Sophie alias « Nina » est une artiste complète : jongleuse, acrobate, enseignante, directrice d’une école de cirque, productrice et magicienne. Elle est une personne solaire, toujours prête à transmettre son savoir et sa passion pour l’art du cirque et de l’illusion. Un engouement qui lui a permis très tôt de créer à Marseille l’école de cirque La Maison de Nina. Un très bel écrin au coeur de la vieille ville, accueillant dès leur plus jeune âge, des enfants, eux aussi piqués par le virus du spectacle vivant. Mais, cet établissement est bien plus qu’un lieu dédié à la transmission d’un savoir artistique, il est également un véritable atelier de création. En effet, des artistes de renom comme Élena Gambi ont construit et affiné leur numéro au sein de cette maison. Désormais, Elena parcourt le monde avec son numéro de jonglage atypique alliant grâce et dextérité. Enfin, nous ne pouvions pas souligner le soutien sans faille de notre ami et brillant magicien Norbert Ferré, parrain de l’école et Aurélia Cats.

Quels ont été les moments forts de votre parcours artistique ?
J’ai eu la chance de commencé très tôt grâce à mes parents comédiens et metteurs en scène, je suis une véritable enfant de la balle. Ma mère était enceinte de moi que je me retrouvais déjà au contact du public, puis plus tard j’ai eu aussi l’opportunité de travailler sur la scène du Théâtre national de Marseille La Criée, mais aussi de voyager au Liban, en Guinée Conakry lors de mon adolescence. En parallèle, j’ai peu à peu appris les rouages du métier de comédienne sous la direction de Jean-Louis Benoît lors du Festival IN d’Avignon, le Graal du théâtre. Ensuite, j’ai travaillé au Théâtre national de Toulouse, à Paris aux Théâtre-Nanterre Amandiers, etc. De plus, de nombreuses rencontres avec des illusionnistes m’ont permis de participer à des concours, mais aussi de concevoir un spectacle de magie tournant dans la région sud, alors que je n’avais que quinze ans Nina fait son cirque, Ninamagination. En effet,j’étais une des rares filles magiciennes à l’époque, malgré mon jeune âge, à me présenter sur scène, c’était une véritable chance. Puis, à dix-sept ans j’ai créé mon école de cirque la Maison de Nina. À l’époque je travaillais déjà en tant que professeur pour le public empêché (patients en hôpitaux psychiatriques et en prison). Travailler avec ce public a été très constructif, ma mère formait des détenus à devenir des comédiens professionnels durant leur incarcération pour ensuite en faire leur métier. Mes parents et trois comédiens en réinsertion ont co-écrit un spectacle Parloir sauvage qui a tourné durant dix ans et dans lequel je jouais une jeune détenue, le fil rouge de cette pièce retraçant toute sa vie. J’ai aussi beaucoup collaboré avec des prisons pour mineurs, j’étais en quelque sorte le relais de leurs paroles, où nous avons également présenté ce spectacle à Paris au WIP la Villette. Ces ateliers de professionnalisation au théâtre ont été un véritable outil de réinsertion.

Parlez-nous du Théâtre Off de vos parents ?
Mes parents ont créé en 1981 le Théâtre Off à Marseille. Dans les années quatre-vingt, il y avait le Théâtre national de la Criée sous la direction de Marcel Maréchal qui a proposé à mon père de l’aider. Mon père a trouvé un parking à bateaux sur le port, puis très vite ils se sont intéressés à créer des activités théâtre dans les hôpitaux psychiatriques, en prison, constituant une grande partie de ma formation avec mes parents et me donnant ainsi le goût à la transmission et à l’ouverture au monde. Ce nom a été choisi car le Théâtre Off avait pour objectif d’être hors marge en quelque sorte, en allant à la rencontre d’un public où le théâtre n’avait pas pour habitude de se déplacer. On est d’ailleurs parti avec mes parents au Liban faire du théâtre lorsque le pays était encore occupé. La partie nord était libre, alors que la partie sud était encore très attaquée, d’ailleurs les casques bleus de l’ONU étaient encore à Tripoli. Notre voiture du centre culturel libanais avait même été criblée de balles. Mais, animés par notre passion et notre objectif de diffusion du théâtre au plus grand nombre, nous avons continué à assurer des représentations dans des théâtres, lycées et lieux improbables.
Comment avez-vous rencontré l’art circassien ?
À deux ans mes parents m’ont emmené au petit cirque italien où il était présenté un numéro de chimpanzés à moto. L’un des singes était en salopettes et baskets, il est alors descendu de sa moto, l’a calé avec sa béquille et s’est précipité dans les gradins pour me voir. Arrivé à ma hauteur, il m’a alors retiré ma sucette de la bouche et il a posé son bras sur mon épaule, puis nous avons continué de regarder le spectacle ensemble. C’est là que j’ai compris que je souhaitais travaillé dans ce monde. C’est ensuite suivi un parcours de passion et d’abnégation, où j’ai appris les différentes disciplines du cirque (acrobatie, jonglage, monocycle, saxophone, etc), mais aussi la danse avec la famille Taillade. Puis, à sept ans, j’accompagnais ma maman à ses ateliers théâtre. J’ai commencé à donner des petits cours d’échasses aux patients et aux infirmiers de psychiatrie pour le carnaval de Marseille. L’hôpital Édouard Toulouse (hôpital psychiatrique marseillais) était en quelque sorte ma maison de vacances, je connaissais tout le monde et réciproquement. Nous avons même présenté au théâtre de la Criée un spectacle relatif à cette thématique médicale Coup de blouse.

