Le recours aux forces de l’invisible se pratique dans la plupart des capitales africaines subsahariennes. Tout est ensuite une question de spécificités.
BENIN: Le pays du « çakatu »
Au Bénin, terre du vaudou, l’exercice du pouvoir est très souvent marqué par un compagnonnage avec les forces occultes. Avant de rencontrer Jésus et de découvrir la Bible, l’ancien président Mathieu Kérékou a eu son marabout durant les années 1990. Au moment de son triomphe électoral en 1991, son successeur, Nicéphore Soglo, a été foudroyé par un çakatu (« mauvais sort »). « Il souffrait le martyre et avait l’impression qu’on lui plantait des aiguilles dans le corps. C’est alors que j’ai décidé d’appeler à l’aide le ministre français de la Défense, Pierre Joxe », se souvient son fils, Lehady. Avion sanitaire de l’armée française, court séjour à l’hôpital parisien du Val de Grâce, soins intensifs… Soglo a été remis sur pied durant l’entre deux tours, mais c’est en balbutiant et soutenu physiquement par son épouse Rosine qu’il a prêté serment. Il lui a fallu plusieurs années pour s’en remettre.
Les médecins du Val de Grâce ont diagnostiqué un classique « empoisonnement », selon un haut officier français de l’époque qui a suivi ce dossier. « Mais au Bénin, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, cette attaque avait une dimension magique. Et malheur à celui qui prétendrait le contraire », explique un proche de l’ancien président béninois. Un tel épisode laisse des traces.
Un marabout du bénin.
L’actuel chef de l’État, l’évangélique Boni Yayi, toujours prompt à invoquer Dieu dans ses discours, a « envoyé des émissaires visiter les plus hautes divinités du pays lors de son arrivée au pouvoir en 2006 », assure un fin connaisseur des us et coutumes du palais de la Marina. À vrai dire, cela n’a rien de surprenant, ni de condamnable. Et c’est éventuellement plus prudent.
« Lors de chaque élection, je sais que l’on organise pour moi des sacrifices d’animaux. Je laisse faire », reconnaît un responsable politique. Plus marquant encore, la méfiance au sein du marigot. Certains caciques auraient des pouvoirs occultes. Un nom revient régulièrement… mais il est difficile de violer le secret de la confession. « Une chose est sûre, nous dînons très rarement les uns chez les autres », résume un élu de haut rang. On comprend mieux la fragilité des alliances politiques béninoises !
CAMEROUN : « Infection » au fond du couloir
Janvier 2005, contre toute attente, le nouveau directeur général s’est présenté pour la passation de service. La veille, pourtant, un gros chat blanc était tombé du onzième étage du bâtiment et était reparti sans une égratignure. Une démonstration de force supposée de son prédécesseur. Quelques mois plus tôt, le responsable d’un groupe de travaux publics avait exigé de changer entièrement le mobilier de son bureau lors de sa prise de fonctions. Idem pour ce nouveau patron de la police : le « sortant » avait placé un crâne bien en évidence dans le bureau…
Circonscrits dans les années 1970 et 1980 aux zones rurales, les faits de sorcellerie, supposés ou réels, sont de plus en plus librement évoqués dans les administrations et les grandes entreprises camerounaises, où la guerre des postes fait rage. Mais cette « immunisation » des bureaux concerne également les ministères, où elle serait systématique. Ces pratiques ont aussi cours au palais d’Etoudi, selon un habitué des lieux qui cite notamment le secrétariat général de la présidence et la passation de pouvoirs entre les présidents Ahidjo et Biya.
Autel de fétiches.
Pour l’anthropologue François Bingono Bingono, qui se présente comme « crypto-communicologue », la sorcellerie s’est démocratisée. « Personne ne veut se laisser surprendre. Chaque fois qu’une personne est appelée à de nouvelles fonctions, elle s’entoure d’un maximum de précautions. Ne pas le faire revient à s’exposer à un risque d’infection » par l’evu [« sorcellerie », en langue bétie, NDLR]. On part du principe que celui qui s’en va a laissé des fétiches destinés à asseoir sa propre puissance ou à le protéger », explique-t-il.
