Présentez-nous votre compagnie
Rode Boom est une structure Belge créée pour promouvoir des manifestations artistiques dans l’espace public et pour des propositions magiques contemporaines. Fondée en 2006, l’association a à son actif les spectacles Igor (2005), Sprookjesbloesem (2006), Avec ma tête dans l’arbre (2006), If a fish could sing and Darwin was wrong (2007), l’Homme Cornu (2008-2009) et La Ville qui Respire (2011).
Kurt Demey est résident permanent dans cette structure. Il est artiste plasticien, metteur en scène et réalisateur de performances. Dans ses derniers travaux, il explore les méthodes d’illusion psychologique. Les spectateurs, qui jouent un rôle actif dans la représentation, sont confrontés à une expérience surréaliste et inexplicable. De cette « non-réalité » naît une réalité nouvelle au sein de laquelle s’affirme l’univers poétique personnel de Kurt Demey.
Sur quelle(s) thématique(s) travaillez-vous ?
L’Homme Cornu parle des mensonges. Il nous demande si un mensonge nous raconte plus que la vérité. Il nous montre le monde entre les mensonges et la croyance.
La ville qui respire est une balade poétique qui montre comment la ville nous manipule. Est-ce nous qui avons fait la ville ?, ou est-ce la ville qui nous a façonnés ? Quelles sont les histoires secrètes que notre vie inscrit dans cette ville ?
Dans ces deux spectacles, le créateur utilise des techniques du mentalisme comme un outil artistique. Les techniques sont utilisées pour faire vivre une expérience au public qui pose des questions. Dans cette expérience, la fiction du plateau disparaît et donne la place à une nouvelle sorte de réelle.
Parlez-nous de vos spectacles
La ville qui respire est un spectacle-promenade, une espèce de voyage initiatique. Un groupe de spectateurs est constitué de douze personnes. Il suit un guide. Chaque spectateur a un casque afin de suivre la présentation d’une façon auditive. Le son se compose de textes poétiques, de musique, des sons de la ville captés en direct (des détails) et les voix des acteurs. Le support technique (son) fonctionne avec des émetteurs et des récepteurs. Il est donc possible que le groupe soit presque anonyme dans la ville. Un acteur peut également être à distance de son public, dans l’environnement urbain. Grâce au système audio, tout est audible pour les spectateurs. Il n’y a pas de nuisance sonore et les passants ne sont pas attirés par le spectacle. Ils font partie naturellement du paysage urbain. Dans La ville qui respire, c’est la ville qui devient mentaliste. Nous montrons d’une façon poétique comment elle nous manipule, comment elle n’échappe pas aux lois de la nature et comment elle se comporte à l’image d’un corps vivant. Les acteurs sont des chercheurs, pas des scientifiques ! Pas un peuple en blouse blanche, mais des chercheurs poétiques (des pataphysiciens) qui cherchent les évidences inconnues entre les bâtiments, les rues, l’espace public dans la ville. La ville qui respire ne se joue pas dans le cœur d’un festival. Il emmène le public vers des endroits inconnus d’une ville.
L’Homme Cornu emmène le spectateur dans un monde rempli de rituels poétiques dont la frontière entre la fantaisie et la réalité est très mince. Les attributs de L’Homme Cornu ne sont pas des objets réels mais uniquement les pensées de son public. Les pensées des spectateurs sont découvertes d’une manière inexplicable. L’Homme Cornu montre que la suggestion et la communication non verbale est plus fortes qu’on peux croire.
Où s’arrête l’espace public et où commence l’espace intime dès lors qu’il s’agit de lire et de manipuler les pensées et les actions ? Dans les travaux actuels, Kurt Demey explore les méthodes qui témoignent de la quête du surnaturel ou qui expriment une réalité future où la psychologie et la neurologie nous donneraient le pouvoir de lire et de manipuler les pensées de l’autre. À partir d’expériences simples proches de l’illusionnisme, il s’agit de mettre en doute la rationalité ordinaire et d’observer notre fonctionnement mental par rapport à la réalité. Il s’agit aussi de jouer avec notre désir ou notre refus de croire.