Vers douze ans, j’ai appris la magie, ce qui n’était pas gagné d’avance car il fallait convaincre des magiciens de me donner des cours malgré mon jeune âge. Mais, j’ai réussi à rencontrer un illusionniste qui m’a appris le boniment, à savoir me vendre, etc. Puis, une rencontre fortuite eu lieu un jour, puisqu’un Monsieur passant dans le jardin de mon professeur de magie m’aperçu travaillé. Il s’appelait Alexandre Daden qui était un ancien producteur de cirque dans la région sud, lui-même anciennement avant-courrier, c’est-à-dire en charge de préparer l’arrivée du cirque (il contactait les mairies pour avoir un emplacement pour le chapiteau, pour les animaux, etc). Il m’a alors tout de suite proposé de me produire dans un mini spectacle de vingt-cinq minutes alliant cirque, magie, jonglage avec des battes de base-ball, raquettes de tennis, puis je présentais un numéro de rouleaux américains sur plusieurs hauteurs. Très vite, il a commencé à proposer mon numéro dans des cirques, m’ouvrant ainsi différentes portes. J’ai ainsi eu la chance de travailler dans des cirques à l’ancienne, où il fallait trouver sa place, car les conditions étaient particulièrement difficiles. En effet, si un soir notre numéro n’était pas suffisamment bon en piste, nous ne devions pas allés saluer et au petit matin nous étions en charge d’entretenir les enclos et cages des animaux. Aujourd’hui, évidemment cela ne se ferait plus, mais j’ai vécu des merveilleux moments qui restent gravés dans ma mémoire.
J’ai été scolarisée jusqu’en cinquième, cependant, mes nombreux voyages et expériences m’ont permis de me construire une culture générale très dense. À l’école, je créais déjà des compagnies avec mes copains et je faisais des spectacles dans la cour de récréation. À six ans déjà, j’avais lu Ionesco (Les chaises était mon livre préféré). Mes enseignants percevaient ce décalage avec mes camardes et ne comprenaient pas toujours pourquoi je souhaitais devenir artiste. Madame Allouche qui était ma professeure principale et de mathématique m’a tout de suite encouragé à poursuivre ma scolarité à distance et me suit encore aujourd’hui. J’ai alors continué aux cours académiques de France. Puis, alors même que je quittais ma formation scolaire classique, Jean-Louis Benoît directeur du Théâtre national de la Criée m’a appelé pour me proposer un rôle pour sa prochaine création La trilogie de la villégiature de Carlo Goldoni. Puis tout s’est enchaîné assez rapidement, je suis vite partie prendre mes mesures pour les costumes, etc. Quelques mois sont passés, sans nouvelle de sa part, je suis repartie de front échanger directement avec lui, j’ai alors expliqué que j’allais signer un contrat avec un grand cirque et qu’il fallait très vite que je sache si ce projet théâtral allait se concrétisé. J’ai pu signer mon contrat et ainsi partir en tournée avec une énorme production de quinze comédiens, quinze techniciens, durant un an dans toute la France avec cent-dix dates. Une expérience vraiment incroyable ! J’ai également pu travailler dans d’autres endroits avec mes parents en Guinée Conakry où j’ai découvert le Circus Baobab, qui était cette année au 47ième Festival International du Cirque de Monte-Carlo.
Parlez-nous de votre compagnie HAP ?
Ce sont mes élèves de la Maison de Nina qui ont entre neuf et vingt et un an. Mehdi, mon plus ancien élève est ici depuis dix-sept ans. Il est aujourd’hui un artiste professionnel, avec lequel je travaille sur un spectacle de mentalisme notamment. Aurélia Cats, brillante trapéziste m’a également conseillé de créer une classe préparatoire en faisant un casting avec des élèves de notre établissement et des élèves extérieurs. Une classe préparatoire d’une durée de deux ans. C’est en septembre 2023 qu’est venue l’idée de créer notre compagnie d’école pour que nos élèves puissent être vus et présentés dans des concours. Le mot HAP signifiant le top départ à l’artiste. C’est ce mot qui créé la coordination entre le porteur et le voltigeur au trapèze volant, permettant ainsi le succès du numéro. De façon plus générale, ceci marque aussi le rythme entre deux artistes pour travailler simultanément et de façon coordonnée. Notre compagnie est née il y a bientôt un an, le premier spectacle au nom éponyme de la compagnie, relatait une histoire de faux casting, dans lequel j’endossais le rôle de metteur en scène où je cherchais des futurs talents pour un spectacle sur le thème de Mary Poppins. Nous avons présenté notre show au cabaret l’Étoile bleue à Marseille où nous avons rencontré un franc succès avec une salle presque comble à chacune des représentations. D’ailleurs, Norbert Ferré Aurélia Cats et Serge Gambi sont venus assister aux spectacles. C’est une compagnie d’amateurs présentant un show d’une qualité professionnelle, les enfants ont un véritable engagement et ils ont la chance d’être vus par des personnes qui produisent. Nous sommes une véritable famille.


