Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai commencé à travailler très jeune… essentiellement parce que j’étais revenu d’Angola avec ma mère et mes frères et sœurs, fuyant le terrorisme perpétré par les mouvements indépendantistes des anciennes colonies portugaises. À mon retour au Portugal, le choc culturel fut immense, dû à la différence entre les systèmes scolaires d’outre-mer et du continent, que je n’ai pas réussi à assimiler, ce qui a entraîné un échec scolaire complet. De plus, j’avais laissé mes amis derrière moi, et au Portugal, je n’en avais aucun… Je n’ai pas tardé à commencer à travailler à l’âge de quinze ans, d’abord dans une compagnie d’assurances, puis chez un courtier en douane, avant de finalement m’engager dans la Marine Portugaise, où je suis resté cinq ans et demi, dont quatre à bord du navire hydrographique « Carvalho Araújo ». Ce service militaire, obligatoire en raison des guerres dans les provinces d’outre-mer en Afrique, a profondément forgé ma personnalité et mon caractère.

Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Pendant mon emploi à la compagnie d’assurances « Tagus », j’ai rencontré René Caldevilla, illusionniste amateur et courtier en assurances, qui réalisa mon premier tour de magie : faire disparaître une cigarette allumée grâce à une « tête de hareng ». Impressionné, je lui ai demandé de m’apprendre son secret. Il m’a répondu qu’il ne pouvait me le révéler, en raison de l’éthique professionnelle des magiciens, mais que si l’art de l’illusion m’intéressait, il me présenterait aux bonnes personnes pour m’accompagner dans mes premiers pas en magie.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
On m’a recommandé d’assister à la réunion du Clube Ilusionista Fenianos un mercredi soir, grâce à une carte de recommandation de René adressée à José Fernando Coimbra (Joferk) où j’ai été très bien accueilli comme nouveau membre de la section Illusionnisme du Club Fenianos Portuenses. L’apprentissage était très simple : on me montrait plusieurs tours de magie élémentaires que je devais préparer et présenter la semaine suivante. Mes tours étaient corrigés par les membres plus expérimentés, et je passais ainsi à l’étape suivante : l’apprentissage de nouveaux tours. Si je n’apportais pas mes tours préparés, que je les ai bien ou mal exécutés, les maîtres interprétaient cela comme une simple curiosité pour les secrets, sans véritable intérêt pour l’illusionnisme. En réalité, à seize ans, j’attendais avec impatience le mercredi suivant pour retourner au CIF. C’est ainsi que débuta ce qui allait devenir l’un des chapitres les plus importants de ma vie : devenir illusionniste, il y a maintenant cinquante-sept ans !

Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
J’ai beaucoup appris de Joferk, mais aussi d’autres membres plus anciens qui fréquentaient le CIF depuis plus longtemps. Après une première phase, les « maîtres » ont commencé à me suggérer de créer mon propre numéro, basé sur ce que j’avais déjà appris. Le plus simple était donc de commencer par de petits effets de magie générale, que je travaillais et répétais sur scène, sans lien apparent entre eux, même si j’apprenais aussi des effets issus d’autres disciplines. Jusqu’au jour où j’ai eu la responsabilité de représenter le CIF lors d’un spectacle hors du club, signe que j’étais prêt à me produire seul devant un public. C’était pour moi une grande fierté d’avoir eu cette opportunité et cette responsabilité, et apparemment, je n’ai pas trahi cette confiance, puisque j’ai reçu les éloges de tous pour mes débuts.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ? Parlez-nous de vos créations, spectacles et numéros en solo et avec votre épouse
J’ai débuté à dix-sept ans sous le nom de scène « Kalunga », en hommage au mysticisme et au mystère de la culture africaine, où j’avais passé mon enfance, puis mon service militaire dans la Marine. À partir de 1974 et pendant quelques années, j’ai travaillé seul, proposant des numéros de magie générale que j’ai constamment perfectionnés, sous le nom de scène « Joy ». Après mon mariage avec Madalena, et comme de nombreux couples se produisaient alors sur scène, mon épouse m’a rejoint comme partenaire en magie générale, pour former le duo « Joy & Lay ». Nous avons également créé un numéro de grandes illusions en 1987 sous le nom « Joy & Co. ». Plus récemment, nous avons modifié et remanié notre spectacle de magie, optant pour le nom de scène « Salazars – Magic Show ».



