Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Un déclic livresque, voilà le début. Il y avait dans la demeure familiale à la campagne de vieux livres brochés, intitulés La Science Amusante de Tom Tit. Ces livres décrivaient des expériences pour les enfants, elles avaient une base scientifique, et étaient amusantes, comme l’indique le titre. Il y avait d’étranges défis dont la solution était astucieuse : faire rentrer un œuf dans une bouteille, faire tenir des fourchettes en équilibre sur le goulot d’une bouteille. Mais surtout beaucoup étaient présentées comme des tours de magie, ce sont celles qui m’ont le plus attiré. Je me rappelle notamment de « comment faire bouillir de l’eau à la chaleur de la main » ou « comment faire échanger le vin et l’eau dans deux verres ». Pour cette dernière, on accolait les ouvertures en ayant recouvert le verre d’eau de gaze de façon à pouvoir le retourner sur le verre de vin. Le vin montait alors de lui-même à travers la gaze simplement parce que sa densité est plus faible que celle de l’eau. Une serviette de table pour cacher le moment du transfert… de la patience et le tour était joué. Le souci était que beaucoup de ces expériences nécessitaient des verres de lampe (à pétrole). Chose fort commune à l’époque où le livre avait été écrit mais beaucoup plus difficile à trouver à l’époque où je le lisais.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Le premier pas a eu lieu, je pense, dans le lavabo de ma chambre de cette maison de campagne avec une expérience du Tom Tit (sans verre de lampe celle-là) : on posait à la surface de l’eau des allumettes censées représenter des enfants qui n’avaient pas envie de faire leur toilette mais qui adoraient les sucreries. On plongeait l’extrémité d’un savon au milieu des allumettes et elles s’écartaient vivement du savon comme si elles le fuyaient. Ensuite on plongeait un morceau de sucre au même endroit et les allumettes revenaient.
Plus sérieusement le premier pas a été franchi pour les noces d’or de mes grands-parents. Tous les cousins avaient préparé des sketches, un de mes cousins et moi avions concocté un spectacle de magie répété pendant des mois et des mois. Le tout inspiré d’un bouquin minuscule de la collection Marabout Flash où nous étions convaincus d’avoir tous les grands secrets des magiciens ; c’était notre grimoire secret que nous gardions jalousement.
Ensuite vint la découverte de la boutique Mayette, puis la recherche de cours de magie. J’ai alors vu chez Mayette un tract pour l’Académie de Magie à l’Olympia de Jean-Claude et Carla Haslé, je m’y suis rendu mais malheureusement, étant pensionnaire en banlieue, je ne pouvais pas assister à tous les cours. Devant mon insistance, Jean-Claude Haslé m’a donné les coordonnées de deux magiciens : Jean Merlin et Dominique Duvivier. Il a ajouté : « Je vous conseille Duvivier, c’est moins cher et c’est mieux. »
Malgré son conseil je me rappelle avoir hésité longuement en me disant : « Quand même, Merlin pour un magicien c’est vraiment bien comme nom ». Et puis finalement, c’est Dominique Duvivier que j’ai appelé. Et j’ai rapidement compris que j’avais trouvé le professeur qu’il me fallait. Une rencontre décisive.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ? A l’inverse, un événement vous a-t-il freiné ?
J’avais 15 ans, je venais de rencontrer Dominique Duvivier et j’ai vite réalisé que je ne savais pas grand-chose. C’est là que j’ai découvert le close-up et la cartomagie. En parallèle je poursuivais mes études et je confrontais de plus en plus dans mon esprit deux modes de pensée. L’un très rationnel dans les études scientifiques qui s’intensifiaient de plus en plus et l’autre plus créatif, plus intuitif. Ne nous cachons pas que du côté familial mon goût pour la magie était de plus en plus mal vu par mes parents au point de ne plus vouloir payer mes cours de magie. N’avais-je pas eu l’audace de leur dire un jour « la magie c’est plus important que les maths » ? Honnêtement, en assénant cette phrase, j’avais bien eu conscience qu’il s’agissait d’une déclaration de guerre totale !
