Il est toujours intéressant d’observer comment les croyances africaines se sont transformées sur le continent brésilien car ces transformations nous donnent
la mesure de la plasticité du monde des symboles qui peut subir de multiples réinterprétations selon les différentes sociétés où il s’incarne. L’étude de la
religion Umbanda (1) est, à cet égard un bon exemple qui montre à quel point la mémoire collective noire peut se métamorphoser quand elle quitte l’Afrique pour
immigrer et s’implanter dans une terre nouvelle s’opposant au candomblé (2) qui persiste dans sa fidélité à l’Afrique, la religion umbandiste va représenter justement le pôle opposé à celui de l’intégration dans la société brésilienne. Formée d’éléments catholiques, spirites kardecistes, indiens noirs, cette nouvelle religion synthétise ce qu’on pourrait appeler « l’esprit brésilien ». L’apport noir y est primordial pour ne pas dire dominant mais il doit, pour intégrer cette religion nationale, être réinterprété selon un code non plus africain mais propre à la société brésilienne.
Dans cette étude nous essaierons de montrer comment les divinités africaines subissent un processus de réinterprétation venant d’Afrique, elles se métamorphosent pour s’acculturer à une réalité brésilienne. Pour cela nous analyserons l’organisation du cosmos religieux umbandiste.
Dans une étude sur la pensée magico-religieuse bantoue, Luc de Heusch signale l’existence en Afrique bantoue d’une dichotomie entre une magie blanche
et une magie noire (3). Ces deux éléments, aspects différents d’un même phénomène, sont néanmoins profondément liés. De Heusch constate que partout dans le monde bantou le sorcier s’oppose à l’anti-sorcier. C’est ainsi que le nkanga chez les Mongo le nganga chez les Luba et les Kongo sont des individus spécialisés dans des pratiques ayant pour but d’enrayer l’action nocive du sorcier malfaisant. Selon Oscar Ribas on retrouve aussi en Afrique portugaise le couple sorcier/anti-sorcier. Il existe dans la région d’Angola le kimbanda celui qui célèbre le culte des esprits (ondele) et qui s’oppose au mulôji spécialiste des maléfices (4).
Un autre ethnologue portugais F. Valente signale aussi la présence du kimbanda ; cependant il l’oppose à l’onganga, le maître de la magie noire (5). Peu importent ces variantes qui doivent être d’ordre local ; mulôji ou onganga, il s’agit dans les deux cas individus qui représentent le pôle de la magie noire en opposition à la magie blanche, celle du kimbanda. La même distinction que Luc de Heusch avait rencontrée chez les Luba, les Mongo, les Kongo se confirme ainsi pour les bantous portugais. Cependant que devient cette dichotomie magie blanche/magie noire au Brésil ?
Pour bien comprendre le sort brésilien de cet élément de la pensée magico-religieuse bantoue, il nous faut analyser l’origine du mot umbanda. Selon les spécialistes portugais ce mot dérive de la langue kimbundo et il peut prendre plusieurs significations (6). Heli Châtelain rattache ce mot à « faculté ou art de divination au moyen de médicaments naturels et surnaturels ; art de consulter les esprits des morts des génies et des dieux ; art d’induire les esprits à influencer les hommes ; force prophylactique des esprits ; objets ou fétiches qui établissent la communication entre les esprits et le monde physique » (7). Comme le signale F. Valente le mot se dédouble pour s’associer d’une part aux objets fétiches, d’autre part à celui qui possède cet art, c’est-à-dire le kimbanda (8). L’umbanda apparaît ainsi comme le savoir du kimbanda. Or au Brésil on assistera à une séparation de l’art du kimbanda de la personne de prêtre-magicien. Le kimbanda sera expulsé vers le domaine de la Quimbanda tandis qu’ une partie de son savoir, réinterprété selon les valeurs de la société brésilienne, sera incorporé à la religion umbandiste. Une curieuse inversion s’amorce : l’Umbanda devient la magie blanche en opposition à la Quimbanda magie noire. Mais comme c’est la société qui définit la noirceur ou la blancheur de sa magie nous retrouverons là les facteurs idéologiques qui permettent de déterminer ce qui appartient au domaine anti-social et ce qui n’y appartient pas. En dernière instance magie blanche et magie noire ne sont que des coupures effectuées par la pensée d’une société déterminée.
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Notes :
– (1) Nous écrirons Umbanda (U majuscule) quand il s’agit de la religion brésilienne umbanda et Quimbanda quand il agit de la dimension quimbanda du monde umbandiste.
– (2) Au sujet du candomblé voir Roger Bastide, Le Candomblé de Bahia (Paris Mouton 1958).
– (3) Luc de Heusch. Pour une approche structuraliste de la pensée magico-religieuse bantoue dans Pourquoi épouser (Paris Gallimard, 1971).
– (4) Oscar Ribas. Ilundo (Angola Museu de Angola, 1958).
– (5) Francisco Valente. Feiticeiro ou Quimbanda ? (Ultramar 10, 1970 n°39).
– (6) José Quintao. Gramatica de Kimbundo (Museu de Angola s.d).
– (7) Heli Chatelain cité par Arthur Ramos, Antropologia Brasileira (Rio de Janeiro
C.E.B. 184).
– (8) Francisco Valente, art cit.
Extrait du texte Umbanda, magie blanche. Quimbanda, magie noire de Ortiz Renato. Archives des sciences sociales des religions. N. 47/1, 1979. pp. 135-146. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.