Nous nous produisons à l’étranger, notamment aux États-Unis et en Espagne, ainsi que dans les lieux les plus prestigieux du Portugal : associations culturelles et de loisirs, casinos, restaurants, théâtres, cirques, boîtes de nuit, cinémas, hôtels et grandes scènes de salles de spectacles pour touristes dans les parcs d’attractions. Nous présentons nos numéros en portugais, en anglais et en espagnol. Nous avons également donné de nombreux spectacles pour enfants pendant la période de Noël et pour des entreprises. En plus des numéros de magie classiques, j’ai également réalisé des numéros de close-up, ainsi que des présentations de MC (Maître de Cérémonies), lors de la présentation de divers spectacles, et j’ai aussi participé à l’organisation des artistes en coulisses, en les guidant à leur entrée grâce à un script, comme ce fut le cas pour les concurrents en magie scénique lors de la FISM de Lisbonne en 2000, ainsi que dans de nombreux autres festivals de magie, dont je tiens à souligner le MagicValongo, où j’ai fait partie de l’organisation pendant trente et un ans.
Pouvez-vous nous parler du Clube Ilusionista Fenianos (CIF), la plus vieille association portugaise de magie ? Comment est-elle née ? Quels ont été vos rôles dans cette structure au fil du temps ?
La CIF est née de la TIT (Tertúlia Ilusionista Tripeira), fondée le 31 janvier 1957 par Pires de Carvalho, Falcão de Andrade, Lopes Gaya et Armindo de Matos. En 1958, ils furent accueillis par le Clube Fenianos Portuenses et la section Illusionnisme de la CIF fut créée le 31 janvier 1959. Lors de cette présentation, de prestigieux magiciens espagnols, tels que D. Fernando Maymó Gómez et le Père Wenceslau Ciuró, ainsi que d’autres personnalités, étaient les invités d’honneur. Au cours du déjeuner de bienvenue, les propriétaires de Magiarte, Armindo de Matos et Eduardo Franco, étaient présents, suivi d’une visite des installations de cette prestigieuse maison de magie. Le soir même, un gala d’illusionnisme se déroula dans la Salle Noble du Clube Fenianos Portuenses, en présence d’illustres magiciens nationaux et étrangers. En 1964, le CIF fut admis à la FISM lors du Congrès Mondial d’Illusionnisme qui se tint à Barcelone. J’ai toujours été impliqué dans le CIF, à l’exception d’une interruption de quatre ans due à mon séjour en Angola, et j’en ai été le directeur de 1975 à 1985. J’ai également été directeur du Clube Fenianos Portuenses pendant quatre mandats de trois ans.

Collection de José António Balazar Ribeiro, Museu da Magia Portugal
Comment avez-vous collaboré à la création du magazine A Folha Mágica, la publication du CIF ?
La revue A Folha Mágica est née du besoin d’offrir aux illusionnistes du CIF une publication informative qui consoliderait leur esprit et renforcerait leur cohésion autour de l’art qui les unit : l’illusionnisme. Cette publication, au format très simple, était entièrement dactylographiée, photocopiée et distribuée gratuitement. Elle comprenait des articles tels que l’éditorial, des nouvelles des différents artistes, des explications de tours, des biographies de magiciens, les activités du CIF, et même une rubrique humoristique avec des dessins sur la magie. Elle recevait diverses contributions, et la mise en page et la conception graphique étaient assurées par Ivo de Sousa (Fred Allen), qui faisait toujours preuve d’un grand professionnalisme dans tout ce qu’il entreprenait.
Vous avez organisé des festivals de magie dans les villes de Lamego, Lisbonne, Valongo et Porto. Quand, comment et pourquoi sont nés ces projets ?
J’ai d’abord collaboré comme assistant de scène au spectacle Magicarama de John Calvert en 1975. Toujours co-organisateur : en 1978, les premières Journées Magiques de Lamego ; les Journées Magiques de Lisbonne en 1980 ; le Festival de Magie de Figueira da Foz pendant plusieurs années ; MagicPorto en 1983 et 1984 ; MagicValongo depuis 1994. J’ai été invité à plusieurs reprises sur la chaîne de télévision RTP1 dans l’émission Às 10, ainsi que dans d’autres émissions, et à plusieurs festivals et congrès nationaux d’illusionnisme. Je me suis également produit pendant trois années consécutives, à l’heure du déjeuner, dans le cadre du programme de magie rapprochée de l’hôtel Infante D. Henrique à Porto.

