Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Comme beaucoup de magiciens de ma génération, mes premiers contacts avec la magie ont été des spectacles à l’école primaire, sous le préau de la cours de récréation. Je n’ai aucun souvenir du nom du magicien qui venait chaque année mais me souviens de l’ambiance, de l’estrade, des lumières… et d’effets qui m’avaient marqués comme une production d’un cornet en papier journal roulé devant nous, ainsi que du résultat d’une addition qui apparaissait en brulant, avec une cigarette, une feuille de journal (on n’oserait plus programmer un effet comme celui-là devant un public d’enfants). Nous étions chanceux car, aujourd’hui, il est de plus en plus rare d’avoir des artistes engagés dans les écoles primaires.
Et bien entendu, la boite de magie ! Celle de Dominique Webb avec son cortège d’accessoires que je me plaisais à manipuler même si je ne les utilisais pas vraiment ; en effet le mode d’emploi était un petit livret dont la lecture n’était certainement pas à ma portée. Mais posséder ces accessoires me donnait l’impression de côtoyer le monde des magiciens.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Déjà très jeune, je bricolais des accessoires et comme j’avais souvent l’occasion, dans les centres de vacance, de présenter des « petits » tours lors des veillées, j’ai très tôt gouté à la scène.
Vers 13 ou 14 ans, j’étais enfin capable de comprendre les explications du fameux « mode d’emploi » de ma boite de magie et avais monté un numéro de « double vue » utilisant le principe du décalage ainsi que quelques routines de cartes basiques à partir de faux mélanges et glissages. Je finissais le numéro par un effet de catalepsie entre deux chaises.
Lors des années lycée, j’ai découvert, à la médiathèque du centre Georges Pompidou, les Dhôtel. N’ayant ni les moyens de les acheter, ni la possibilité de faire des photocopies, je passais un mercredi après midi par mois à les lire et à recopier dans un carnet ce qui me paraissait utile. Un jour j’y découvris le « secret » d’une cabine spirite (pas la cabine à la veste, mais une version à la Falkenstein) qui ne nécessitait pas de gros matériels et je n’ai eu de cesse de l’essayer. Avec un cousin nous avons monté une première version et, depuis, c’est le numéro que j’ai le plus souvent présenté avec des versions qui ont sans cesse évolué. C’est aujourd’hui encore, 35 ans après, le point d’orgue du duo avec Tim Silver (TS & TS) dans une mise en scène qui a beaucoup changé et qui doit sa trame actuelle à Lionel Martin des Kamyleon.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Je dois à Jean Denis (Nancy) d’avoir franchi le pas professionnellement parlant. C’est lui qui m’a permis d’entrer à la FFAP et qui m’a offert mes premiers contrats professionnels en m’enseignant également l’art et la manière de remplir les vignettes URSSAF et autres bonheurs administratifs !
Je n’ai pas vraiment eu de freins sinon le manque de temps pour tout faire ! J’ai fait ce que je voulais, comme je l’entendais. Ce sont à chaque fois des rencontres imprévues, des occasions sur lesquelles j’ai sauté sans réfléchir trop longtemps qui m’ont amené où j’en suis. Je n’ai jamais rien calculé et surtout pas fait de plan de carrière. J’ai profité de tous les instants pour découvrir les gens.
Tous les virages de ma « carrière » (c’est un bien grand mot) ont été provoqués par des rencontres avec, à la clé, des nouveaux chemins à explorer. Chaque fin d’aventure a provoqué le départ d’une nouvelle encore plus intéressante.
Par exemple, je n’avais jamais envisagé de faire de la mise en scène ou du coaching. Mais, suite à mes premiers comptes rendus de concours AFAP, ce sont des magiciens qui sont venus me demander de travailler avec eux. J’étais perplexe quant à leurs attentes mais j’ai accepté de tenter l’expérience avec Fabien Soudière. Ça n’a pas été facile tous les jours mais tellement passionnant ! D’autres ont vu ce que je faisais et sont venus vers moi. De fil en aiguille, persuadé qu’il y avait un réel besoin d’une structure pour permettre à des jeunes magiciens de travailler ensemble et avec des vrais « masters », j’ai accepté la proposition de Peter Din de reprendre la structure « équipe de France de magie FFAP » initiée par Jo Maldera en la mettant bien entendu à ma sauce, avec des intervenants reconnus. Je suis aujourd’hui accompagné de deux personnes essentielles au bon fonctionnement de cette équipe : Pathy Bad qui me seconde au quotidien et Martine Delville à qui j’abandonne l’organisation de toutes les manifestations à Blois.
