Quand et comment avez-vous abordé la magie ?
Le premier tour de magie que j’ai créé, je devais avoir huit ou neuf ans, j’étais en vacances avec un copain, et on a fait disparaître un chat devant ma grand-mère. J’avais parié que si je laissais le fond d’un carton ouvert, le chat chercherait à s’échapper. En le plaçant à côté d’un buisson, il pouvait se barrer sans être vu. Quand j’ai réouvert l’avant du carton devenu vide, ma grand-mère était médusée. J’ai mis dix ans avant de retenter de faire le moindre tour de magie. La fois d’après j’avais dix-neuf ans, j’étais complètement défoncé et j’ai improvisé des techniques de dés à coudre que je venais de découvrir, devant ma copine, avec un morceau de fromage (c’était du Brie je crois) à la place du dé à coudre. Le cannabis aidant, elle se marrait bien. Je me suis senti comme habité par le flow. Je me suis rendu compte que j’étais chez moi à cet endroit-là, la scène, le spectacle. Je n’ai plus jamais essayé de faire de la manip avec du fromage depuis, mais quelque chose est resté de ça, en moi. Je pense que ce sont les deux choses les plus importantes que j’ai fait dans ma vie de magicien.
Deux ou trois ans après, j’ai vu Le Prestige et L’Illusionniste, au cinéma. C’était fin 2006, je me suis dit qu’il fallait que je consacre ma vie à cette discipline, à partir de maintenant. Et c’est ce que j’ai fait. Plus ou moins. J’ai aussi fait du parapente et des tas de bêtises plus ou moins artistiques. Je me suis demandé ce que je savais de l’ésotérisme pour espérer présenter quelque chose de crédible en matière de mentalisme… Et en cherchant à me cultiver avec quelque chose qui me touche de façon « authentique », j’ai bien vu que la plupart des thématiques du commerce tombaient à plat par rapport à ma vie, à mon… style. Je ne sais pas pourquoi, je me suis dit : « si j’avais un super pouvoir, et que c’était normal dans ce monde, qu’est-ce que je pourrais faire artistiquement avec, pour toucher les autres ? ». Cette question a été le tout début de ma démarche : puisque la démonstration du pouvoir lui-même n’est plus considérée comme impressionnante, comment le décaler pour qu’il soit source de quelque chose de plus ? Qu’il devienne source d’une esthétique (pas au sens de beauté, mais au sens de démarche artistique). J’ai senti aussi qu’en cherchant le dénuement scénographique, la véritable scène pouvait se démultiplier : ça devenait l’esprit même des spectateurs. C’est ça qui m’a finalement touché dans la magie mentale et le mentalisme.
Présentez-nous votre compagnie
Pour faire snob on pourrait dire un truc du genre : Les créations magiques de Solen Briand / la Subliminale Cie sont une invitation à un voyage dans l’épaisseur de la réalité : entre le pas tout à fait possible et le pas tout à fait croyable. Nous cherchons à construire une poétique de l’illusionnisme, du mentalisme et de l’hypnose. Une poétique qui ne serait pas qu’un monde imaginaire et qui tenterait, avec douceur ou éclat, de faire un peu bouger notre regard sur les choses, sur nous-même, sur les autres ou sur le monde réel. Pour ça, la compagnie essaye de garder un pied dans la recherche scientifique (sociologique, psychologique, thérapeutique), les doigts dans les diverses branches de la prestidigitation et un œil sur les mouvements militants (féministes, artivistes, politiques). C’est de ce cocktail que naissent nos spectacles qui s’adressent autant aux spectateurs qui cherchent à passer un moment récréatif, qu’aux amateurs et professionnels du monde de la culture, engagés dans leurs questionnements artistiques.
Sur quelles thématiques travaillez-vous ?
