Mise en scène : Eric Didry, Assistant : Rémy Berthier, Scénographie : Elise Capdenat, Lumières : Sylvie Garot, Son : Manuel Coursin. Avec : Carmelo Cacciato, Thierry Collet et Kurt Demey.
Chaque création de Thierry Collet est un événement, tant celui-ci aime surprendre, expérimenter et relever de nouveaux défis dans sa quête de renouveler les codes, le style et la dramaturgie propre à la magie. Sa nouvelle pièce Qui-vive ne déroge pas à la règle, en posant une multitude de questions et en faisant du spectateur un acteur à part entière.
Après le succès d’Influences, qui surfait sur la vague du mentalisme, Thierry Collet a choisi de suivre une autre voie, ne tombant pas dans le piège de la redite et de l’effet de mode. Pour cela, il s’est fait entourer de deux autres illusionnistes : le mime-magicien italien Carmelo Cacciato et le plasticien-mentaliste flamand Kurt Demey. Histoire d’interroger et de confronter différentes expériences, différents points de vue, différentes techniques, différentes approches de la magie, de l’illusion et de la manipulation mentale. Entre démonstrations pédagogico-ludiques et expériences collectives jubilatoires, Qui-vive est un feu d’artifice.
Scénographie
Sur scène sont disposés une grande table grise à plan incliné vers les spectateurs, un pied avec un micro, un écran géant sur roulette et un fond constitué de grands panneaux chromatiques rectangulaires représentants, sur la partie haute, différentes couleurs (bleu foncé, rouge, rose, vert, bleu clair et jaune) et, sur la partie basse, un dégradé du noir au blanc. Une scénographie volontairement minimaliste mais colorée, qui sera renforcée par le travail sur les tenues des trois interprètes (Ah, les chemises psychédéliques !). Ainsi, différents changements s’effectueront au cours du spectacle par le switch des couleurs des panneaux tournants. La perception sera modifiée suivant le remarquable travail de la lumière ! Une expérience plastique et perceptive subtile qui amènera le jeu scénique vers une dimension plus symbolique et plus sensible de la représentation.
Le jeu des gobelets
Les trois magiciens entrent sur scène et se placent en ligne derrière la grande table face aux spectateurs. Thierry Collet présente 3 gobelets (verres) en plastique rouge qu’il montre vides et qu’il place, ouverture vers le bas, un à un sur la table. Trois feuilles d’aluminium sont alors roulées en boule par les trois compères dans un même geste. C’est parti pour l’exécution du tour des gobelets, un classique faisant partie du patrimoine de la magie : une routine agréable à six mains où les boules d’aluminium disparaissent et réapparaissent en dessous des gobelets pour finir par se transformer en gros cube.
Vient ensuite la partie « explicative ». Toute la routine est décortiquée du point de vue technique : faux dépôt, change, faux transfert, double dépôt, jonglage, détournement d’attention. Les trois magiciens expliquent leurs mouvements ; les dialogues se superposent, ce qui a pour effet, au final, de brouiller les pistes.
La routine est remontrée une troisième fois avec l’utilisation de gobelets transparents, sans explications verbales. Progressivement une musique sourde est diffusée dans la salle avec une basse qui claque. Les gobelets transparents et les boules d’aluminium sont mis de côté. La routine est montrée une quatrième fois sans accessoire. Ne subsistent que les gestes mimés. Cette vision est saisissante car elle nous montre tout le travail de placement des corps et des regards pour créer l’illusion. Nous apprenons, alors, bien plus de choses sur le fonctionnement psychologique d’une illusion que sur « les trucs », à proprement parler, des magiciens. A la fin de cette séquence, les gobelets transparents réapparaissent magiquement dans les mains des magiciens, sans que le public ait compris quelque chose. Un vrai détournement d’attention a été réalisé. Les gobelets sont montrés remplis d’eau ! Ils sont ensuite jetés dans le public… mais vides !
La construction de cette routine est remarquable. Commençant comme un simple tour de magie, elle se « décompose » (par les explications et les mouvements), et finit par se dématérialiser petit à petit jusqu’à ce que l’objet « du délit » disparaisse complètement, à l’image des grands verres en plastique qui deviennent transparents puis invisibles. La séquence montre aussi le processus de création d’un tour qui commence par le geste et finit par l’objet. Nous sommes complices des répétitions et des moyens mis en œuvre pour créer l’illusion, loin d’un simple débinage bête et méchant.