La rencontre avec Tim Silver, il y a bientôt 6 ans, a provoqué un changement important dans mes activités. Au delà de l’amitié qui nous lie, il est dans une phase d’évolution de carrière importante qui nécessite une réactivité de tous les instants. Je ne connaissais rien à la grande illusion et j’ai découvert à quel point c’est exigeant, physiquement éprouvant, passionnant à développer. Aujourd’hui, il débute sa carrière internationale et est pour plusieurs mois au Hansa Theater, à Hambourg. Je n’imaginais pas, il y a quelques années, que j’aurai l’occasion de participer à la mise en place d’un show de grandes illusions dans un cabaret allemand ! Passer ces heures en régie lumière pour créer les ambiances et former les techniciens du lieu est une expérience unique.
Enfin, on me demande de plus en plus de présenter des spectacles. C’est un exercice difficile mais c’est aussi l’occasion de partager avec le public les petits détails qui font un grand numéro. Présenter les copains est un plaisir incroyable.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
La nuit dans mon bureau 😉
Plus sérieusement, j’ai plusieurs activités que j’essaye de mener de front et je dois à la nature de me suffire de quelques heures de sommeil. Je partage mon temps entre mon métier d’origine (prof en lycée, aujourd’hui en temps partiel), des activités de développeur (divers logiciels d’enseignement), ma vie de magicien et le travail pour les autres. Je dois reconnaître qu’aujourd’hui, mon activité sur scène est moins importante au profit d’un travail « backstage » pour les autres. C’est une évolution qui ouvre de nouvelles opportunités.
Photos : Dominique Dubarry Loison.
Ces années d’expériences en coulisse, en régie, au volant d’un camion ou à rédiger des fiches techniques et des conduites m’ont amené à concevoir une application iPad (Run The Show) qui commence à faire parler d’elle, et ça aussi, c’est un grand bonheur que je partage avec un designer et développeur hors paire : Fabien Mirault.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marquées ?
Il y en a tant ! Tous les ténors de la magie m’ont, d’une manière ou d’une autre, marqué, influencé… J’adore le spectacle d’une manière générale et j’essaie d’en voir beaucoup. J’ai également chez moi une collection de vidéos de shows de magie et d’émissions de télévision assez importante et je peux m’enthousiasmer pour un geste, une attitude, une entrée ou un effet… Par exemple, je ne me lasse pas de regarder James Dimmare et Lisa Shimada dans une vieille édition d’Attention Magie, au moment où ils ont un mouvement parfaitement synchronisé de basculement… Cela dure deux ou trois secondes mais on y voit là tout le travail, le sens du rythme, l’élégance du geste !
D’une manière plus générale, je suis toujours ébloui par l’écriture de certains numéros, l’intelligence de l’enchainement, le sens donné aux effets (Ta Na Manga, par exemple). Mais je peux prendre autant de plaisir à voir un numéro sans queue ni tête mais avec un personnage juste, drôle, attachant (vu dernièrement : Raymond Raymondson).
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Il n’y pas un style que je préfère réellement mais j’ai une prédilection pour la scène et les numéros qui ont une écriture. J’ai plus de mal avec le close-up qui est trop souvent présenté de manière assez narcissique. Mais à chaque fois que j’ai l’occasion d’aller au Double Fond, je me dis que le close-up c’est bon !
Je me méfie beaucoup des numéros de « magie comique » qui sont rarement drôles mais je me régale avec un Vadim Savenkov (primé au dernier congrès de la FFAP à Saint Étienne).
C’est plus le style du magicien que le style de sa magie qui m’intéresse ! Sa sincérité, son originalité et son travail.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Beaucoup de lectures, beaucoup d’autres spectacles que la magie (comédies musicales, cirque, théâtre, one man show…).