Les choses qui me turlupinaient m’ont toujours rattrapées et viennent se glisser dans les créations de la compagnie. J’ai suivi au premier degré une initiation à la sorcellerie, pris des psychotropes, tapé sur un tambour, j’ai fait une décompensation psychotique par mégarde, bref, j’ai donné de ma personne au-delà du mentalisme pour rencontrer quelque chose de cette magie « rituelle » ou traditionnelle, qu’on trouve en Mongolie ou en Amérique du Sud… ou dans la campagne d’où je viens. J’ai rencontré l’univers de l’éco-féminisme et du féminisme tout court, les milieux queer, militants, alterno… J’ai étudié Jeanne Favret-Saada et sa sorcellerie dans le bocage, Corine Sombrun et ses esprits de la steppe et puis aussi Isabelle Stengers et sa sorcellerie capitaliste. Ça a été une série de micro-révolutions pour moi. Le début de beaucoup d’humilité quant à notre capacité à manier les mystifications et à utiliser les artifices pour assoir un ascendant sur une autre partie de l’humanité. Je me disais toujours, en me laissant embarquer dans des trucs délirants et puissants, que la prestidigitation était une bonne grille de lecture pour le monde contemporain capitaliste mais que, paradoxalement, les différentes formes de la sorcellerie portaient en elles des perles d’intelligence que l’occident capitaliste avait perdues. C’était très loin de correspondre aux images obscures et désuètes que j’en avais.
Il existe un lien profond entre la magie et le développement de l’humanité. À la lisière entre vie et mort, entre fragilité et domination, entre les différentes facettes de la réalité… Je cherche à faire entendre la « polyphonie des versions du réel ». Les spectacles passés étaient portés par un besoin militant. L’envie était de partager mes préoccupations quant aux logiques d’oppression à l’œuvre dans le monde actuel : colonisation du langage par l’administratif en une langue politique et technique, propagation publicitaire par la suggestion… J’avais quelque chose de moralisateur, la magie me donnait un ascendant. J’ai dû faire évoluer mes processus de création pour sortir de cette posture. J’ai eu la chance de commencer à enseigner aux enfants la magie, et ils m’ont bien recadré.
En jouant avec les tours pour enfants, j’ai appris à bluffer avec presque rien, et à découvrir ce que ces petits tours de pas grand-chose pouvaient avoir de fort et d’important. J’ai tout repris à zéro. J’ai découvert qu’ils portaient presque tous une force philosophique et qu’on pouvait la déplier et la donner à résonner avec quelques mots, quelques silences bien placés. J’ai appris à délirer joyeusement avec eux, tout en gardant le cap. Aujourd’hui je m’intéresse par exemple aux ordalies et aux formes alternatives de justice occidentale comme la justice restauratrice et la justice transformatrice, inspirées des mouvements des peuples natifs américains. Ces thématiques ont depuis toujours été portées par les sorciers, chamans, marabouts et magiciens. Aujourd’hui, les juristes sont une forme occidentalisée et aux rituels très étranges de cette fonction de l’organisation sociale. En tant que fabricants de spectacles magiques, nous avons une hérédité confuse avec ces statuts, ces postures, ces personnages.
Quels sont vos domaines de compétences ?
Alors, je suis plutôt balèze en découpage-collage. Je sais aussi et surtout lire et écrire. Je trouve aussi que la conversation est un domaine de compétence important que je m’applique à cultiver. Et c’est essentiellement de ces trois champs de compétences dont je me sers en ce moment. Je trouve que la magie est un art de la composition, où on s’applique à associer des logiques, des stratégies, des techniques, à les mettre en contraste avec du sens, des images, des propos. Avec tout ça, on fabrique des fables ou des mystifications et on les passe à l’épreuve du public en espérant que ça résonne chez lui.
Parallèlement, en matière artistique, j’ai pratiqué la danse, le théâtre pendant une dizaine d’années, j’ai suivi un cursus en psychologie, en histoire de l’art. J’ai passé plusieurs années à étudier la pratique du cirque en école professionnelle, je suis devenu funambule et jongleur, puis j’ai approfondi m’a compréhension de la mise en scène en espace public avec la seule formation dédiée aux arts de la rue, la FAIAR (Formation Avancée Itinérante aux Arts de la Rue à Marseille). Il n’y a qu’en magie que je suis essentiellement autodidacte. J’ai quand même participé, dans la foulée, à la formation « magie nouvelle » du CNAC (Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne), pour faire comme les copains, où j’ai rencontré des gens fascinants. Puis je me suis consacré à l’enseignement. J’ai ouvert un cours d’histoire, de philosophie et de dramaturgie des arts, ainsi qu’un laboratoire hebdomadaire de création, pour une formation professionnelle de cirque. Concernant la pratique magique, je me suis formé au fakirisme, à l’hypnose, ainsi que de façon plus traditionnelle, au close-up et au mentalisme. J’ai mis assez longtemps à assumer de me présenter devant un public en revendiquant une posture de « magicien », mais c’est finalement cette étiquette qui convient le mieux. Je travaille également en tant que regard extérieur et metteur en scène avec des compagnies qui souhaitent faire progresser leurs créations. C’est une partie très nourrissante de ce travail, puisqu’on peut s’associer ponctuellement à une vision du monde nouvelle qui, à chaque fois, ne manque pas de me déplacer un peu dans ma pratique magique.