Misdirection
Attention séquence culte ! Un écran vidéo est placé face aux spectateurs pour diffuser un tour de magie interactif avec Carmelo et Kurt assis à une table. Kurt éventaille cinq cartes et demande d’en mémoriser une. Carmelo prend une carte, tarot vers le public, qu’il pense être choisie par l’ensemble de la salle. Quand Kurt étale à nouveau l’éventail, la carte choisie a disparu. Les trois magiciens demandent alors le nom de la carte choisie à plusieurs spectateurs ; elles sont au nombre de cinq puisque, toutes les cartes du départ ont changé à l’arrivée.
Thierry Collet demande si d’autres choses ont changé, à part les cartes ? Deux spectateurs se manifestent : « les T-shirts des magiciens, le fond du décor ?… »
On nous propose de revoir le film du côté des coulisses (plan plus large) et de sa fabrication. On s’aperçoit alors de tous les changements qui sont réalisés hors cadre, pendant que l’attention du public est attirée sur le tour de cartes. L’esprit étant concentré et dirigé sur une action précise, il en occulte son environnement. Ainsi, Carmelo change de T-shirt, la nappe change de couleur, Kurt change de T-shirt, le guéridon avec une lampe est changé par une table basse surmontée d’un canard, enfin le fond change de couleur.
La vidéo terminée, nous revenons aux trois magiciens sur scène : « Là, vous avez vu les changements ! » Rire dans la salle car ils viennent de changer de couleur de T-shirt à l’insue du public, focalisé sur l’écran. La fiction rejoint la réalité dans une belle mise en abyme et fait résonance avec la scénographie qui joue la carte de la couleur. On regarde à nouveau la vidéo avec un œil neuf, tout en regardant du coin de l’œil les trois compères sur scène pour qu’ils ne nous refassent pas un tour dans notre dos ; un homme averti en vaut deux !
Basé sur un tour de cartes basic et diffusé à foison sur Internet, l’expérience de misdirection fonctionne à merveille, même quand on connaît le truc. L’œil ne peut pas suivre deux actions à la fois et est prit au piège. Cette séquence rappelle, entre autre, la fameuse expérience dite du « Gorille », conduite à la fin des années 1990 par le psychologue Daniel Simons et ses collaborateurs sur le concept de la « cécité au changement » ou de « l’aveuglement inattentionnel ». Le fait de ne pas voir quelque chose de pourtant manifeste quand on concentre son attention sur quelque chose d’autre. Les individus peuvent manquer d’autres événements pourtant visibles et évidents dans un contexte identique, même quand ils savent que l’expérimentateur va les tromper !
Scrabble
Pendant que Carmelo tient des enveloppes dans ses mains, Kurt fait piocher librement sept lettres de scrabble dans un sac opaque à différentes personnes du public. Ses lettres sont misent dans un gobelet qui est déposé, par Thierry, sur une table aménagée sur scène.
Un spectateur est désigné pour s’asseoir et essayé de constituer un mot avec ces lettres. Pendant ce temps, Carmelo fait mélanger ses dix enveloppes par les spectateurs et les distribuent au hasard à la première rangée.
Trois caisses grises, correspondant à trois groupes de presse, sont disposées sur le plan incliné. Un spectateur est prié d’en choisir une : il s’agit du groupe X….. Cette caisse contient plusieurs magazines destinés à plusieurs tranches d’âges. Les personnes avec les enveloppes se lèvent, les ouvrent et on découvre sur chaque papier une lettre correspondant à l’appellation, dans l’ordre, du groupe choisi au hasard : 1ère REVELATION.
Les magazines de la caisse sont distribués au hasard dans la salle à des personnes qui restent debout. Choix entre les journaux ou les magazines ? « Journaux », choisit un spectateur. Les magazines retournent dans la caisse. Une personne désigne une autre personne avec un journal. Les autres journaux sont remis en caisse. Ne reste plus qu’un journal. Celui ci est déplié et révèle son titre qui correspond au mot constitué avec les lettres de scrabble ! 2ème REVELATION.
Une double page est extraite du journal puis déchirée en mille morceaux par le spectateur lui-même. Tous les bouts sont confiés à une spectatrice qui en laisse tomber quelques uns avant de s’arrêter ou elle veut. Elle repère un mot sur le petit bout de papier sur lequel elle s’est arrêtée, un mot choisi au hasard. Kurt, dos au public, soulève son pantalon et l’on distingue nettement le mot en question écrit sur son mollet : 3ème REVELATION. C’est au tour de Carmelo de retourner sa chemise pour laisser voir le même mot inscrit sur son avant bras : 4ème REVELATION. Enfin, Thierry dégage son épaule pour révéler le même mot ! 5ème REVELATION.