François Bingono Bingono, qui apprécie par « autodérision » d’être appelé « sorcier », a sa petite idée sur cette mode des actes de purification. « Les Africains prétendument cartésiens ont intégré des confréries, des loges maçonniques et des cercles esotériques fréquentés par les Occidentaux. Mais ils se sont vite heurtés au sectarisme de ces derniers et sont revenus aux fondamentaux pour leur quête de spiritualité. »
COTE D’IVOIRE : à chacun son fétiche
Ce fut l’un des premiers gestes des forces pro-Ouattara : détruire les fétiches de Laurent Gbagbo. Les jours suivant la capture de l’ex-chef d’État et de son épouse Simone, le 11 avril 2011, à la résidence présidentielle de Cocody, les Abidjanais ont vu les bulldozers démolir des monuments, notamment au carrefour Saint-Jean à Cocody, à L’Indénié, à Adjamé et à Yopougon-Siporex. Selon la presse nationale, les démolisseurs y ont trouvé des écritures bibliques, des statuettes, des ossements.
En Côte d’Ivoire, les croyances sont tenaces. « C’est enraciné en nous, explique le journaliste Venance Konan. Nous avons presque tous nos fétiches, mais personne n’en parle. » À commencer par les militaires. Les FRCI, mercenaires burkinabè et chasseurs dozos, qui ont aidé Alassane Ouattara à prendre le pouvoir, sont munis de multiples amulettes, bagues, talismans, grigris et coquillages. Des fétiches censés les protéger des balles et leur assurer le succès sur le champ de bataille. Durant la campagne électorale, les deux camps ont également eu recours aux rituels de sacrifice des boeufs et des poulets.
Mercenaires burkinabè et ses multiples « grigris ».
Certains politiques ne peuvent rien décider ni faire sans voir leur féticheur. Félix Houphouët-Boigny, dans les années 1950, envoyait régulièrement un de ses émissaires, Lady Sidibe, pour « consulter ». Cela arrivait notamment lorsqu’il avait une rencontre importante comme avec le général De Gaulle. Si Henri Konan Bédié ne semble pas y recourir, Laurent Gbagbo a demandé la protection mystique des féticheurs de la région du Poro, dans le nord du pays. Mais on raconte qu’en novembre 2004, après l’attaque des Sukhoi de l’armée ivoirienne sur la base militaire française de Bouaké, les vieux sont sortis et ont jeté un sort aux avions de Gbagbo. Quelques instants plus tard, le président français, Jacques Chirac, donnait l’instruction d’abattre les appareils.
GABON : Le monde parallèle
Il a été vice-Premier ministre, président du Conseil économique et social, conseiller à la présidence… Louis-Gaston Mayila, l’insubmersible dignitaire du régime de l’ancien président gabonais Omar Bongo Ondimba, a créé la surprise en posant en tenue bwitie en dernière page de L’Union, le quotidien progouvernemental. Il ne s’est jamais caché d’être un adepte de ce rite ancestral controversé, hérité des Pygmées, qui se caractérise par des incantations, de la musique et des danses très réglementées, sous l’autorité d’un nganga, maître de cérémonie et guérisseur. Cet avocat a même reconnu danser avec la photo du président Omar Bongo Ondimba.
Le Nganga.