Parlez-nous de vos spectacles
Les spectacles qui sont actuellement au répertoire de la compagnie sont les suivants :
Papillon Noir (création 2019-2024), est un témoignage autobiographique tendre sur la fin de vie, la sédation profonde et définitive, et le deuil. Les spectateurs sont invités autour d’une grande table noire à participer à une sorte de veillée funèbre, où, de textes poétiques en effets magiques, la soirée se transforme en vernissage d’exposition, douce célébration d’une vie partagée avant la mort.
Matière Première (création 2021-2022), aborde le thème du développement personnel sous un angle sauvage et amusé. C’est une déambulation magique en espace public où les spectateurs suivent un gourou vers la révélation du secret de l’univers… On y écorche quelque peu au passage le capitalisme, Candy Crush et les gourous du développement personnel, évidement.
Nos Blessures Filigranes (création 2024-2025), sera un spectacle d’hypnose. Ici, on se proposera d’emmener le public dans la découverte du psycho traumatisme, dans son lien à la magie et à l’hypnose. Toujours dans l’idée de vulgariser des connaissances scientifiques, et grâce à la fascination que peut provoquer une discipline polémique comme l’hypnose, on va essayer de faire sentir le lien mystérieux qui existe entre les phénomènes de dissociation traumatique et les phénomènes de dissociation hypnotique. C’est pour moi un sujet clé en ce moment.
La magie, à travers la notion de secret, et dans son rapport au mensonge, nous donne des prises narratives, par sa structure même, pour questionner des systèmes de domination comme le patriarcat, l’inceste et le déni généralisé lié aux violences (notamment sexuelles). Vaste programme, dont on commence tout juste la mise en œuvre. Vous trouverez l’ensemble de nos archives sur notre site, si vous souhaitez avoir plus d’informations.
Comment intervient la magie dans votre travail ?
En tant que « fabriquant d’illusions », une bonne part de mon attention porte sur la façon de faire résonner l’effet magique et le sens qu’il véhicule. C’est une dimension que je considère très difficile et pour laquelle je me retrouve souvent bredouille. C’est un peu ça qu’Isabelle Stengers et Vinciane Despret appellent « fabuler », une notion fondatrice du travail de la compagnie, et selon moi de la magie en générale : « Fabuler c’est encore raconter autrement, c’est chercher à faire penser, à rendre perceptible des aspects de cette réalité qui, usuellement, sont pris comme accessoires. » (Isabelle Stengers) « Fabuler (pourtant) c’est chercher dans ce qui n’est pas perçu, des choses qui peuvent être activées de façon à ce qu’elles deviennent possibles. » (Vinciane Despret).
J’aime trouver des ponts entre les logiques du fantastique, du merveilleux et les problèmes que j’arrive à percevoir dans nos sociétés actuelles. Par exemple : Anakin Skywalker / Dark Vador me semble être un support merveilleux pour parler du traumatisme et de la parentalité toxique. Le Père Noël est un chaman détourné de son travail de soin par le capitalisme… Pour moi, faire de la magie ne consiste pas à s’écarter du réel, plutôt à entrer en frôlement, à promouvoir l’énigmatique, à inviter les mystères à nourrir nos expériences quotidiennes, sonder les mirages, habiter l’inconnu, au moins comme colocataires… La magie, en quelque sorte, me permet de passer pour un fou impunément, et comme ça, d’avoir le droit de raconter innocemment ce que je pense pour de vrai. L’idée de base est de manier du faux pour produire du vrai. Quand j’entreprends la création d’un nouvel effet, c’est que celui-ci me touche dans mes préoccupations. Je m’aventure dans la compréhension de l’effet à travers ces préoccupations, pour en traquer le sens, et lorsque parfois (pas souvent) cette rencontre arrive, alors il y a comme une petite décharge qui se produit en moi. C’est comme ça que je retrouve un peu de « vraie » magie. C’est cette joie-là qui m’indique que, si tout va bien, quelque chose qui compte un peu va pouvoir se passer sur scène lorsque je présenterais cette petite pièce de magie à un public.
