciens jusqu’à peu de temps, n’était guère propice aux femmes magiciennes (cabarets, boites de nuit, etc.…). J’ai reçu beaucoup d’interrogations de jeunes magiciennes inquiètes de travailler dans un milieu masculin et souvent « macho ». Je ne peux que les encourager à persévérer dans leur art. En ce qui me concerne, je pense que le fait d’être une femme m’a certainement aidé effectivement lors de mes premiers concours ; étant souvent la seule femme à me présenter, il était plus facile de me faire repérer, même si de temps à autre les petites phrases du style « c’est bien…pour une femme » m’ont blessée. Elles m’ont certainement motivée pour aller plus loin. De plus, j’aime à le dire, quoi de plus féminin qu’un foulard, une fleur, une casserole à colombes, qui restent quand même aujourd’hui les accessoires de base d’un magicien ! C’est plus au niveau de la création et surtout de la fabrication que j’ai eu de la peine à me faire reconnaître. Il est vrai peut-être que l’on considère plus une femme comme exécutante de son numéro que comme créatrice, pourquoi ?… peut être avons-nous plus de peine à imaginer une femme avec un fer à souder, un marteau ou une perceuse ? Et pourtant… Pour conclure, je pense et j’espère vivement que l’on verra de plus en plus de femmes en magie dans les années à venir et j’en serai la première ravie.
Au sujet de votre numéro que la plupart des magiciens ont pu voir, d’où viennent vos idées, que ce soit pour la conception ou les illusions ?
Concernant mes idées… C’est difficile de savoir exactement comment « je » fonctionne mais je sais que, pour moi, je trouve mon inspiration, à tous moments, dans la vie de tous les jours. Ma façon de travailler est de penser en premier lieu à l’effet que je désire obtenir. Durant toute la conception d’un nouveau tour, jamais je ne pense au « trucage » proprement dit, partant du principe que je trouverai toujours une solution pour y arriver. Je commence par faire des dessins sous forme de bandes dessinées ainsi que des maquettes pour les objets et caisses. Étonnement, je ne porte pas sur papier le déroulement de la « scène », mon imagination travaillant plus à partir de la maquette (plus visuel pour moi) qu’un écrit. Je peux très bien concevoir un nouveau tour en 3 jours comme en 1 année. J’ai plein de concepts dans la tête (stockés dans le neurone n° 26) qui ressortiront le jour J, pour être finalisés.
Mais, concernant votre numéro actuel, comment l’avez-vous conçu ?
Le premier effet de mon numéro, la disparition de mon imperméable dans le parapluie… Il y a une dizaine d’années, je voulais faire un premier effet, le plus flash possible, pour mon entrée en scène en faisant disparaître mon imper dans mon parapluie. Ne trouvant pas immédiatement la solution, j’ai commencé par fabriquer un éventail qui ressemblait à un parapluie tout en sachant que ce n’était pas ce que j’avais imaginé au départ. Ainsi, l’effet était concluant pour les spectateurs mais je savais que je devais persévérer pour atteindre l’effet obtenu aujourd’hui, c’est-à-dire la disparition complète de mon imper, grâce à un moyen mécanique, dans un vrai parapluie. Cela m’a quand même donc pris près de 10 ans de recherches et d’essais, mais suis très fière maintenant de « mon bébé ».
En ce qui concerne la Malle des Indes, sachant que ce numéro était prévu pour être présenté à la FISM de Lisbonne, je trouvais intéressant de présenter une caisse, qui ne peut se faire qu’à 2, de la faire seule. Une fois l’idée trouvée, la réalisation suivit. D’autre part, si l’on parle de ma « lévitation » avec disparition de mes jambes, devant mon paravent bleu, cet effet a été créé en 10 minutes et fabriqué en une semaine. Cet effet a été trouvé par hasard dans mon salon. Je fabriquais une robe pour un nouveau change devant mon miroir ; je me suis piqué le pied avec une aiguille et levant le pied en arrière, le bas de ma jambe se trouva caché par la robe. Cette nouvelle vision devant mon miroir avec ma jambe disparue sous la robe, a déclenché ce déclic. Puis, approchant ma table basse, me mettant à genoux dessus, mes jambes disparaissant, l’effet dans le miroir me semblait « magique ». Il n’y avait plus qu’à trouver le moyen de ne pas voir la table, de trouver des jambes de remplacement et … de léviter. Mais, en voyant l’effet de cette façon, le trucage me parut d’une totale évidence.
Et qu’en est-il de votre personnage de dos ?
Tout simplement, un jour, en voyant une photo de moi prise de dos avec un chapeau. Là aussi j’eus tout de suite le déclic et imaginai que cela ressemblait à un barbu.
Aussitôt, j’ai pris une paire de lunettes, la positionnais sur l’arrière de ma tête, un chapeau, une veste mise à l’envers et mon personnage était né. Ensuite lui ai rajouté un cigare, l’ai fait fumer et ai trouvé les différents tours de magie à lui faire faire tout en sachant que je devrais les réaliser de dos et que bon nombre de répétitions seraient nécessaires pour rendre le barbu crédible.
Quels sont les styles de Magie qui vous attirent ?
Styles ? L’art magique en général même si je me sens plus proche de la scène que du close-up que j’ai pratiqué et pratique encore. Pour moi, l’essentiel réside dans l’originalité et la différence… J’aime autant les principes des Grandes Illusions que ceux de la Manipulation tout en étant évidemment attirée plus particulièrement par les Changes de Costume que je considère comme des Illusions à part entière.
Interview extraite du Genii magazine de novembre 2007. Avec l’aimable autorisation de Gilles et Valérie Mageux. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Gilles et Valérie Mageux. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.