Dominique Duvivier m’avait alors dit : « Tant pis, vos parents ne veulent pas payer, venez quand même et vous ne me payez pas ». Convaincu que cela allait perturber mes parents et les faire changer d’avis, je leur raconte. Résultat, ils m’interdisent d’y aller ! J’étais éberlué mais on est naïf à 16 ans.
Que pensez-vous que j’ai fait ? J’y suis allé mais en cachette. Dominique Duvivier m’offrait les cours ; Christian de Chantérac, un de ses élèves à qui il avait raconté l’histoire lui avait dit : « Quoi ? Ses parents ne veulent pas lui financer ses cours de magie ? Je vais lui payer moi ! » Donc Dominique et Christian m’offraient les cours de magie chacun pour moitié. Et moi plein d’esprit de révolte, je m’y rendais clandestinement.
J’ai donc un conseil à donner aux parents qui veulent détourner leur enfant d’une voie qu’ils estiment inadaptée pour lui. Evitez l’opposition frontale ! Cela peut avoir l’effet exactement opposé. Finalement aurais-je vraiment persisté si mes parents m’avaient simplement laissé faire ?
Je n’ai rencontré Christian qu’une seule fois et bien après. Cette personne que je ne connaissais pas a pourtant fait un geste tellement étonnant et cela pendant plusieurs années, voilà le genre d’aide assez incroyable dont j’ai bénéficié.
Je passe les détails, les années s’écoulent, je finis mes études à l’Ecole Centrale où j’ai surtout acquis la conviction que je souhaite un métier artistique et non d’ingénieur. Un an après la fin de mes études Dominique annonce au groupe d’amis que formaient ses élèves qu’il veut ouvrir un lieu. « J’en suis » et l’aventure était lancée, il a fallu un an pour trouver l’endroit et c’était parti. J’étais loin d’être prêt. Mais j’avais compris que je trouvais tout ce que je cherchais dans ce petit théâtre. Et avant tout le public, c’était ça que je voulais : le public. Le public, si c’était une drogue, ce serait une drogue dure (dépendance certes mais pas d’accoutumance) ! Toucher les gens, les émouvoir, se mouvoir avec eux sur le terrain de l’aventure humaine. C’est ça ! Construire une aventure émotionnelle avec l’autre, un partage. Comment mettre des mots sur cette sensation ? Je ne suis pas un fanatique de magie comme certains, je sais que pour moi c’est avant tout un moyen d’avoir un public et d’échanger quelque chose avec lui de fort. Oui, je crois que cet échange peut être véritablement profond. Je ne dis pas que ce soit le cas à chaque fois, loin de là, mais je crois que le but est là, atteindre ce moment où les gens ne sont plus dans le jugement. En fait j’ai l’ambition de vivre une aventure intense avec mon public qui le transformera à tout jamais. C’est un peu excessif dit comme ça, non ? Eh bien non, ce n’est pas excessif, c’est le minimum ! Le minimum de l’ambition. Je ne fais pas ça pour l’argent ou la gloire ou pour me faire plaisir. Je veux changer les gens à tout jamais. Et tant pis si je n’y arrive pas cette fois-ci, je recommencerai.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je travaille au Double Fond. Je pense qu’on peut dire en toute objectivité que ce sont les conditions idéales, si, vraiment. La chance de faire tout le temps des spectacles dans une salle dédiée au close-up. La chance de pouvoir se produire en spectacle plus d’une heure devant un public d’une cinquantaine de personnes qui voient et entendent dans de bonnes conditions. Pour moi roder un spectacle est important ; je vois des artistes comme Alexandra et Dominique Duvivier qui à la première sont déjà parfaits. Il est évident que j’ai besoin de plus de temps pour sentir mes tours et mes textes. En ce qui me concerne, le Double Fond me permet justement cela : faire et refaire. C’est mon laboratoire.
Cela n’empêche pas que j’aime également faire des spectacles à gauche et à droite, j’apprécie aussi les conditions close-up de table en table. De la même façon qu’on peut aimer un restaurant gastronomique et aussi manger au McDo. Deux plaisirs différents.
