LA JOIE DE LA MAISON
Par-ci par-là
« La père » Valentin, comme on l’appelait familièrement vient de mourir à Lyon, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. « Le père » Valentin était une célébrité : il était le doyen des forains de France, presque l’inventeur de la ventriloquie, et en tous cas. l’inventeur de Fourjou, la poupée parlante qui eut l’honneur d’être admise aux Tuileries pour amuser les enfants du roi Louis-Philippe. Ce fut même la grande joie de Valentin, et aussi sa fierté, de raconter la séance de ventriloquie par laquelle il avait été mis en relations avec des spectateurs d’un aussi haut rang : il montrait avec orgueil une montre que lui avait donnée le roi ; et comme le ventriloque ne perdait jamais ses droits, il faisait croire qu’elle sonnait les heures, les jours et les mois — l’illusion était parfaite et les plus prévenus se laissaient prendre à cette bonne plaisanterie de Valentin.
Avec sa belle stature, sa superbe barbe blanche et sa tête inspirée, Valentin faisait l’effet d’une évocation : on se le figurait la tête ceinte de gui sacré, sa longue barbe blanche qui se continuait sur sa poitrine semblait se perdre sur une tunique blanche ; on aurait dit un druide, qui allait prononcer des incantations. Il n’engendrait pas précisément la mélancolie, et le « druide » racontait avec une sérénité imperturbable les aventures les plus drolatiques de sa carrière de forain.
Carrière toute de travail que celle de ces industriels de la « haute banque », comme on les désigne couramment par opposition aux « banquistes », qui sont les forains d’ordre moins relevé et ayant moins bien réussi. Cette vie des grands forains dans des roulottes qui sont aussi confortables que nos appartements, à cela près qu’elles sont oblongues, et jamais carrées, est vraiment curieuse. On y cultive les moeurs familiales et patriarcales peut-être mieux que dans certains mondes, car le forain vit à part : si c’est un gymnasiarque ou un dompteur, il faut qu’il soit sobre et chaste ; car les inattentions se paient cher dans ce métier ; si c’est un prestidigitateur ou un ventriloque, il faut qu’il renouvelle souvent ses exercices, qu’il s’exerce pour le spectacle de la journée et du soir.
« Le Père » Valentin, lui aussi, avait connu les moments pénibles du début, et il aimait les rappeler.
Un huissier avait voulu saisir « Fourjou », sa poupée ; Valentin avait eu toutes les peines du monde à faire comprendre à cet homme de loi que c’était là un gagne-pain : l’huissier était insensible ; Valentin apprend par hasard un détail da la vie intime de l’huissier ; une voix sortie on ne sait d’où raconte l’histoire ; l’huissier, terrifié, accorde tous les délais réclamés et la saisie n’a pas lieu : la ventriloquie avait terrassé la Loi.
Le doyen de la haute banque s’en va, après une existence « heureuse : il aura diverti ses contemporains et fait sa fortune. Il est allé rejoindre son ami, le « père » Loramus, le doyen des prestidigitateurs français, l’oncle de Pietro Gallici, prestidigitateur lui-même. -C’est une vraie famille que celle des grands forains, aujourd’hui représentée par Bidel, le dompteur et propriétaire de l’importante ménagerie que l’on connaît ; par les Rancy, tous écuyers et propriétaires d’un beau
cirque, par les Crasse, propriétaires d’un musée de cire ; par Gougou, le clown, qui s’appelle Loyal, un nom célèbre dans le monde forain, un nom auquel n’ont jamais failli ceux qui le portent.
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