Extrait de la revue L’illusionniste n°140 (août 1913)
A voir l’assurance pleine de désinvolture et de confiance en soi, avec laquelle Steens affronte son auditoire et sait tenir tête aux plus acharnés enchaîneurs, on ne croirait jamais que cet artiste, faisant preuve de tant d’autorité à la scène, est, à la ville, un timide. Il a fallu le supplier longuement pour qu’il consente à nous donner son portrait pour la première page de la revue L’Illusionniste. Il compte cependant, parmi nos plus anciens abonnés, et nos chroniques ont eu maintes et maintes occasions d’enregistrer ses nombreux déplacements qui sont toujours autant de succès. Cette modestie, parure du réel talent, sera donc, aujourd’hui, quelque peu mise à l’épreuve car, en biographe consciencieux, nous devons, si flatteuse soit-elle, révéler à nos lecteurs présents et futurs la vérité, toute la vérité.
La déesse sans voiles nous montrera donc le jeune Steens quittant à 15 ans, l’atelier de moulage en bronze d’art où s’était terminé son apprentissage, pour commencer avec un parent ses pérégrinations artistiques. Ce fut comme prestidigitateur qu’il débuta à quelque temps de là, avec un programme des plus attrayants, comprenant une belle série de manipulations dans lesquelles il faisait preuve d’une adresse déjà exceptionnelle.
Il fut d’ailleurs, un des premiers en France à exécuter le double empalmage des cartes. Les tours à grand effet avec appareils le passionnèrent également ; entre autres, citons le petit paravent aux apparitions, qui jamais ne fut mieux présenté que par lui. Mais ayant reconnu que, dans la vie artistique, il était préférable de se spécialiser, il se consacra ensuite à un genre alors tout nouveau et dans lequel il devint bientôt un maître. Sous le nom de Steens « l’Evadé perpétuel », nous le vîmes affronter, à travers le monde entier, les chaînes les plus robustes, les menottes les plus compliquées, les prisons les plus hermétiques, et s’en libérer le sourire aux lèvres, sous les yeux émerveillés de spectateurs enthousiastes qui lui faisaient, à chaque nouvelle performance, un véritable triomphe.
Steens dans son numéro le plus spectaculaire : l’évasion de la guillotine.
Steens possède d’ailleurs, au suprême degré, le don de plaire au public, qu’il sait émouvoir, faire rire ou trembler avec un art incomparable. Plus encore peut-être, si cela était possible, plaît-il aux directeurs pour lesquels il est le pensionnaire rêvé, ne reculant devant aucune peine pour faire de la réclame à l’établissement qui le produit. Son plongeon à Dunkerque, du haut de l’écluse de Tristam, qu’a relaté Excelsior du 1er août 1913, est le dixième au moins d’une série dont il n’est pas possible de prévoir la fin et dans laquelle sont à noter des exploits fort dangereux.
L’été dernier (1912), à Vichy, il plongeait dans l’Allier, toujours chargé de chaînes ; mais s’étant jeté d’une trop grande hauteur et dans une eau trop basse à cette époque, il vint s’abîmer sur le fond de cailloux de la rivière. Cet hiver même, à St-Quentin, il fallut briser la glace du canal pour qu’il pût effectuer le plongeon auquel il se croyait obligé, l’ayant promis ; car Steens est de ceux de qui la parole vaut une signature. Aussi ses engagements sont ils nombreux et des plus brillants, et l’on comprend qu’il aime à citer cette phrase de notre illustre maître Robert-Houdin : « Je vis sans regret du passé et sans crainte pour l’avenir ».
Un seul rêve lui reste à réaliser : se retrouver libéré de tout souci — et enfin de ses entraves ! — dans le joli village de Moutiers-Saint-Jean (Côte d’Or), son pays natal, celui qu’il préfère à tout autre. Il y vit le jour le 27 mai 1881, et c’est là qu’il veut terminer, dans un calme et un repos mérités, une carrière déjà si bien remplie, auprès d’une mère chérie qui l’y attend et au milieu de concitoyens dont il possède déjà toute l’estime et la sympathie.
