Ce livre nous fait voyager au pays où les objets parlent. L’auteur met en avant cette pratique du récit vivant qui consiste à mettre en scène les objets soumis aux mots, aux yeux, aux mains, à travers le conte. Il nous donne une multitude de conseils (soulignés par des exemples explicites) pour réinventer des histoires, investir l’espace, libérer l’expression, développer l’imaginaire des objets, réunir les langages, conduire un récit vivant, stimuler l’échange avec le public. Et cerise sur le gâteau, un paragraphe entier est consacré aux accessoires de magie et à leur mode d’emploi !
Que fait le magicien-prestidigitateur, sinon « jouer » avec des objets ? Les objets prennent d’autant plus la parole dans un récit vivant qu’ils s’éloignent d’un modèle classique seulement oral. Le langage n’a pas seulement des mots mais aussi une musique, des gestes, des regards, un corps, des couleurs. L’objet produit de la main de l’homme, n’a de magique que d’offrir un support à l’imagination.
Pour l’auteur, le conte est une forme ouverte appartenant à l’histoire du spectacle avant de s’inscrire dans la littérature. Le conte est enclenché quand le récit des histoires provoque des phénomènes d’attention, de projection, de participation.
Nous voyons ici que les attentes sont les mêmes qu’en prestidigitation. Certes, il existe des magiciens conteurs, mais l’action de conter s’étend plus généralement à la manipulation des objets. Car souvent l’objet est, ou devient magique ; il se transforme, change d’aspect… Ses propriétés mêmes le rendent autonome. Il a le premier rôle dans la représentation.
Tout au long du livre, Jean Donagan dicte des grands principes applicables, voir intrinsèques au monde de l’illusionnisme. Tout part de l’histoire à la base. Sans histoire pas de structure et pas d’évasion possible. L’importance donnée aussi à la cohérence (l’imaginaire attache beaucoup de prix à la cohérence, en particulier dans les détails).
Avoir conscience de l’espace :
Le premier objet pour raconter est le lieu. Le champ d’attention est triple : audio, visuel et kinésique. Les paramètres visuels doivent être contrôlés, sinon ils risquent de gêner le spectateur. Selon des expériences en communication, nous retenons 80 % du vu et 11% à peine de l’entendu. D’où l’importance de ce que l’on montre et où on le montre. Bien choisir son cadre de représentation renforce l’effet magique, à méditer…
Réfléchir également à la position que l’on adopte devant le public, assis ou debout. Est-il utile d’utiliser une table ? Tout ça dans le but de favoriser le contact avec les spectateurs. L’espace d’expression peut-être rapproché d’un volume correspondant à une sphère. Le but est de se faire rencontrer « le manipulateur » et le public. C’est le récit vivant qui transforme le lieu et non l’inverse !
Développer l’imaginaire de l’objet :
Il est utile d’apprendre à connaître un nouvel objet en pratiquant d’abord l’examen de ses attributs. Ce qu’on peut en faire viendra ensuite ; L’idée préconçue empêche de voir. Certains objets, en revanche, déclenchent des associations consensuelles. D’autres ont parfois besoin d’un bricolage pour se transfigurer. Un objet doué de personnalité stimule l’imagination. Il peut a priori tout incarner, y compris un concept abstrait.
Réunir les langages d’expressivité :
Il y a trois paramètres importants à définir : Le visuel, le sonore et le kinésique. La bande visuelle héberge le décor, le corps du magicien, ses gestes et ses mimiques. La bande sonore superpose la musique, le bruitage, la voix du magicien et les réactions du public. Enfin, dans la bande kinésique, les déplacements du magicien, l’image animée et les objets manipulés produisent une chorégraphie.
Le visuel :
L’attention de l’œil est facile à orienter sur un objet. Il suffit de le sortir de sa poche, de le désigner du doigt ou simplement de le regarder avec un peu d’insistance. En situation de récit, l’œil se lasse vite. Si on observe la fréquence des changements de plan dans un film, une fois le décor enregistré, il faut qu’il se passe quelque chose. Une image non « artistique » ne capte pas seule l’attention plus de 5 secondes en moyenne. L’objet visuel manque en outre d’opportunité narrative. Il montre tout ensemble ses attributs. Le public a besoin d’être guidé dans le choix de ce qui importe à un moment donné. La relation entre l’objet et le manipulateur est visuelle, tout s’organise avec le cadrage, comme au cinéma. Avancer un objet vers le public, équivaut à un zoom. S’il se déplace avec lui, c’est un travelling, etc…. Toujours penser en terme de cadrage et d’ « effet photo ».
Mettre en avant le public :
Un spectacle se nourrit de la projection du spectateur. Les objets font support de projection et vont faciliter l’échange. On constitue ainsi un trinôme relationnel : le manipulateur, l’objet et le spectateur. La réceptivité est également un élément clé pour faire évoluer la représentation vers une interactivité salutaire. Faire avec l’imprévu permet de la spontanéité, ainsi qu’une vraie marque d’attention envers le public.
Les accessoires de magie :
La règle générale est de détourner les objets. Pour surprendre, les accessoires de magie doivent oublier le tour qui a motivé leur vente. Présentés dans leur fonction, ils n’ont aucun intérêt narratif et réduisent l’imagination. La solution est d’introduire des tours dans des sujets qui parlent d’autre chose. Il est préférable d’approfondir certains tours que d’être toujours à l’affût de la dernière nouveauté. Ce qui produit l’effet magique n’est pas le truc mais le rythme, le décalage entre ce que l’on voit, entend et touche.
A lire :
– Raconter avec des objets, une pratique du récit vivant de Jean Donagan (Editions EDISUD, 2001).