Ainsi qu’on le verra plus loin, Arnould, dans ses Souvenirs, cite Valentin, l’homme à la poupée. Cet artiste, bien oublié aujourd’hui, eut son heure de célébrité. Comme son portrait figure dans notre collection, nous le plaçons sous les yeux de nos lecteurs.
Valentin était un grand et bel homme à la tête pleine de caractère. Son talent principal était la ventriloquie et, dans ce genre, il excellait plus particulièrement à imiter la voix d’une petite fille. Au naturel, la sienne était forte et grave. Le contraste entre les deux augmentait considérablement l’effet. C’est lui, croyons-nous, qui, le premier, eut l’idée de tenir une poupée dans ses bras pour donner davantage de vie et d’illusion à ses dialogues. Exemple immédiatement suivi, du reste, par son plus direct concurrent, Carolin. Carolin qui opéra longtemps au café des Aveugles, au Palais-Royal. Et, plus tard, par Bouchotty, un autre homme à la poupée que beaucoup de prestidigitateurs ont connu. On ignorait, à cette époque, les mannequins pour ventriloques qui furent par la suite introduits en France par l’anglais Léo, lequel présente, encore aujourd’hui, le même répertoire. Valentin avait réussi à se créer une clientèle de salons. Son numéro de ventriloquie devenait alors un agréable intermède venant corser une assez bonne séance de prestidigitation composée des tours en faveur à cette époque : naissance de fleurs, multiplications, nœuds aux mouchoirs et pièces volantes. C’est à ce titre qu’il mérite de prendre place dans notre galerie.
Au Théâtre des Nouveautés, vers 1878, parut le grand Herrmann précédé d’une réputation universelle depuis de bien longues années. Il était absent de France. Très connu à l’étranger, surtout en Allemagne, il revenait fort riche, puisqu’à une souscription ouverte par le Figaro, pour je ne sais plus quelle œuvre, il s’inscrivit pour 5000 francs. J’ai toujours cru à une erreur d’impression, c’était sans doute 500 francs.
Cet Herrmann était un homme d’une soixantaine d’années, très habile comme artiste, et qui fit beaucoup parler de lui à cette époque. Voici mes appareils, disait-il en montrant ses mains et ajoutant : quarante années de travail. Son programme était composé de tours d’adresse principalement. Je me souviens toutefois des anneaux qu’il lançait dans la salle pour les faire visiter, de la multiplication des pièces, etc. Son tour favori était la bague brisée et raccommodée dans un programme. Ce tour était nouveau alors, il fut adopté par Verbeck dont il fit la réputation.
Au cours de mes tournées, j’eus l’occasion de fréquenter bien des physicos oubliés aujourd’hui. Je me souviens de Valentin, l’homme à la poupée, car il était ventriloque, et avec ça audacieux. C’est lui qui, lorsqu’il présentait les boites jumelles, gardait dans sa main les objets placés dans la boite et armé de la lorgnette les décrivait ainsi avec exactitude.
Et Tatius l’innovateur de la transparomanie, qui faisait décrire par sa femme les objets à lui confiés (en parlant) et qui terminait par un chapelet d’objets posés sur un grand plateau. Objets lui appartenant et mélangés avec ceux des spectateurs et devinés cette fois sans paroles. Ce Tatius était un pêcheur enragé. En arrivant dans une ville, fût-ce la nuit, il allait d’abord reconnaitre une bonne place au bord de l’eau. Il s’occupait plus tard de sa séance.
Et l’ami Haymann qui retenait lui même, en qualité de courrier, un appartement dans un hôtel pour le grand Haymann qui arrivait juste pour donner sa
représentation au théâtre. Il est vrai que dans le jour il se transformait en camelot pour vendre sur la place quelques menus objets. Celui-là n’était jamais embarrassé et disait qu’avec du papier (des affiches) on s’en sortait toujours. Il donna quelques représentations à la salle des Capucines, puis monta un théâtre forain.
Je veux citer également Philippe, le menteur, qui racontait sérieusement (ceci se passait avant la guerre).
Que l’on avait souvent attenté à ses jours parce qu’on le confondait avec Napoléon II (il lui ressemblait effectivement). Ce Philippe, pas mauvais artiste, avait une habileté
particulière pour faire sauter la coupe d’une seule main. Le mouvement était presqu’ invisible pour un professionnel et était tellement prompt qu’on ne pouvait le saisir.
Il y avait aussi Aldo le bègue qui, malgré son défaut, était très amusant et grand mystificateur. Camille qui, très myope, présentait cependant avec adresse des tours d’équilibre et des tours de cartes. Il était tellement myope qu’un jour, dans un café, il voulait à toute force faire choisir une carte à la pompe à bière !
J’eus occasion, dans un voyage en Algérie, de fréquenter des Aïssaouas et de m’en faire des amis. C’était à Oran, d’abord, puis à Constantine, un centre important de celle confrérie musulmane. Je dois dire qu’ils ne sont nullement convaincus. Ils ne se livrent à leurs petits jeux que parce que ça rapporte. L’un d’eux est ferblantier, l’autre cordonnier, mais plusieurs fois dans l’année il est d’usage qu’ils fassent une petite collecte et ça améliore toujours le couscous. Les Aïssaouas sont d’ordinaire assez réservés sur leurs trucs, mais avec moi (un collègue) ils marchaient tout de même un peu. Chacun d’eux a un truc particulier, mais plusieurs de leurs expériences sont exécutées réellement parce que d’un ordre naturel mais peu connu.
En Tunisie, par contre, il m’a été donné de voir de véritables prestidigitateurs. Au baïram (fêtes du l’amadou) il y en avait bien, une année, une demi-douzaine à la fois. Leur répertoire se composait de nos petits tours avec appareils : boule au mouchoir, vase au son, plateau à la carte, etc. En un mot de ceux que l’on voit dans les boites de physique à l’usage des enfants. C’est de l’un de ces artistes que je tiens l’illusion du roi de trèfle dont Gago tire un bon parti.
J’arrive à Buatier de Kolta, prestidigitateur tout à fait inconnu en France alors, et qui du premier coup trouva le moyen d’émerveiller les spectateurs et surtout les professionnels. Les physicos connaissaient naturellement tous les trucs en usage, mais Buatier en apporta d’inédits et c’était un véritable événement pour nous. Buatier loua, au 11, faubourg Poissonnière, le Boléro Star, ancien café concert où Thomas Holden avait présenté ses fantoches. Ce fut alors le théâtre Buatier de Kolta. On y annonçait une représentation classique de haute prestidigitation par le prestidigitateur américain Buatier de Kolta. C’est là qu’on vit pour la première fois les foulards sous l’assiette, le foulard à la bougie, l’ardoise américaine, la main d’Ibycus, la cage éclipsée. A part la cage, tous ses trucs m’étaient inconnus. On peut dire que Buatier, la veille encore inconnu, se classa de suite le premier parmi les meilleurs de celle époque…
Par G. ARNOULD.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Collection Didier Morax. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.