On a assisté à une belle séquence de libre choix apparent où le public a été mené par le bout du nez par nos trois mentalistes dans un crescendo de révélations. Tout a été mis en œuvre pour que le spectateur soit perdu et n’ait aucun point de repère pour remonter le procédé. Un bel exemple de mentalisme collectif, ludique et bluffant.
Equivoque
Le décor s’anime par le pivotement des panneaux colorés qui changent de couleur. On nous prévient : « Pour être magicien, il faut bien connaître l’être humain. La manipulation est partout, qu’elle soit politique, publicitaire, ou utilisée en marketing. »
Sur ces paroles, deux personnes viennent sur scène. Une, reste avec Kurt devant les panneaux colorés et l’autre est assise, auprès de Thierry, à une table. La personne assise mélange 6 cartons colorés qui correspondent aux couleurs du décor. Les cartons sont posés dans l’ordre choisi par le spectateur. Le magicien demande gauche ou droite ? Le spectateur pose la main sur 1 carton. La deuxième personne, ayant les yeux fermés, se dirige vers la couleur choisie ! 1er EFFET.
La personne avec Kurt se place entre deux couleurs de son choix. Thierry demande de faire des tas de 3 couleurs à son spectateur et dirige les opérations pour l’amener à choisir les deux couleurs correspondantes au décor. 2ème EFFET. Cette séquence est passionnante car ont suit le mode opératoire du mentaliste qui dirige le spectateur là ou il veut. Le public est complice de la démarche puisqu’il sait que Thierry a prit connaissance des 2 couleurs du décor. Loin de révéler la technique du choix du magicien, nous assistons à une démonstration de psychologie passionnante.
Les deux mentalistes proposent de refaire cette expérience avec des objets personnels d’un spectateur dans la salle. Celui-ci prend place à la table en compagnie de Thierry et vide ses poches. Lunette, portable, porte feuille, etc. sont placés en ligne. « Kurt, peux-tu prévoir un choix que le spectateur va faire ? » demande Thierry. Kurt s’exécute en écrivant une prédiction sur un morceau de papier qu’il place dans le porte feuille sur la table. Thierry dirige ensuite la séance. Ne reste plus qu’un objet choisi par le spectateur qui correspond à la prédiction.
Pickpocket
C’est par cette transition subtile que Kurt est prêt à attaquer une séquence de pickpocketisme « arrangée ». La personne se relève et Kurt l’aide à remettre ses affaires dans ses poches. Il en profite pour les subtiliser tout de suite sans que la personne ne s’aperçoive de rien. Nous assistons, complices, à une valse d’objets frénétiques. La misdirection joue à plein tube sur fond sonore. Lunette, stylo, carte de crédit, cuillère, porte feuille, mouchoirs, chewing-gum, tout y passe. Lors de la séance, l’utilisation d’un magazine comme écran fonctionne assez bien. Le pickpocket s’amuse et nous avec. Une double complicité s’instaure, et même si la technique n’est pas parfaite, le plaisir est renforcé par l’énergie déployée par Kurt pour amener cette séquence dans une folie communicative. Par trois fois, la personne est obligée de revenir sur scène pour tout récupérer !
L’expérience du son
Armé d’un bol et d’une cuillère, Carmelo va réaliser une expérience sur la perception du son. Une personne est invitée à prendre place sur une chaise disposée sur scène. Carmelo dirige le bol à plusieurs endroits et le fait tinter, autour de la tête du spectateur. La personne doit indiquer l’emplacement d’où provient le bruit. On recommence l’expérience avec, cette fois ci, les yeux fermés : droite, gauche, haut, bas, devant, derrière ? On s’aperçoit alors que le jugement s’avère faux pour certaines positions du bol. L’appréciation n’est plus exacte lorsqu’un sens est occulté. En un mot : « Restons bien les yeux ouverts, pour ne rien manquer ! ».
Récit imagé
Seul sur scène, Thierry Collet mime le récit d’un passage de son précédent spectacle Influences, et sur « l’incident » qui est survenu lors de la séquence de fakirisme.