Malheureusement je manque de temps et j’ai peur de me scléroser à passer trop de temps à bosser ! Je remercie les amis qui me provoquent pour sortir, aller voir du nouveau… Le plus redoutable d’entre eux est Yann Frisch qui, régulièrement, me fait la liste de ce que je ne dois pas louper. J’ai vu, grâce à lui, quelques clowns remarquables (Arletti – Le 6e jour, ayant ma préférence) et quelques compagnies et pièces étranges mais qui interpellent au niveau de leur mise en scène, de leur propos (les Chiens de Navarre – Quand je pense qu’on va vieillir ensemble).
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Ne pas vouloir aller trop vite et brûler les étapes. J’ai l’impression d’être un vieux con avec ce que je vais dire maintenant mais j’ai vu trop de feux de paille et de talents gâchés par trop de précipitation.
Nous sommes aujourd’hui dans une société de l’instantané, du vite consommé, vite jeté. C’est totalement incompatible avec le développement artistique d’un individu. Mais l’entourage, les émissions de télévision, bon nombre de festivals mettent en avant des jeunes absolument pas prêts mais qui font illusion par les commentaires autour d’eux, l’habillage lumière… Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont exploités et quand on vient avec nos discours « sages » on passe pour des ringards, des jaloux…
J’ai vu des numéros de magie affligeants, exécutés (je dis bien EXÉCUTÉS) par des jeunes adorables, enthousiastes, bourrés de bonnes intentions mais persuadés par leur entourage, leurs amis, les organisateurs qu’ils sont la 8ème merveille du monde. Ils ont un site internet pro, des plaquettes sur papier glacé mais rien qui tienne la route pour vraiment bosser. Le travail est fait à l’envers et ça me déprime de voir ça.
Certains me reprochent d’avoir un jugement sévère et de dire un peu sèchement ce que je pense… c’est vrai et je crois avoir blessé quelques personnes et j’en suis réellement désolé. J’essaye de mettre plus de formes aujourd’hui mais il faut appeler un chat un chat. Un membre de l’équipe de France de magie FFAP (qui se reconnaitra) m’a un jour montré un effet en me demandant ce que je « pensais de cette lévitation ». Ma réponse a été « que ce n’est pas une lévitation ». Un peu lapidaire mais allais-je lui faire croire qu’il pouvait illusionner le public avec l’objet qui se balance au bout d’un fil ? Aujourd’hui il en rigole. Tous les membres de l’équipe de France FFAP le savent, je ne les abandonnerai pas et ferai mon possible pour leur permettre de rencontrer les bons masters (le dernier stage s’est déroulé avec James et Lylianne Hodges, Gaëtan Bloom, Hugues Protat, Yann Brieuc, Jean-Philippe Loupi, Claude Gilson… Ils ont fait un stage avec François Normag…) mais je n’aurai jamais de langue de bois avec eux et s’ils « merdent » je serai le premier à leur botter les fesses. Il faut leur dire la vérité et ne pas les illusionner. Et donc, il faut qu’ils sachent écouter et comprendre ce qu’on leur dit. Libre à eux, ensuite, d’en tenir compte ou pas, mais les choix qu’ils feront seront réfléchis.
Ça fait beaucoup pour un seul conseil, mais c’est fondamental ! Prenez votre temps !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
On voit de tout. Il y a des mouvements qui poussent les magiciens à réfléchir autrement et à considérer leur art différemment et je suis attentif aux développements de la « magie nouvelle » initiée par les membres de la compagnie 14:20 animée par Raphaël Navarro. Il a été très critiqué dans le milieu des magiciens « traditionnels » pour, à mon sens, de mauvaises raisons.
Au lieu d’aller voir, de chercher à comprendre et à s’inspirer sans pour autant imiter, trop de magiciens se sont enfermés dans leur tour d’ivoire en critiquant l’appellation. Dommage car le temps joue contre nous et les rencontres, les échanges sont tout autant d’occasions de progresser.