Vous avez également votre propre boîte de production Bleu 202
Nous avons aussi créé une boîte de production Bleu 202, en référence à la couleur de la gélatine utilisée sur les projecteurs pour donner l’impression d’avoir une lumière du jour sur scène. C’est une association que nous avons co-fondé avec Manon et Mehdi, nous permettant de co-produire nos spectacles. Nous avons d’ailleurs gagné avec Mehdi le prix Albertas avec notre show de mentalisme Rencontre du hasard lors des qualifications au championnat de France. Nous avons aussi remporté le deuxième prix du jury et le premier prix du public 2024. Nous produisons aussi les spectacles de notre compagnie HAP où j’incarne le rôle de Madame Loyal, les numéros s’enchaînent et le tout est transformé en spectacle de cabaret. Nous vendons ce spectacle pour les mairies, etc. D’ailleurs, le cabaret l’Étoile bleue a décidé de nous co-produire tous les deux mois suite à leur coup de coeur de notre premier spectacle. Ceci, permettant ainsi aux enfants de préparer leurs numéros à la Maison de Nina pour ensuite les présenter au grand public. Ils ont ainsi une double formation d’élèves et d’artistes. Ils apprennent comment concevoir un numéro, la mise en scène, la création lumières, musicale, etc. Timothé qui est régisseur technique du cabaret nous accompagne tout au long de notre processus créatif, c’est un véritable génie des lumières.


Par la suite, nous avons conçu notre deuxième show Rêves en six mois qui relate l’histoire de Joséphine l’une de nos artistes de neuf ans, rêvant dans sa chambre de devenir une artiste de cirque. Elle rédige son projet sur son bureau magique où soudainement sa plume écrit d’elle-même, elle explique qu’elle était dans un cirque et rêvait d’en faire partie. Elle s’endort et par l’armoire de sa chambre sort sa conscience sous la forme de l’allégorie d’une fée l’accompagnant dans son rêve, où une pléthore d’artistes sortent de sa chambre. Nous sommes alors transportés dans son univers onirique où elle devient une artiste de cirque et se réveille le jour de Noël. Nous avons tout fabriqué nous-mêmes : les costumes et les décors durant six mois non-stop. Nous avons dû reconstruire une chambre en incluant de l’incrustation vidéo et de la magie. Nous avons joué à quatre reprises dans cette salle de deux cents places, nous permettant d’accueillir quasiment huit cent spectateurs.

Aujourd’hui, la compagnie continue de se produire. L’équipe s’est agrandie, et j’ai le plaisir de collaborer avec Laura Legall, chorégraphe, qui apporte une toute nouvelle dimension aux spectacles de la compagnie. Son travail avec les jeunes talents est exceptionnel : elle enrichit les numéros en intégrant la danse et des chorégraphies qui leur offrent une nouvelle approche artistique et scénique. Laura vient du monde de la comédie musicale, ce qui lui permet d’amener une véritable narration dans le mouvement et une exigence artistique précieuse. De plus, son expérience en drag king avec son personnage Emmanuel le Splaining nourrit son approche du spectacle, en jouant avec les identités et l’expression corporelle d’une manière unique. Cette collaboration est une chance pour la compagnie, car elle ouvre encore plus le champ des possibles et permet aux jeunes artistes d’explorer de nouveaux horizons dans leur art ! Le but étant qu’ils deviennent des artistes professionnels et construisent leur propre chemin d’artiste professionnel, s’ils en ont l’envie bien-sûr.
Pourriez-vous nous parler de votre show de mentalisme Rencontre du Hasard ?
Rencontre du Hasard est un spectacle de mentalisme fascinant que j’ai créé avec Mehdi Pantalacci, et que nous avons joué depuis un an, notamment à la Maison de Nina et lors de soirées privées. Aujourd’hui, ce spectacle évolue vers une nouvelle version plus ambitieuse, entièrement centrée sur la notion de synchronicité développée par le psychanalyste Carl Jung. Dans cette nouvelle création, nous nous présentons comme deux experts et guidons le public à travers une série d’expériences intrigantes où le hasard semble prendre tout son sens. Chaque moment du spectacle est une invitation à se questionner : tout est-il écrit à l’avance, ou ne sommes-nous que les témoins d’un enchaînement fortuit d’événements ? En mêlant mentalisme, intuition et coïncidences troublantes, nous offrons une immersion unique dans l’univers de la synchronicité, où chaque rencontre, chaque choix et chaque événement semble répondre à une logique invisible. Ce spectacle propose une réflexion profonde et interactive qui place le public au cœur de l’expérience, afin qu’il puisse lui-même ressentir et interroger ces moments où le hasard semble ne plus en être un.