Bwiti, vaudou, ndjobi… Ici, religions traditionnelles, sociétés secrètes et cercles initiatiques constituent un monde parallèle dont les liens avec les politiques sont à la fois complexes, étroits et souvent intéressés. Les adeptes se croisent aussi bien dans les temples maçonniques à l’entrée desquels se bouscule l’élite, qu’à la cathédrale de Libreville, où la bonne société communie le dimanche, comme si de rien n’était…
À l’approche d’une échéance électorale, les parents tremblent pour leurs enfants. Des corps mutilés sont retrouvés sur les plages de l’Estuaire, dans la forêt de Nzeng Ayong, le quartier populaire de la ville, ou sur la voie ferrée de la banlieue industrielle d’Owendo. Selon l’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR), 28 enfants ont été tués en 2011. Les adultes aussi sont en danger. Selon les chiffres rendus publics par cette association, créée par Jean-Elvis Ebang Ondo, dont le fils fut enlevé, tué et mutilé en mars 2005, 20 femmes et 14 hommes ont été sacrifiés l’année dernière. Entre janvier et mai de l’année en cours, l’ALCR a attribué 32 décès aux crimes rituels (10 enfants, 7 femmes, et 15 hommes).
Les organes les plus recherchés sont la langue, les yeux, les oreilles et le sexe, prélevés de préférence du vivant de la victime, à en croire le témoignage du féticheur Pierre Allogo, dans le reportage « Les Organes du pouvoir », diffusé dans l’émission L’Effet papillon de la chaîne Canal+ en avril 2011. « Plus la personne souffre, plus le bénéficiaire sera puissant », explique-t-il. L’impunité est presque garantie. Les victimes sont souvent choisies parmi les catégories les plus pauvres. Généralement, les crimes ne provoquent même pas la saisine de la justice. Lorsqu’elle est saisie, les magistrats sont piégés par l’absence de preuves.
Les croyances du Gabon sont bien souvent au centre de la vie politique. Ainsi, pour avoir prévu d’organiser un hommage au député et président de l’Union du peuple gabonais (UPG), Pierre Mamboundou, décédé en octobre 2011, le président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba Ndama, est-il accusé par des militants de l’UPG d’avoir voulu « voler l’âme » du défunt. Des centaines de militants décident d’empêcher ce « forfait ». L’hommage des parlementaires n’a pas eu lieu.
MALI : Satan murmure à l’oreille des politiques
Pour l’état civil, il est Daouda Yattara, né vers 1982, à Markala, dans la région de Ségou. Mais pour le commun des Maliens, il est « Satan », le plus grand féticheur du pays, aussi puissant que le diable lui-même. Un sobriquet qui ne déplaît pas à Yattara, bien au contraire. Il l’a inscrit en rouge sang sur le mur d’enceinte de sa maison, gravé en lettres d’or sur sa Mercedes 500… Et pour ceux qui n’auraient pas bien compris, il répète à l’envi : « Si Dieu est en haut, moi, je suis ici ! ».
Fils d’agriculteurs, ce féticheur soutient qu’il est né avec ses pouvoirs. Et que dès l’adolescence il est parti en apprentissage chez des féticheurs maliens et guinéens. Puis il s’est installé à son compte, il y a une quinzaine d’années. C’est avec une grande fierté qu’il présente son dernier trophée, un fétiche vaudou vieux d’une centaine d’années, offert par les grands prêtres de Ouidah, au Bénin.
Daouda Yattara.
À Sitanèbougou (« le village de Satan », en bambara), sa résidence située dans le quartier populaire de Sébénikoro, à l’ouest de Bamako, le bureau de consultation ouvre trois jours par semaine. Les visites commencent dès les premières heures de la journée.
Mais, depuis quelque temps, les compétences du féticheur se sont étendues à un domaine qu’il dit détester : la politique. « Je n’en ferai jamais, déclare-t-il. Parce que la politique, c’est le mensonge. » Il n’empêche qu’il accepte volontiers de consulter les fétiches, « quand il sent quelque chose de bien chez quelqu’un », explique Étienne Dembélé, l’un de ses assistants. Députés, chefs de parti, ministres, directeurs d’administration… Ils se dépouillent volontiers de leur titre – et de leur prestige – pour se soumettre aux exigences du sorcier.