Quelles sont vos influences artistiques ?
J’ai beaucoup (beaucoup) d’attention pour le travail d’auteurs de bandes dessinées (je lis des BD depuis que je suis gosse, et la combinaison texte / dessin me fascine et m’inspire énormément dans ma recherche pour combiner effet magique et effet de sens) comme Manu Larcenet, Dave Mc Kean, Marc Antoine Mathieu, Lewis Trondheim mais aussi des monstres sacrés comme Franquin, Uderzo et Goscinny. Ce qui me fascine, c’est de pouvoir suivre l’évolution de leur démarche avec le temps, de pouvoir observer la transformation progressive de leur style, de leurs enjeux d’auteurs, de leurs ficelles narratives. Comprendre comment ils se tirent de leurs embuches par la composition est une source artistique infaillible. Je viens des arts plastiques, mais je me suis longtemps passionné pour des artistes de scène comme Johann Le Guillerm, Dario Fo, ou des inconnus que je voyais jouer dans les rues de la petite ville touristique où j’ai grandi. J’apprenais leurs spectacles par cœur. Mais pour être franc, les personnes qui m’ont le plus déplacé ce sont les gens avec qui j’ai appris à devenir fabriquant d’art vivant. Des bulldozers que j’ai rencontré dans mes formations : Adeline Bourgoin, Alix Montheil, Marc Prépus, Pauline Cabioch’.
Assez paradoxalement, je vis avec ma compagne, qui déteste la magie, et qui m’oblige à donner le meilleur de moi. J’essaie de trouver une magie qui ne la dégoûte pas trop, voir, qu’elle pourrait revendiquer comme valide artistiquement. Je n’y suis pas encore parvenu, mais je m’y applique et c’est clairement, sinon une source d’inspiration à proprement parler, en tout cas un horizon à atteindre qui me motive. Puis ce sont essentiellement des auteurs de bouquins qui ont pris le relais : Jeanne Favret-Saada, Starhawk, David Graeber, Tobie Nathan, Isabelle Stengers, et puis aujourd’hui Bell Hooks.
Concernant plus strictement les arts magiques, j’ai baigné depuis les prémices de mon travail dans les œuvres de Juan Tamariz et je m’associe totalement à son analyse de L’arc en ciel magique : l’effet magique et l’effet narratif fonctionnent en sens opposés ! Quelle idée géniale et évidente. Les effets magiques répondent à des fantasmes implicites et profonds de l’humanité, et c’est pour ça qu’une lévitation produit plus de réactions qu’une disparition de pièce… Une hypothèse colossale avec des implications tentaculaires ! Le travail de Christian Chelman sur le Surnateum m’a aussi bercé : son goût des histoires et des zones grises de l’Histoire, sa façon de le traduire en effet / preuve. Évidemment Derren Brown n’était pas loin avec ses tentatives folles de transformer le monde par le mentalisme. Et d’y parvenir un peu ! J’ai fait lire son livre Magie Absolue à plusieurs personnes qui me l’ont rendu sans trop comprendre à quel point ça avait été une déflagration pour le jeune magicien que j’étais, et qui cherchait à se prouver que la jeune passion pour la magie qu’il avait, pouvait le porter artistiquement aussi loin que n’importe quelle autre discipline artistique qu’il aurait pu choisir. L’auteur qui m’a sans doute marqué le plus profondément, probablement parce que je l’ai rencontré au tout début (peut être le premier vrai livre de magie que j’ai lu d’ailleurs), c’est Henning Nelms et son Magic and Showmanship. Il est resté sous les radars pour une raison assez inexplicable. Ce qui me rassure c’est qu’il apparaît dans les bibliographies de presque tous les grands auteurs des générations précédentes. Henning Nelms décrypte brillamment le concept de mystification, qui a été pendant très longtemps le cœur de ma pratique, son lien avec le théâtre et la mise en scène, comme le nom du livre l’indique. Tous ces auteurs m’ont transmis l’idée que le « sens » est un outil de misdirection (de contrôle de l’attention) extraordinaire, au moins au même titre qu’un faux dépôt, un forçage psychologique ou une parenthèse d’oubli.