Résumé des faits : « Nous sommes à Tulle en Corrèze, j’ai une grande aiguille dans ma main et je l’enfonce dans mon bras. J’adore voir la réaction des gens à ce moment ! J’aime bien que ça dure un peu, l’expérience n’est pas douloureuse. Est-ce que quelqu’un a suffisamment confiance en moi pour tenter l’expérience ? Un monsieur vient sur scène et je lui dis que je vais lui transpercer le cou ! Comment dire non ? Soudain, une voix s’oppose à cette expérience. Je vous rappelle que le spectateur est majeur et qu’il est en droit de décider de son sort. La personne monte alors sur scène et réplique que le magicien l’a charmé, ensorcelé, hypnotisé. Elle s’oppose physiquement. Mais la salle se retourne contre elle ; une petite voix intérieure dit allez y transpercez le pour voir ! La masse se retourne contre la spectatrice. Une force contraire, très forte, l’aspire et elle va s’assoire. Au final, je plante l’aiguille dans le cou du spectateur… »
Cette narration, qui pourrait jurer au milieu de l’ensemble du spectacle s’avère pertinente. Il fallait oser raconter une telle expérience qui remet en question l’autorité du magicien envers son spectateur, du manipulateur envers son cobaye. Mais au-delà de ces questions essentielles qui traversent Qui-Vive, la notion de groupe, de masse est on ne peut plus révélatrice des dangers qui guettent certaines actions collectives où le libre arbitre est annihilé au profit d’un aveuglement commun.
Cette expérience volontairement sadique rappelle la problématique du film Fury (1936) de Fritz Lang, où un homme accusé à tort de kidnapping devient la proie d’une horde de fous furieux. Le libre arbitre est en lutte avec les pulsions bestiales, toujours renaissantes de l’homme, et plus encore de la foule.
Reconnaissance faciale
Plusieurs photos de spectateurs sont prisent dans la salle par Carmelo, Kurt et Thierry. Munis d’une tablette, Kurt lance l’application de « reconnaissance faciale ». Chaques photos sont alors retransmissent, une à une, sur un grand écran. Un moyen très original pour débuter une séquence de divination à très fort impact sur le public.
Le premier visage apparaît sur l’écran. Un micro est donné à la personne dans la salle. A la manière d’une cellule de renseignements, les trois mentalistes énumèrent certains points précis de la vie de ladite personne. Sont révélés et devinés : le prénom, le nom, l’activité sportive, les classements lors des compétitions. La spectatrice acquiesce au micro. Pour la deuxième personne : prénom, nom, ville, études, promotion, diplôme, activité. Pour la troisième personne : prénom, nom, ville, animal de compagnie, couleur et marque de voiture, voyages effectués. Pour la quatrième personne : activité sportive, relation amoureuse, achat d’une bague. Pour la cinquième et dernière personne : prénom, nom, ville, et description complète de sa maison, pièces par pièces de façon très précise !!!
Qu’est ce que la magie ?
Les panneaux du décor changent de couleurs et une question essentielle est posée par Kurt Demey à ses deux compères : « Qu’est-ce que la magie pour toi ? »
– « Une conversation avec le mystère » (Thierry)
– « Le sentiment devant quelque chose d’incroyable et d’impossible » (Kurt)
– « Faire croire à des choses qui n’existent pas » (Carmelo)
– « Le fraudeur Bernard Madoff » (Thierry)
– « Des techniques pour tromper les gens comme celles utilisées par les trafiquants de drogue pour cacher leurs marchandises » (Kurt)
– « La main invisible » (Carmelo)
Etc.
La conversation se poursuit et les voix des magiciens commencent à se mélanger, Thierry parlant avec la voix de Kurt et Kurt avec celle de Carmelo, et ainsi de suite. Les points de vues se croisent dans un joyeux entrelacs de paroles, qui voit Carmelo parler en italien, Kurt parler en flamand, et Thierry parler dans un anglais frénétique et caricatural.
« Qu’est-ce que la magie pour vous ? » La question est posée aux spectateurs dans la salle. Certains répondent, mais très vite une autre voix parle à leur place comme s’ils étaient doublés (beau travail sur le son comme dans la séquence des gradins d’Influences).
– « Faire disparaître ma femme ! »
– « Une vue de l’esprit »
– « Pouvoir vous voir disparaître tout de suite, là maintenant ! »
Sur ces dernières paroles, les trois magiciens partent en coulisse.
Par les différentes réponses données, nous voyons clairement que la magie est partout, qu’elle ne se limite pas à une seule définition, à un seul domaine mais qu’elle est encrée dans la société depuis la nuit des temps et que tout le monde l’utilise à différentes échelles et différentes fins : divertir, manipuler, amuser, impressionner, etc.
« Pièces montées »
Pour finir, la pièce de résistance. Les trois compères se placent derrière la table à plan incliné et en face des spectateurs pour commencer une routine de pièces qui apparaissent et disparaissent dans une chorégraphie à six mains (comme la séquence initiale des gobelets).
Ensuite, la routine est expliquée du point de vue technique et psychologique : Lapping, servante, parenthèse d’oublie, fil du regard, temps faible, fausse piste, temps d’avance, fabrication de la croyance, le leurre, faux transfert, empalmage des doigts, subtilité Ramsey.