« Ils viennent de partout, ajoute Étienne Dembélé. Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Gabon, Cameroun… » « Je reçois des chefs de guerre aussi, confie Yattara. Ils viennent se préparer pour les combats. » Bagues d’invisibilité et invincibilité aux balles sont les demandes les plus fréquentes. Des « traitements » pour lesquels il vaut mieux s’installer quelque temps chez le féticheur, dont la maison d’un étage a suffisamment de place pour accueillir une quinzaine de « patients ». Sur demande des fétiches, boeufs, boucs, poulets ou chiens sont immolés au cours de cérémonies parfois spectaculaires. Demandent-ils des sacrifices humains ? « J’ai plus d’une soixantaine de fétiches, dont certains sont très vieux, élude Yattara. Et puis, ce ne sont pas des choses dont on parle au téléphone… » Hors de question non plus d’obtenir des noms. « C’est l’un des grands principes de mon métier, ne jamais livrer les secrets des gens, déclare-t-il. Ils me connaissent, je les connais, ça suffit ! »
En mars 2012 cependant, la presse sénégalaise avait largement commenté son séjour à Dakar, entre les deux tours de la présidentielle. Le féticheur, lui, se contente de dire qu’il se rend souvent dans la capitale sénégalaise, « où il compte beaucoup d’amis ».
Combien coûtent ses services ? « Rien. Il suffit de faire un don, en fonction de ses possibilités », dit-il, en précisant toutefois qu’il ne vaut mieux pas le rétribuer en deçà de ses moyens financiers. « Je peux toujours annuler mon travail… »
Pas de tarifs fixes, donc. Mais s’il suffisait d’évaluer la puissance d’un marabout à son train de vie, Daouda Yattara serait sans aucun doute le meilleur. Son parc automobile compte une demi-douzaine de voitures. Fin juin, il terminera la construction du premier étage de Sitanèbougou, sa résidence principale, tandis qu’une deuxième maison est en cours de construction quelque part à Bamako. Et bien qu’il refuse de dresser une liste complète de ses biens, Yattara avoue qu’il n’a pas à se plaindre : « Une chose est sûre : aujourd’hui, je peux vivre sans travailler jusqu’à ma mort. »
SENEGAL : Maraboutisme dévoyé
Corniche ouest de Dakar, février 2012. Maodo Malick Pouye, un garçon de 6 ans, a été retrouvé égorgé, le corps lacéré, le visage défiguré. Les premiers éléments de l’enquête privilégient la thèse du sacrifice humain. La famille de la victime également. « Le corps de Maodo était méconnaissable avec un gros trou dans le dos, des traces de couteau visibles sur son visage », précise Ndèye Michel, la tante du défunt, la voix étouffée par les sanglots. La méthode est connue des initiés. D’après Oulèye Diaw, une « voyante », « les organes humains, surtout ceux des enfants, sont utilisés dans des rituels de sorcellerie ».
Marabout sénégalais.
Pour la famille du jeune Maodo, ce n’est pas un hasard si la tragédie s’est produite dix-huit jours avant le premier tour de l’élection présidentielle du 26 février. Autre découverte macabre, à seulement deux semaines du second tour : un corps amputé de ses membres inférieurs et de sa main gauche laissé à l’abandon sur une plage de Guédiawaye, en banlieue de Dakar.
La recherche discrète d’organes humains pour des rituels mystiques se poursuit jusque dans les hôpitaux. « On nous demande souvent des prépuces d’enfants circoncis, du placenta, des têtes de bébés mort-nés moyennant une forte somme d’argent », confie un infirmier qui officie dans un grand hôpital de Dakar.
Le fétichisme et la sorcellerie sont à différencier du « maraboutage », très répandu au Sénégal. « On ne réclame pas d’organes humains », précise le président des jeunes marabouts du Sénégal, Sérigne Modou Bousso Dieng. « Les pratiques occultes sont interdites par l’islam et, contrairement à la sorcellerie, le maraboutage se fait sur la base du Coran », ajoute-t-il.
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