II est une chose qu’il faut reconnaître, et dont nous devons plutôt être fiers ; c’est la vastitude, si j’ose employer ce néologisme, du répertoire magique.
Il est d’autant plus vaste, ce magique répertoire, que quantité d’artistes l’augmentent sans cesse, en y ajoutant des éléments qui ont, avec la magie, des connexités peut-être un peu relatives, mais cependant admissibles, en raison de leurs côtés mystérieux ou excentriques. Il n’y a pas de mal à cela, au contraire. L’opérateur, en même temps que son bagage artistique, augmente aussi ses chances de fortune, et le spectateur bénéficie de la variété qui résulte de ces contingences additionnelles.
Heureux donc celui qui, en dehors de ses habituelles ficelles, peut ajouter quelques cordes supplémentaires à son arc professionnel. La sagesse des nations, d’ailleurs, et sous forme de proverbes, ne nous enseigne pas autre chose. Elle nous dit, en effet : « Qu’il faut toujours avoir plusieurs cordes à son arc ». Il est vrai que cette même sagesse n’hésite pas à nous inviter, d’autre part : « A ne pas courir deux lièvres à la fois ». Voilà qui s’emmanche assez mal, et ne se concilie guère. La contradiction est flagrante. Je finirais par croire que si la logique était bannie du reste de la terre, ce n’est pas dans le coeur des proverbes qu’on la retrouverait, comme disait, avec quelque variante, notre vieux Jean Ier, dit Jean-le-Bon, si mes souvenirs historiques, hélas, lointains, sont encore empreints de quelque exactitude.
Parmi les différentes branches auxquelles se sont accrochés quantité de nos ingénieux thaumaturges, beaucoup se sont sentis attirés vers les sciences dites occultes, mais dont, entre nous, l’occultisme réside surtout dans le manque de clairvoyance des spectateurs. Et c’est fort heureux ; il faut qu’il en soit ainsi. Cela nous conduit même à faire cette amusante constatation : c’est que, lorsqu’on met un bandeau sur les yeux d’un « sujet », c’est précisément le public qui n’y voit plus clair. Ce bandeau a même un prestige qu’on ne semble pas assez connaître. Bien qu’il ne soit pas dans mes attributions de faire ici un cours de magie, je me permettrai un conseil en passant. Prenez, parmi vos tours, surtout de cartes, celui qui vous est le plus familier. Faites-vous bander les yeux pour l’exécuter. Vous n’y verrez pas moins clair pour cela, et vous augmenterez considérablement l’effet du tour. N’abusez pas cependant de ce moyen, ne vous avisez pas de donner toute une séance avec une serviette en guise d’auréole ; ce serait excessif. Et puis ce serait trop longtemps priver les spectateurs d’une partie de vos avantages physiques.
D’autre part, nous savons tous le rôle que joue le bandeau dans les expériences dites : de « transmission de pensée » ou de « télépathie ». Parmi ceux qui exploitent ces mystérieuses branches, il en est qui sont arrivés à une enviable maîtrise. J’ai, pour mon compte, assez longtemps pratiqué ce genre, pour qu’il me soit permis d’en parler. Eh bien, je n’hésite pas à reconnaître que j’ai été très vivement intéressé par l’extension donnée à ces mystériosités par les Talazac et les Door Leblanc. J’avoue n’avoir jamais vu jouer de la double vue avec autant d’habileté. Sans porter atteinte au talent des différentes « voyantes », exhibées en divers music-halls, ceux que je viens de citer m’ont paru détenir le record de la subtilité, dans ce genre spécial.
Le truc des numéros des bons de l’Exposition, imaginé par Talazac et exécuté par lui et sa « voyante », en 1900, au Vieux-Paris, fut un trait de génie, en même temps qu’une source d’importants bénéfices. Je n’oublierai jamais le mot profondément philosophique de Talazac qui, après une séance et en prenant un bock, me dit, en me parlant de ses clients : « Je gagne de l’argent, c’est vrai, mais c’est triste tout de même de voir qu’il y a tant d’imbéciles sur terre. » — Mais chut ! Ceci est entre nous, heureusement Je trouve, d’ailleurs, le jugement sévère. On n’est pas un imbécile, parce qu’on s’intéresse à une performance, en vérité, très curieuse et, résultant d’un travail, d’une étude et d’une entente très méritoires. On est seulement un peu…, mettons « naïf», de croire que tout cela résulte d’une science ou d’un pouvoir surnaturel, qu’aucun de nous ne possède et ne possédera jamais.
Tel ne semble pas être tout à fait l’avis du docteur Ox, signataire d’un article paru le 2 août dernier, dans le Matin, sous le titre de « Télépathie ». Cet article démontre une fois de plus, que dans ces sortes de questions, les médecins et les savants sont, ainsi que je l’ai déjà constaté et exposé ailleurs, les plus faciles à « mettre dedans ».
Le docteur Ox, après l’exposé de quelques théories scientifiques sur la possibilité de certains mystères, et, sans être toutefois absolument affirmatif, nous donne comme exemple, une séance dont il a lu les détails dans la Revue Psychologique, de M. Binet.
Deux « télépathes » sont en présence : un transmetteur et un sujet récepteur ; ce dernier, une dame, qu’on nous dit être âgée de 45 ans, a les yeux couverts d’un bandeau, naturellement. Il s’agissait d’abord de faire « télépather » un mot pris au hasard dans un livre. M, Binet choisit le mot « limace », que le sujet récepteur traduisit par « limande », fâcheuse erreur que le transmetteur parvint cependant à faire rectifier. Cet exemple nous suffît. Nous sommes fixés, n’est-ce pas, sur ce genre de télépathie et je crois inutile de relater les deux ou trois expériences de même acabit qui suivirent.
Et voila, il n’en faut pas davantage pour émouvoir les savants et leur faire écrire un article « scientifique ». Et M. Binet, avec qui j’ai eu jadis d’agréables relations et de qui je garde le meilleur souvenir, a vu là-dedans une admirable étude psychologique. C’est-à-dire qu’il a vu ce qui n’existait pas, et n’a pas vu ce qui existait. Je le lui ferai voir quand il voudra, mais franchement, je ne me crois pas le droit, même ici, où nous sommes cependant entre nous, de faire ce genre de divulgation, parce que tout secret que soit ce journal, il peut être lu par quelques profanes. Il me semble préférable de ne pas enlever à ces derniers, les illusions qu’ils peuvent encore avoir.
Conclusion : Continuez donc, mes frères, sans vous épater, à télépather dans les meilleures conditions. Grâce à vos talents, vous trouverez toujours un public pour vous admirer et des savants pour expliquer vos mystères, auxquels ils ne comprennent rien. Heureusement.
E. RAYNALY.
A lire :
– Les révélations d’un magnétiseur.
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