Comment intervient la magie dans votre travail ?
Mon travail oscille sans cesse entre un monde visible et un monde invisible. Le visible est représenté comme un monde surréaliste dont les dessous invisibles sont dévoilés au moyen de symboles et d’interprétations. Comme un poème où l’on tenterait de lire des lignes qui n’y sont pas écrites. Je suis sans cesse à la recherche d’un point d’orgue. Une chose qui est toujours là, cachée mais insidieusement présente. C’est en créant ce type d’atmosphère que j’entends détourner les spectateurs de leurs évidences quotidiennes. Je tiens à ce que le spectateur puisse interpréter mon travail à sa manière. C’est pour y parvenir que je recours à un language plastique surréaliste et symbolique, et que je crée délibérément dans le spectacle des failles dans lesquelles les spectateurs peuvent projeter leur propre interprétation. Le signifiant ne se dissimule pas derrière une seule image, mais entre les différentes images, les sons, les odeurs, les actions, etc. L’ouvrage n’est que le commencement d’un poème appelé à poursuivre sa vie dans l’esprit des spectateurs.
Je privilégie les techniques qui font appel aux différents sens. Le travail sur les sens génère un phénomène d’intériorisation qui amène le spectateur à chercher une histoire en lui-même. J’aimerais que l’on lise mon travail avec autant d’empathie et d’imagination qu’à la lecture d’un livre. J’étudie depuis onze ans les techniques de l’illusion et du mentalisme. Ces techniques me permettent de créer un décalage chez le spectateur, celui-ci ayant l’impression qu’il lui manque des éléments pour comprendre une situation. C’est au moment où une évidence vient à manquer que naît la Poésie.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Ma recherche artistique n’est pas fondée sur un système ou une philosophie. Sa construction, son intention sous-jacente et sa poésie ne sont pas étrangères à la Pataphysique de l’écrivain et philosophe français Alfred Jarry (1873–1907). J’adore les propositions des surréalistes Magritte, Broodaerts, etc. Dans les propositions contemporaines, il y a des gens comme Michel Huysmans, David Lynch, Wim Vandekeybus qui m’inspirent.
Avec ma tête dans l’arbre (2006).
Au niveau de la prestidigitation, les techniques m’intéressent, les formes un peu moins. Mais j’adore la manière de penser et les techniques du jeune Collin McLeod, de Luke Jarmay et de Andy Nyman. J’aime également les magiciens classiques comme Annemann et Max Maven. Comme dans la cuisine, j’utilise la connaissance, les techniques des autres pour créer un nouveau menu. Chaque fois, je réinvente la magie. Je commence à créer à parti de zéro, où les techniques des autres magiciens m’inspirent.
Quel regard portez vous sur la magie actuelle ?
Pour moi, la magie est un outil. Je l’utilise comme un peintre qui utilise ses pinceaux. Ce n’est pas la peinture qui est de l’art. Ce n’est pas de l’art parce que le peintre peint. C’est son tableau qui parle, son oeuvre. Dans la magie nouvelle on utilise la magie pour communiquer avec notre public comme dans les autres disciplines, mais dans une façon propre, qui est spécifique pour chaque discipline. Raphaël Navarro m’a parlé de son regard sur la magie nouvelle, de la réalité dans la réalité. « Le détournement du réel dans le réel ». Je trouve cette phrase d’une grande force. L’art a toujours un lien avec l’imaginaire. La magie a son propre lien dans ce cadre. Avec la magie, nous pouvons toucher des choses qu’on ne peut pas toucher avec d’autres disciplines.
A lire :
– Le compte-rendu de L’Homme cornu.
A visiter :
– Le site de la compagnie Rode Boom.
Interview réalisée en avril 2011. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Joris Hol, Kurt Demey. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.