Jean Caroly
Notes de Didier Morax :
Steens de son vrai nom Charles-Fernand Brisbarre (1881-1939) était considéré comme le Houdini français, qui était d’ailleurs son contemporain. Il connut un grand succès dans les cirques et les music-halls, tenant le haut de l’affiche durant de nombreuses années.
Propos de Steens concernant l’escapologie :
Une grave affaire
« Monsieur le préfet de police s’est ému dernièrement des démonstrations publiques faites par les innombrables « Roi des menottes », « Roi des évadés », etc., dont la quantité s’accroît chaque jour, en raison inverse avec la qualité, d’ailleurs. La conclusion de l’enquête est que la plupart ne présente aucun intérêt et conséquemment aucun danger, mais qu’il serait urgent d’interdire au dénommé Steens de travailler avec des appareils réglementaires.
Sans être orgueilleux, il est permis de se flatter de faire école, cela prouve que l’on possède quelque talent, mais il est plaisant de voir combien certains de mes imitateurs comprennent leur métier.
Manipulateur et illusionniste je suis et je resterai, et parmi mes jeunes et nombreux confrères j’en vois bien peu qui puissent oser se présenter comme tels. Aux uns, il manque l’exercice et la pratique, aux autres il manque en plus la prestance et la parole, il en est, enfin, auxquels il manque tout, même le matériel !
J’ai vu un « Roi des menottes » arriver avec une légère valise alors que je trouve insuffisants mes 1800 kilos de bagages. J’ai vu un « évadé » arriver les mains dans les poches avec le bon vieux sac traditionnel, un cachet, de la ficelle et de la cire !
C’en est fait, le titre est abîmé, on dira maintenant « Roi des menottes » comme on dit « acrobate », il faudra donc ajouter un nom et retenir la bonne marque ! Ainsi, sans vouloir discréditer mes « royaux » confrères, je crois de mon devoir et de mon intérêt de mettre en garde le public contre des attractions ridicules ou grotesques qui n’ont de mon numéro que le « nom », et je prie de bien vouloir s’informer des originales créations que je présente cette année. »
Le supplice aquatique chinois
Une cellule blindée, avec une face en cristal, est présentée au public. Les spectateurs sont priés de bien vouloir visiter la cellule, ainsi que son couvercle. On procède au remplissage de la cellule. Quand celle-ci est pleine d’eau, Steens se fait serrer les chevilles des pieds dans un couvercle-cangue et se fait hisser à 5 ou 6 mètres de hauteur, et descendre perpendiculairement, la tête la première, dans l’eau. A noter que dans la position où est Steens, il lui est impossible de se retourner, de faire le moindre mouvement ainsi que de respirer. Le couvercle est enfin fixé à la boite par des charnières et cadenas. Steens trouve le moyen de se dégager de cette position difficile, et ceci d’une façon mystérieuse, puisque, après cet exercice, la cellule est toujours hermétiquement fermée et pleine d’eau.
Georgy Pollmann
Georgy Pollmann reprit le nom de STEENS après la mort de celui-ci, dans une tournée de cirque et de music-hall forain sous la direction de Georges Martin ; ainsi qu’au British Circus Imperator Palmarium.
Voici reproduit avec fidélité la lettre d’autorisation (avec les fautes d’orthographe) de cet homme qui avait acheté un nom et non un savoir faire commercial et artistique :
« Monsieur N.B au sujet du non STEENS. Je suis autorisait à me servir du non de Steens depuis le 3 aout 1938. Autorisait par Monsieur Charles Louis Fernand Brisbarre dit Steens de Moutiers St Jean, Cote d’Or. Qui est décès depuis le 29 Novembre 1939 à Moutiers St Jean, Côte d’Or. De me servir du non Steens affiches et clichés et présente ces numèros. Etc. »
À lire :
- STEENS, un devoir de mémoire
- STEENS, L’homme qui s’amuse avec la mort de Hjalmar (Autoédition, septembre 2021). Pour se procurer le livre suivez ce lien ou contacter directement l’auteur à l’adresse mail ci-contre : hjalmar@hjalmar.fr
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