Lorsqu’on aborde publiquement, par des écrits, les questions de l’occultisme, on est aussitôt assailli (notre ami Sadoul, dans Regards, en a fait la preuve il y a quelques jours) de protestations, de tout ordre et de nombreuses demandes d’explications. Il en est de fort touchantes ; d’autres, le sont moins, d’autres, comme celles que reçut Georges Sadoul, sont carrément cyniques. Je dois avouer que je n’ai pas reçu de lettres aussi intéressées que celle où un fakir proposait à Regards une chronique astrologique. Je crois qu’il est un certain ton ironique qu’il convient d’abandonner lorsqu’on s’adresse à des personnes convaincues. Il en est qui se font une auréole de martyr avec de simples paroles et nous ne voulons pas faire de martyrs, ni forger d’auréolés. Nous savons aussi que bien des honnêtes gens ont cherché dans des méthodes et des mystiques mensongères des consolations à des peines réelles.
Cela ne prête point à rire. Avant d’aborder des questions sinon plus sérieuses, du moins d’intérêt plus général, je tiens à tranquilliser M. Marcel, l’appareil de « radiopsychie », qu’il a vu fonctionner place de l’Etoile, malgré les explications « scientifiques » de celui qui le représentait, n’est qu’un truc de bateleur. On trouve rue Grenela les jeux les plus complets d’horoscopes et de réponses tout préparés. L’art du forain consiste à savoir s’en servir. De même, je puis affirmer à notre camarade Z. G. qu’il n’y a pas, dans le cas qu’il me cite, de transmission de pensée ; toutes les réponses de la femme aux yeux bandés lui étaient dictées par les intonations de son collaborateur. C’est un travail qui nécessite de l’entraînement et, à dire vrai, je ne trouve pas que ces artistes forains volent les deux ou trois francs qu’ils demandent à ceux qui les écoutent. Il suffit de prendre ces spectacles pour ce qu’ils sont : des jeux habiles de la prestidigitation.
Transmission de pensée ou numéro de « double vue » par le Dr Baumgarten (Allemagne 1899).
Je sais aussi que la conscience professionnelle existe chez bien des cartomanciennes et ce n’est point à leur conscience professionnelle que j’en ai, mais à leur profession, à l’ascendant qu’elles peuvent prendre sur des esprits faibles. Les lettres tragiques que j’ai publié il y a quelques jours me sont un bouclier suffisant contre leur indignation. J’ai d’ailleurs poussé le scrupule jusqu’à aller consulter incognito l’une de celles qui m’ont écrit « qu’il ne fallait pas généraliser ». Ses dons supranormaux, comme on dit, ne lui ont pas révélé ma personnalité et ses tarots ont parlé comme n’importe quels tarots, c’est-à-dire au petit bonheur.
Je ne veux pourtant pas être injuste à leur égard. Beaucoup d’entre elles se sont résolues à ce métier parce qu’il fallait vivre. Voici ce qu’écrit une camarade qui a pour amie une cartomancienne :« Elle en est arrivée à ce travail pour tâcher de gagner sa vie, car auparavant elle travaillait en atelier ou mieux en usine, elle faisait des piles pour l’aviation, travail fatigant et très sale qui lui rapportait 2 fr.25 de l’heure. »Il est certain que ce n’est pas toujours de gaîté de cœur que l’on accepte de faire un métier qui a pour base la supercherie, et il y a des cartomanciennes qui sont, elles aussi des victimes. Elles doivent appeler de leurs vœux un état social qui leur permettra de vivre enfin selon leur conscience.
Cartomancienne Tzigane.
Mais qui pourra jamais évaluer ce qu’il y a d’orgueil, de naïveté et d’ignorance dans tous ces pseudo-savants qui m’accusent d’avoir voulu les mettre dans le même sac que fakirs et voyantes ? Quelle volonté tragique d’échapper au réel est la leur ? Quel besoin de se replier sur eux-mêmes ? Quel désir refoulé de puissance chez certains d’entre eux, vaincus de la vie !
M. B., astrologue-philosophe, m’écrit ; « Demandez ce que vous ne savez pas à la nature, elle vous répondra, mais pas à l’homme, qui est le plus bête de la Terre et à qui on doit tout apprendre. » Et il me prie de lui répondre si « ce qu’il écrit est une chose apprise ou un don. » « Un don, cher M. B. n’en doutez pas, un don réel de poète avec lequel la science n’a rien à voir. D’après M. B. « la Lune n’est qu’un Soleil qui fond. Ses croissants ne sont rien d’autre que congélations et dégélations ». La Terre, elle, « comme les poissons, voyage constamment dans l’électricité. Elle ne tourne pas plus sur elle-même en 24 heures qu’elle ne tourne en un an autour du Soleil et de la Lune (sic), car elle n’a pas plus de préférence pour l’un que pour l’autre. Elle est forcée de faire un grand cercle pour chercher sa nourriture. Le Soleil, lui, son rôle est de chauffer, de donner la vie et de filtrer l’espace jusqu’à nous permettre de voir l’univers dans toute sa splendeur » (et le melon a des côtes pour être mangé en famille).
Détail de la couverture de l’hebdomadaire de l’occultisme « Votre Destin » de Maryse Choisy (N°1, 15 février 1935).
« Non, conclut B. philosophe, la vie n’est pas automatique, mécanique, mathématique, mais variable et très variable. Et la preuve c’est qu’il y a 48 ans environ, à Nontron, en Dordogne, je vis une nuit une véritable pluie d’étoiles filantes qui, le lendemain, étaient toutes revenues à leur place. » Mais des poètes comme le philosophe B. sont rares. Plus fréquents sont les gens qui travaillent patiemment, par des méthodes dépourvues, à leur insu, de sérieux scientifiques, à l’élaboration des sciences chimériques. Ce sont ceux-là qui m’écrivent, avec beaucoup de bienveillance, comme M. J. B. de Saint-Etienne. « Contester, c’est facile, ce qui est plus noble à mon avis et d’un plus vif intérêt, c’est d’étudier, ensuite par la pratique, c’est-à-dire à la suite d’expérimentations diverses, de se pénétrer de ce qui est vrai ou faux. Le modeste écrivassier que je suis qui n’est pas un illuminé peut vous dire que ce que l’on cache (occulte) est souvent d’un intérêt plus grand que ne le pense l’ignorant. »
Je ne puis citer toutes les lettres que j’ai reçues émanant de membres de diverses associations spirites ou théosophiques, d’ailleurs cette riche correspondance risquait de m’éloigner du sujet de mon enquête qui ne concernait que les « trafiquants de mystère », c’est-à-dire ceux qui matériellement en vivent. Je laisserai donc volontiers de côté tout ce qui pourrait toucher aux ressorts psychologiques ou sociaux des diverses sectes mystiques et je dirai seulement comment se sont présentées à moi l’astrologie et la radiesthésie qui, des divers commerces de mystère, me semble toucher le plus grand nombre de nos contemporains. Que valent ces sciences que plusieurs lecteurs nous présentent avec tant de respect ?
– Extrait de Trafiquants de Mystère (12ème partie) parue dans journal L’Humanité du 19 janvier 1937.
A lire :
– Des Gris-Gris aux petites annonces.
– Géographie des voyantes.
– Filtre d’amour.
– La devineresse qui questionne.
– La visite au FAKIR.
– Horoscope par correspondance.
– Guérison des maladies.
– Littérature de l’au-delà.
– Parlons d’argent.
– Les Sphinx.
– Confidences des voyantes.
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