En quoi consistaient vos interventions dans l’émission la plus ancienne de la radio portugaise A Voz dos Ridículos ?
J’ai collaboré dans l’émission A Voz dos Ridículos de 1983 à 2013, date de son arrêt. C’était une émission de radio humoristique, satirique et incisive. Diffusée tous les dimanches de 13h à 14h, elle était préenregistrée le jeudi précédent, puis montée et finalisée. Elle survivait grâce à la publicité radio et à la générosité de ses collaborateurs, qui travaillaient bénévolement.
Pouvez-vous nous parler de vos participations à la FISM de 1976 à 2009, en tant que participant, collaborateur ou représentant du CIF ?
J’ai participé à plusieurs congrès mondiaux de la FISM depuis 1976 à Vienne, en Autriche. J’étais présent à Bruxelles en 1979, à Lausanne en 1982, à Madrid en 1985, à Dresde en 1997, à Lisbonne en 2000, à La Haye en 2003, à Stockholm en 2006 et à Pékin, en Chine, en 2009. J’ai représenté le CIF à Lausanne, à Madrid et au Portugal en 1997.

Depuis quelques années vous vous consacrez à l’écriture de plusieurs conférences lors de divers événements magiques. De quoi s’agit-il ?
Les conférences abordent toujours des sujets variés et reflètent mes nombreuses années d’expérience. J’ai ainsi rédigé : Chop-Cup (2016), en collaboration avec Manuel Alves (Valman) ; Créer un numéro d’illusion (2020), en collaboration avec Peter Sjostedt ; Psychologie et psychiatrie dans l’illusionnisme (2024), en collaboration avec le Conde Ropherman ; Guide des bonnes pratiques pour la gestion des coulisses (2024) ; En 2024, j’ai publié l’ouvrage 65 ans d’illusionnisme, à l’occasion du 65e anniversaire du CIF.

Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
David Copperfield, Channing Pollock, Fred Kaps…
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
La magie générale, la magie rapprochée et la magie sur scène.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Classiques.
Quels conseils et quels chemins recommander à un(e) magicien(ne) débutant(e) ?
Avant tout, il faut être passionné d’illusionnisme. Il faut savoir créer un lien direct avec le public. Étudiez sans cesse ! Répétez énormément ! Lisez tout ce que vous pouvez. Ne vous produisez devant un public que si vous êtes absolument certain de pouvoir l’émerveiller avec vos tours de magie !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Il y a de grands artistes qui ont vu le jour. Je crois que tout a déjà été inventé en matière de nouveaux effets. Tout au plus, on observe de nouvelles présentations de tours. Je préconise des présentations lentes et posées. Je n’apprécie guère de voir un manipulateur de cartes en produire des centaines sur scène en dix minutes, comme s’il s’agissait d’une machine ou d’une « houlette »… À mon sens, les illusionnistes excellent dans l’art de la lenteur, de la précision, de la fluidité et de l’élégance des mouvements, permettant ainsi au public de percevoir les effets de l’illusion par les sens, ce qui est l’objectif premier.


Vous qui avez eu une expérience en Angola lorsque vous étiez enfant, puis comme marin, quelle est selon vous l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Nous sommes entourés de culture ; il suffit d’ouvrir les yeux, d’avoir la sensibilité nécessaire pour la reconnaître et l’esprit ouvert pour s’identifier à la magie qui nous entoure. Être culturel, c’est aussi se tenir constamment au courant et cultiver un esprit critique et constructif. Il s’agit de comprendre la magie comme un moyen privilégié de transmettre des sensations et des émotions aux autres, en l’occurrence, aux spectateurs. Un effet magique qui me surprend peut ne pas avoir le même effet sur un spectateur, car son niveau de perception peut être moins élevé que celui de la personne qui le réalise. Il faut trouver le juste milieu et transmettre le message avec talent et ingéniosité. En tout cas, l’illusionnisme, par essence, possède un langage universel et vise avant tout à susciter la surprise et le divertissement chez le public.

Vos hobbies en dehors de la magie ?
Pendant plus de vingt-cinq ans, j’ai pratiqué le tango argentin et la plongée. Malheureusement, des problèmes de santé m’ont contraint à abandonner ces activités. J’anime également des conférences et des ateliers sur l’histoire, la géographie et l’histoire de l’art du Portugal. Récemment, je me suis présenté à la présidence du conseil municipal de ma paroisse, dans l’optique de m’engager dans la vie civique.
Interview réalisé en novembre 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights : Salazars. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.