Comment est né votre établissement et comment fonctionne-t-il ?
La Maison de Nina est bien plus qu’une école de cirque : c’est un lieu de transmission, de passion et d’épanouissement personnel. Fondée il y a vingt-trois ans, elle est aujourd’hui co-dirigée par Manon Chorda et moi-même. Nous sommes deux professeures engagées, convaincues que les arts du cirque doivent être accessibles dès le plus jeune âge. Nous accueillons des élèves de six mois jusqu’aux adultes, en intervenant dans des crèches, des collèges, des lycées et d’autres structures éducatives. Notre mission est de travailler sur la conscience du corps, l’espace, les émotions et les sensations, en mettant l’accent sur l’être, le paraître et le mieux-vivre ensemble. Le cirque est à la fois un art et un sport, une discipline qui permet de développer la curiosité, la prise de risque, le lâcher-prise, la confiance en soi et en l’autre. Il est un outil formidable pour apprendre à se dépasser et explorer ses propres limites. En plus de notre formation loisir, nous proposons une classe prépa pour accompagner les futurs professionnels du cirque. Aujourd’hui, la Maison de Nina est reconnue par la Fédération mondiale des écoles du cirque (Global Alliance of Circus Schools), une reconnaissance qui témoigne de notre engagement et de la passion de notre métier.


Comment collaborez-vous avec Aurélia Cats ?
La Maison de Nina a la chance de collaborer avec Aurélia Cats, une artiste d’exception qui est aujourd’hui la marraine de notre école et une amie précieuse. Son soutien indéfectible et son regard exigeant nous permettent de pousser toujours plus loin notre travail et d’explorer le cirque avec encore plus de professionnalisme. Aurélia ne se contente pas d’un rôle symbolique : elle est une véritable conseillère artistique au sein de l’école. Son œil affûté et bienveillant apporte un accompagnement précieux à nos jeunes artistes en devenir. Elle est là pour guider, conseiller et inspirer, offrant à nos élèves l’opportunité unique de bénéficier de son immense talent. Aurélia Cats a créé Creative Lab une plate-forme hybride permettant aux passionnés, aux étudiants et aux artistes de développer des compétences avec son soutien d’experte par le biais d’ateliers, partout dans le monde ! Elle anime également des workshops à la Maison de Nina, travaillant directement avec nos élèves. Cette collaboration est une chance inouïe, tant pour l’école que pour les jeunes talents qui ont l’occasion de se former auprès d’une artiste de son envergure. Je suis profondément touchée et reconnaissante qu’Aurélia ait ouvert son cœur à notre école et partage avec nous son exigence, son professionnalisme et son amour du cirque. Grâce à elle, la Maison de Nina continue d’évoluer et de faire grandir ses artistes dans un cadre d’excellence.
Comment avez-vous rencontré Norbert Ferré et comment est-il devenu le parrain de votre école ?
Norbert, je l’ai rencontré lorsque j’avais seize ans, et que j’étais déjà partenaire de scène d’un magicien. Je souhaitais devenir moi-même illusionniste. J’ai assisté à plusieurs conventions de magie, à des concours, etc. Nous sommes devenus très amis, puis Norbert à continué à m’accompagner tout au long de mon parcours de vie. Lorsque je lui ai proposé d’être le parrain de mon école, sa réponse positive a été immédiate. J’apprécie beaucoup d’échanger avec lui, il a une écoute et un soutien incroyable. Je garde d’ailleurs un merveilleux souvenir de son dernier spectacle Impossible sur Scène aux Folies Bergère avec Luis de Matos, Dan Sperry, Aaron Crow et Yu Hojin en novembre 2024.

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Interview réalisée en mars 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Sophie Ortiz / La Maison de Nina / Frédéric Ortiz/ J.C. Husson/ Laura Legall. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.