Pris dans les explications, on ne s’aperçoit pas que Kurt a maintenant 7 doigts à la main droite ! Et que Thierry sort un caillou de sa chaussure après avoir ramassé une pièce par terre, jetée par Carmelo. S’en suit un trip collectif, dans une séquence musicale où les trois compères chantent et dansent et où Kurt est substitué par son double. Fin du tableau « funky funny » explicatif.
Carmelo, seul, derrière la table commence une routine de pièces sympathiques et de matrix. Les 4 pièces voyagent à différents endroits de la table et finissent par disparaître une à une et réapparaître deux par deux, grâce à l’intervention de Kurt et Thierry qui rejoignent Carmelo. Les six mains enchaînent, ensuite, les apparitions de pièces, qui se multiplient à l’infini, dans une belle chorégraphie. Trois marqueurs sont produits de leurs mains et ils dessinent les contours des groupements de pièces pour laisser apparaître une carte du monde où se déplace magiquement une pièce. Fin du tableau et du spectacle.
Pour clore Qui-Vive, Thierry Collet a choisi de faire écho au premier tableau et construire ainsi une symétrie, un cadre logique à la représentation. La routine de pièce est en elle-même répétitive et les charges ne sont pas toujours nettes. Malgré ces réserves, on glisse quand même dans une autre dimension au fur et à mesure que les pièces se placent sur la table. Nous restons surpris par cette production en chaîne, mais un peu sur notre fin pour un final.
Conclusion
Il n’est pas aisé de remettre son travail et ses certitudes en question, surtout quand t-il s’agit de magie, à l’image de certains cercles très fermés de prestidigitateurs qui « gardent » tous leurs secrets pour eux et qui tournent en rond, racontant toujours la même histoire. C’est sur une de ses bases que Thierry Collet a décidé de mettre l’accent. Démystifier certains tours et certaines techniques pour mieux faire réfléchir le spectateur et, au final, le mystifier. Certains puristes crieront à la trahison, de livrer ainsi certains secrets de manipulations et de techniques magiques. C’est qu’ils n’auront pas vu plus loin que le bout de leur nez. Loin des explications purement mercantiles et narcissiques de certains magiciens masqués (ou non), il s’agit ici d’expliquer non pas le « comment », mais le « pourquoi » des choses. L’expérience se situe dans le cheminement et le processus de la misdirection.
Le détournement de l’attention est la grande affaire de Qui-vive ; quelle soit technique ou psychologique. Montrer le « dessous des cartes » pour mieux faire comprendre les mécanismes de la manipulation qui ne s’étend pas qu’au domaine de la prestidigitation. Avec cette approche, le public est mis dans une certaine confidentialité. Il est prévenu de rester sur le qui-vive, d’être vigilant quand aux différentes manipulations qu’il peut rencontrer dans la vie, quelles soient politiques, commerciales ou psychologiques.
Qui-vive est recommandé aux magiciens qui ont un temps soit peu d’ouverture d’esprit, car ce spectacle démontre magistralement que le secret n’est pas au centre de l’illusion. Analysées, mais pas décortiquées, les manipulations gagnent en puissance grâce notamment aux routines volontairement incompréhensibles qui s’y greffent. Cela démontre bien, que même si le grand public connaît certains trucs, il est quand même trompé par ces mêmes trucs utilisés différemment et dans un autre contexte. Tout est une question de point de vu, de mise en scène et de présentation. La magie ne dévoile plus ses trucs, mais sa face cachée : celle du mensonge, de la dissimulation et de la prise de pouvoir.
Il est certain qu’après le spectacle, la majorité des spectateurs auront oublié la description précise de certaines techniques magiques, qui constituent l’arsenal du magicien. L’essentiel n’est pas là, mais dans le côté ludique des expériences, dans la vraie jubilation d’être placé à l’intérieur du processus illusoire et de connaître certaines techniques de manipulations mentales et psychologiques, bien plus que le simple petit « truc ».
Le spectacle est brillant, drôle, remarquablement construit et d’une intelligence rare. On peut néanmoins mettre un léger bémol sur certains placements aléatoires, certaines techniques hésitantes, qui s’amélioreront au fil des représentations, tant il est difficile de diriger trois magiciens et de calibrer les interventions. On ressort de la représentation plus intelligent qu’avant en ayant aiguisé notre esprit critique, mis en garde contre les diverses manipulations que l’on peut subir à n’importe quel niveau. En un mot : toujours rester sur le qui-vive !
A voir :
– Le site de la compagnie Le Phalène.
A lire :
– L’interview de Thierry Collet.
– Influences.
– Dans la peau d’un magicien.
– Que du Bonheur.
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