Cher Jean, je me suis enfin décidé à écrire les lignes suivantes, un mois après votre disparition, persuadé que vous êtes toujours parmi nous et n’acceptant pas l’idée de votre absence. Les nombreux témoignages qui ont fleuri depuis attestent l’importance que vous aviez auprès de vos confrères magiciens, comme « dernier grand maître des cabarets », dont certains vous doivent beaucoup. Au-delà de votre remarquable carrière d’illusionniste, très bien résumée par Gilles Mageux, d’autres ont loué votre personne, vos valeurs et votre sens de l’amitié.
Vous étiez un bon vivant, entier et sincère, ne faisant pas dans la demi-mesure. L’eau tiède très peu pour vous ! Soit vous adoriez, soit vous détestiez. Votre avis était tranché et tranchant avec une sacrée science de la formule ! C’était exactement pareil avec les gens. Heureux ceux qui étaient adoubés et qui avaient toute votre loyauté et votre respect ; en revanche malheur à ceux qui perdaient votre confiance ou vous trahissaient car il n’y avait pas de rédemption possible.
Chacun d’entre nous a « son Jean Merlin à lui », ses souvenirs, ses expériences, ses moments de partage et ses engueulades ! Je veux à mon tour vous dire à quel point vous avez marqué mon parcours de vie et ma vision de l’art magique. Paradoxalement, ce n’est pas à cause de vos tours, de vos créations ou de votre personnage mais plutôt de par votre parcours artistique, votre culture, vos passions et votre caractère.
Ma première rencontre avec vous s’est faite lors d’un stage CIPI à Selommes en 2000 qui sera l’occasion de me familiariser avec votre style et votre répertoire. Des années passeront ensuite lors de nos retrouvailles, en 2009 chez vous à Noisy-le-Sec, quand vous avez invité toute l’équipe d’ArteFake pour la remercier du travail rédactionnel original qu’elle réalisait. Vous deviendrez alors notre plus grand admirateur n’hésitant pas à nous faire de la publicité « gratuitement », ce qui chez vous était très rare.
C’est là que j’ai découvert votre passion pour l’histoire de la magie avec la première journée des Magic History Day que vous aviez organisé sur la Péniche Métamorphosis de Jan Madd. Un intérêt si souvent négligé dans notre domaine, que je partageais moi-même à travers des articles historiques. Vous avez tout de suite été un modèle à suivre, un moteur qui allait entraîner dans son sillage dix éditions. En 2012, après quatre journées organisées, vous avez confié les clés à l’association Le Collectoire, dont je faisais partie, pour programmer les prochaines éditions (de la cinquième à la huitième). En 2016 vous avez voulu reprendre la main et m’avez demandé de coorganiser la journée avec vous sur le thème de la « Street Magic », ce que j’ai accepté de suite. Vous m’avez fait confiance pour préparer avec vous cette avant dernière journée jusqu’au bouquet final avec la dixième édition en votre honneur. Un moment que personne n’oubliera.
Votre grande culture générale et artistique était toujours une source d’inspirations et de découvertes. Vous étiez incollable sur la gastronomie, la chanson française, la musique (dont le jazz période be-bop), les comédies musicales, les humoristes, les livres Pop-up et bien d’autres choses… Au fil de notre travail en commun, et de nos réunions téléphoniques, nos conversations et nos points de vue étaient très souvent concentrés sur les arts plastiques, le cinéma et l’histoire. Je me suis tout de suite reconnu en vous de par nos parcours et nos passions communes au-delà de l’illusionnisme. Vous étiez comme un alter ego, de trente-trois ans de plus (comme le Christ, auriez-vous dit, un signe ?).
Nous avons tout deux réalisé des études d’art, sensibles à l’esthétique et aux travaux plastiques des grands maîtres. Nous échangions aussi très souvent sur le cinéma. Votre film de chevet était Garde à vue, dont le jeu d’acteur entre Michel Serrault et Lino Ventura vous rendait admiratif. Dans le même genre vous adoriez Le Limier de Mankiewicz. Chose rare, nous étions tous les deux des fans de cinéma fantastique et plus particulièrement du giallo italien avec leurs auteurs cultes Mario Bava et Dario Argento. Un plaisir coupable et déviant que nous gardions pour nous en échangeant nos impressions et quelques DVD.
C’est grâce à vos conseils que je me suis décidé à visiter trois fois Las Vegas, dont vous connaissiez chaque recoin, chaque spectacle pour y être allé depuis plus de vingt-cinq ans, parfois plusieurs fois dans l’année, revoyant les mêmes spectacles que vous décortiquiez jusqu’à la moelle. Vous étiez un spécialiste et les deux livres que vous avez écrit et édité sont des références en la matière qui ont, à n’en pas douté, donné envie à beaucoup de magiciens d’aller découvrir ces formidables spectacles outre-Atlantique.
Votre sens et science du rangement me rendait admiratif, moi qui suis aussi maniaque et organisé. Tout chez vous était à sa place, de votre cuisine à votre sous-sol, et optimisé dans des meubles IKEA (une enseigne que je connais très bien) que vous n’hésitiez pas à modifier ou améliorer selon vos besoins.
Enfin, né le même mois, et du signe du taureau, nous partagions la même entièreté des choses, donnant à ceux qu’on aime notre amitié et notre générosité inconditionnelle. C’est ce trait de caractère que j’appréciais le plus chez vous, votre fidélité et votre loyauté. Sachez que vous êtes devenu, sur le tard, mon deuxième père en magie. Je finirai par ces mots : « Bien à vous et mille mercis ! »
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