La magie française est belle et inventive. Il y a beaucoup d’excellents artistes originaux et créatifs. Mais il y a aussi beaucoup de clones sans imagination. S’ils font bien, c’est un moindre mal, mais trop souvent la copie gâche le plaisir de découvrir l’original. Mais j’en reviens à ce que j’ai dit précédemment.
Quand un jeune perce avec un numéro, des dizaines s’engouffrent derrière lui et font « presque pareil » ! Combien de mini Jordan Gomez, puis de mini Florian Sainvet dans la manipulation de CD ? Bravo de s’inspirer des bons, mais pas pour refaire ce qui les a fait connaître ! Vous ne pouvez vous contenter de récupérer les miettes de leur succès. Regardez leur travail, et développez vos propres idées.
Pendant un temps, on a défendu une magie qui raconte une histoire et nombre de magiciens se sont engouffrés dans ce concept. On a vu arriver des numéros impossibles à comprendre car trop « savants ». C’est seulement un chemin possible mais il y a autant de possibilité qu’il y a de magiciens. À chacun de trouver sa forme d’expression.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Sujet complexe car chacun a sa propre culture et les férus de manga ou de jeux vidéos ont autant à partager que les amateurs de musique classique ou de romans policiers ! La difficulté c’est de trouver le socle commun ou d’apporter les éléments qui permettent à chacun de comprendre ou de se faire sa propre cuisine et qu’il s’y retrouve. J’ai vu pas mal de numéros qui font référence à des éléments qui ne font pas partie de ma propre culture et j’y suis resté hermétique car je n’avais pas les clés. Une fois « éclairé » j’ai mieux compris et par conséquent apprécié. Je considère que ce n’est jamais de la faute du public si l’artiste n’est pas compris. Cela ne veut pas dire qu’il faille faire simpliste ! Mais apporter les éclairages nécessaires, ou alors assumer de jouer pour un groupe précis.
Une majorité d’ados d’aujourd’hui sont branchés sur toutes sortes de technologies de la communication mais le public qui vient voir les spectacles de magie ne l’est pas forcément ! Il peut exister un fossé d’incompréhension. A qui la faute ? Sans doute à celui qui ne fait pas l’effort d’explication.
Pour être plus prosaïque, je suis toujours étonné de constater auprès des magiciens passionnés à quel point ils ignorent beaucoup de choses qui me semblent être la base de notre art ! Ils ne connaissent pas les grands noms de la magie, ils ne retiennent pas les numéros, les mises en scène, les effets qu’ils ont vus… et ils réinventent la roue régulièrement ! Nombreux sont les mails que je reçois de magiciens pensant avoir imaginé un effet révolutionnaire et qui ignorent que le même effet a déjà été présenté dans une émission de télé il y a 2 ou 3 ans ! J’ai le sentiment que la culture magique de beaucoup s’arrête aux dernières vidéos postées sur YouTube.
C’est certainement une caricature mais quand je fais ma conférence et que je fais référence à Lance Burton, les Philippart, Aaron Crow… je suis étonné du nombre de magiciens qui n’ont jamais vu leurs numéros. Je pense qu’il serait bon que, dans les clubs, l’on consacre à chaque réunion une quinzaine de minutes à visionner quelques grands numéros. C’est ce qui se passe chaque année au Merlin Magic History Day et c’est un vrai bonheur mais ce devrait être beaucoup plus fréquent.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Actuellement, malheureusement, j’ai peu de temps à consacrer aux loisirs. J’espère pouvoir reprendre sérieusement le sport (VTT et ski alpin) mais les spectacles et des blessures m’ont tenu éloigné des pistes depuis deux ans et ça me manque beaucoup. C’est une question d’équilibre et une bonne sortie dans le froid ou la boue remet sérieusement les idées en place !
J’aime de plus en plus m’occuper de lumières de spectacle et je consacre beaucoup de mon temps à travailler ce sujet, me former, comprendre comment ça fonctionne, découvrir des créations de grands éclairagistes… C’est une dominante essentielle du spectacle trop souvent négligée.
– Interview réalisée en novembre 2013.
A visiter :
– Le site de Thierry Schanen.
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