D’après Henrik Ibsen. Mise en scène : Yngvild Aspeli et Paola Rizza. Actrice-marionnettiste : Yngvild Aspeli. Acteur-marionnettiste : Viktor Lukawski. Composition musique : Guro Skumsnes Moe. Fabrication marionnettes : Yngvild Aspeli, Sébastien Puech, Carole Allemand, Pascale Blaison, Delphine Cerf. Scénographie : François Gauthier-Lafaye. Lumière : Vincent Loubière. Costumes : Benjamin Moreau. Son : Simon Masson. Plateau : Alix Weugue. Dramaturgie : Pauline Thimonnier. Chorégraphie : Cécile Laloy. Coordination chorale : Pauline Schill.
La jeune artiste norvégienne a créé ses premiers spectacles en France. Elle était venue étudier l’art de la marionnette à Charleville. Mais, comme Une Maison de Poupée qui ouvre ce festival, Chambre noire (2017), Moby Dick (2020) et Dracula (2021) ont vu le jour dans son pays natal au Figureteatret sur l’île de Vestvago. Elle est directrice artistique de ce récent mais haut lieu de l’art de la marionnette. Le titre de la pièce est comme prémonitoire. Et ici, Nora jouée par Yngvild Aspeli évolue parmi des marionnettes à taille humaine en habits sombres, port et visage sinistre. Il y a là tous les personnages du drame, y compris les trois enfants du couple de Nora et Thorwald, blottis près du sapin de Noël. Les pantins semblent plantés de toute éternité – on les dirait poussiéreux – et attendent de prendre vie entre les mains expertes de leur créatrice.
« Tout a commencé par le bruit d’un oiseau qui est venu se cogner contre ma fenêtre. (…) Boom (…) C’était comme si, ce moment où les os de l’oiseau s’étaient fracassés contre le verre, quelque chose en verre à l’intérieur de moi s’était cassé aussi. » La marionnettiste se fait narratrice et nous invite à prendre nos distances avec la pièce créée en 1879 et nous révèle les mécanismes intimes de ce drame bourgeois mais visionnaire pour l’époque. Avant de revêtir la robe de Nora, des entrailles d’un petit oiseau bleu tapi dans sa main, elle en tire une minuscule réplique de Nora…
Cette jeune femme mariée, alouette aux ailes légères, tendre et insouciante que son mari Thorvald Helmer appelle de jolis noms d’oiseau, va se cogner aux murs d’une prison invisible quand elle prendra conscience de la réalité du monde qui l’entoure. Peu à peu, les austères poupées s’animent en des séquences dialoguées, tirées de la pièce. À la fois, comédienne et manipulatrice, Yngvild Aspeli prête aussi sa voix à tous les personnages qu’elle anime et virevolte, insouciante dans la maison. De temps à autres, ses enfants, visages poupins et corps de chiffon, sont pendus, muets, à ses basques…
Mais Nora a une dette qu’elle ne peut rembourser et qu’elle avait contractée en secret pour emmener son mari guérir en Italie. Plus grave, elle avait contrefait la signature de son père. Quand elle lui avoue sa faute, Thorvald la rejette comme une criminelle : « J’aurais travaillé avec joie nuit et jour pour toi, Nora… J’aurais tout supporté, privations et soucis, pour l’amour de toi. Mais il n’existe personne qui sacrifie son honneur pour l’être qu’il aime. » Nora lui répond : « C’est ce que des centaines de milliers de femmes ont fait. »
Sur ces quelques mots, les illusions qui gangrènent son mariage vont tomber et son entourage lui apparait sous un jour nouveau. Elle va vite perdre le contact avec la réalité. La narratrice se dédouble alors en une marionnette qu’elle applique bras et jambes sur son corps. Puis elle va danser avec elle une tarentelle, pour distraire et séduire son mari. De tarentelle, à tarentule, il n‘y a qu’un pas : une araignée tisse sa toile autour de l’intérieur bourgeois dont les murs au joli papier peint se transforment en une sinistre toile d’araignée. Déjà plusieurs fois apparue ici, la bestiole change progressivement de taille et devient un monstre qui avale Nora après un corps-à-corps mémorable entre l’actrice, sa marionnette et les pattes velues de l’insecte. Un comédien à l’effigie du pantin Thorvald, Viktor Lukawski, apparaît ; lui et sa marionnette tiennent un dialogue croisé avec l’actrice et sa poupée Nora. Un tissage virtuose entre les interprètes vivants et leurs doubles factices…
Dans cette confusion, tout un bestiaire envahit le plateau : ailes, becs, plumes, pattes, bouches et corps velus d’araignée. La musique de Guro Skumsnes Moe qui, comme la chorégraphe Cécile Laloy, s’est inspirée du rythme frénétique de la tarentelle, monte en puissance… Nora avait appris cette danse lors du voyage en Italie pour soigner Thorvald, la cause de ses dettes et de tout son malheur. Le travail visuel et sonore, les marionnettes, la scénographie, les costumes et les éclairages sont à la hauteur des ambitions de la créatrice norvégienne : mettre en images et en perspective le drame intime de Nora. Une Maison de Poupée, bien qu’écrite par un homme, pose la question du genre dans un monde dominé par le masculin. Sans se laisser happer par son personnage, l’artiste norvégienne fait preuve d’une absolue maitrise de son esthétique et de son propos, confirmant son talent et les infinies ressources de la marionnette. À ne pas manquer !
Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Jonas Karlsson, Kristin Aafloy, Cie Plexus Polaire. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.