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Comment la prestidigitation se glisse dans le monde actuel ? J’ai peu de recul et je réalise en vous répondant que j’ignore comment la magie se vivait au XXe siècle ! Avec le développement des échanges entre pairs, via Internet, trouver des informations magiques (méthodes, objets truqués, performances vidéos, etc.) est devenu instantané. Je fais partie de cette génération qui a développé une culture magique énorme en très peu de temps. Pour donner un ordre d’idée, je pense qu’au cours des deux premières années de mon apprentissage, j’ai accumulé les connaissances qu’un magicien moyen apprenant au XXe siècle aurait mis vingt ans à glaner… mais vingt ans de données pour seulement deux ans d’expérience pratique. Pour ma génération, il s’est créé une disproportion entre ce qu’on savait de la magie, et ce qu’on était capable de faire réellement. C’était dans l’histoire de l’art vivant la première fois qu’une chose pareille était possible… et je me suis fait prendre au piège, bien sûr ! Avec eMule (ce logiciel d’échange peer-to-peer, célébrissime dans les années 2000), toutes ces connaissances étaient en plus gratuites. Cette arrivée massive du piratage a complètement bouleversé l’économie magique. Je me souviens des débats terribles sur les forums à propos des effets tragiques du piratage sur les créateurs de magie. La révolution qui s’est produite au tournant des années 2010 allait être plus puissante encore. Avec le développement de plateformes comme YouTube, la divulgation n’a jamais été aussi simple.
La mise en concurrence des artistes aussi touche à son paroxysme. Tout d’un coup il s’est passé quelque chose d’impossible jusque-là : n’importe quel spectateur a, dans sa poche, un outil qui met le performeur de magie en concurrence directe avec tous les autres performeurs du monde au moment même où il joue, ET le spectateur a également un accès immédiat aux méthodes des effets qu’il est en train de regarder en live. Il faut quand même faire un petit arrêt sur image pour se rendre compte du saut que ça provoque pour notre discipline. Une discipline qui se fonde sur le principe que ses spectateurs ignorent une partie de la réalité qu’ils ont sous les yeux (qu’on peut résumer sous le terme de « secret »). D’un coup, le partage d’informations est tel, qu’il est possible qu’en temps réel, il obtienne le modus operandi de l’effet auquel il est en train d’assister (heureusement je crois que ça n’arrive pas réellement, mais c’est maintenant possible, et ça change tout). Tout en le comparant aux performances d’autres artistes présents sur la toile. Par la complexification technique, la recherche d’originalité, le maintien d’un certain nombre de méthodes hors de toute publication, notre discipline commence à s’adapter à cette situation. Cependant, quelque chose de la transmission, donc de l’apprentissage, donc de la création future, est en train d’être affecté par ce processus. Il est tout à fait possible que ce soit vertueux et que la magie évolue vers une « meilleure version d’elle-même »… Il est aussi possible que cela provoque un aplatissement de la créativité, comme c’est le cas dans presque toutes les situations de concurrence. J’aimerais avoir des vrais pouvoir de prédiction pour conclure avec certitude. Quelque chose du modèle économique de la magie va peut-être devoir évoluer en conséquence ? En tout cas, je pressens une mutation de la prestidigitation en lien avec cette question de l’information et du secret.
Chloé Lombard m’a dit il y a quelques semaines « l’information, c’est le pouvoir ». Je m’interroge sur la posture de pouvoir adoptée par le performeur de magie. Ce qu’elle dissimule. Ce qu’elle coupe involontairement de notre lien au public. Le secret, qui est le berceau de l’illusion, est aussi son tombeau. Peut-être que ces révolutions successives nous poussent à créer une prestidigitation qui n’aurait plus besoin du secret pour exister ? Un tour comme Les boulettes de Slydini, le fakirisme ou l’hypnose seraient alors aux avant-postes de cette évolution. Et à ce titre, aller vers une magie qui n’aurait plus de secret, est-ce que ce serait encore faire de la magie ?
À visiter :
– Le site de La Subliminale Cie
Interview réalisée en février 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Yannick le Priol, Fanchon Bilbille, Alison Johnson, Zelie Picouret, François Moncarey, Aurélie Fuchs, Loïc Niess / Silex prod, La Subliminale Compagnie / Solen Briand. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.