Par exemple lorsque j’ai à performer pour une grande salle, je vais vouloir exporter le principe du Double Fond, garder le même contact privilégié avec le public, jouer des interactions avec eux. En bref le Double Fond c’est une école, pas seulement au sens de l’apprentissage mais également comme on parle d’une école artistique, comme l’Impressionnisme. C’est une bonne image finalement, l’Impressionnisme, une école de peinture qui déclare : sortons de l’atelier et allons peindre en pleine campagne à l’air libre. Et cela est rendu possible, parce que la peinture en tube vient d’être inventée.
D’une façon analogue, le Double Fond, et c’était l’ambition de Dominique, rend possible le close-up de scène. Un véritable spectacle de close-up. L’outil, c’est ce lieu qui engendre une école, pas aussi célébrée que l’Impressionnisme certes, mais vous me comprenez, n’est-ce-pas?
Et, un autre point quand on évoque l’Impressionnisme, on pense à Monet, Manet, Renoir, et tant d’autres, des styles tellement différents, des sujets, des approches presque opposés. C’est cela qu’on retrouve au Double Fond, des styles et des personnalités si distincts.
Mais je parle du Double Fond et je n’ai pas dit l’essentiel, bien plus encore qu’un lieu, le Double Fond c’est une troupe. Tous les spectacles ou les tours que je fais sont travaillés ensemble, surtout avec Dominique Duvivier. L’esprit de troupe c’est notamment avoir recours aux autres pour dépasser ses propres limites. Dominique invente des tours pour moi, écrit des textes, ou me donne des conseils sur mes propres textes. Il met en scène mes spectacles. J’ai ma façon de voir et de faire et il sait ce qui me convient. Un travail de troupe je vous disais. Je ne vois pas comment je pourrais avancer autrement. Et pourtant par nos goûts, notre façon de penser, nous sommes si différents dans cette troupe. C’est justement de là que naît notre force, des différences.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Je vais me contenter d’en citer deux. Dominique Duvivier, eh bien oui. C’est logique, j’ai commencé par le voir en tant que professeur puis grâce au Double Fond, en tant qu’artiste. Et je l’ai vu des centaines de fois car pendant longtemps je m’occupais de la régie de ses spectacles. J’ai été marqué par de nombreux moments de sa magie et en particulier un tour, la carte caméléon. J’espère pour vous que vous avez vu Dominique faire ce tour en live, c’est l’un de ses plus connus. Il y a une dimension spéciale, la perte de contrôle du magicien, l’irruption d’une folie rationnelle. La démarche du pauvre magicien reste en effet rationnelle mais dans une réalité étrange. Ma fascination vient du fait que la technique passe au second plan, c’est par le scénario que les spectateurs sont embarqués. Ils rentrent dans ce délire de chercher la carte caméléon. Comme s’ils voyaient un film à grand spectacle. Je percevais bien qu’ils ne se posaient plus la question du comment. Non, ils étaient dans l’histoire eux-mêmes, pas comme des spectateurs mais bien comme partie prenante eux-mêmes, à s’inquiéter d’où avait bien pu passer cette carte caméléon et des catastrophes qu’elle déclenchait. En voyant le visage des spectateurs, je me disais : « c’est ça que je veux. C’est ça la magie.» Cette perte des repères, passer dans un autre monde.
Et puis il y a eu aussi Eugene Burger, qui combinait à sa façon une crédibilité tellement forte et une douce dérision, il nous emmenait tellement loin avec ce fil coupé qui incarnait la destruction et la recréation de l’univers. Tout cela avec ce petit fil devant une salle immense, ça valait plus que tous les effets spéciaux d’Hollywood. C’était fascinant cette vraisemblance totale du personnage qui nous parlait des divinités hindoues, des cycles de destruction et de recréation. Et c’était tellement bien imagé par ce fil brisé qui se reconstituait ensuite. J’étais à la fois pris dans ce mouvement épique, mythologique et pourtant il y avait aussi cette ironie au second degré car finalement toute la cosmologie ne servait qu’à parler d’un bout de fil. Le décalage provoquait quelque chose d’envoûtant.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
La magie qui est magique. Lapalissade apparemment. Mais en fait non. Il arrive que la magie ne soit pas magique. Il faut que cela devienne autre chose qu’une énigme à résoudre ou une prouesse technique. Pour moi c’est la rencontre entre un effet, un scénario et un artiste.
Ainsi mes préférences vont vers le close-up, le mentalisme, la magie en direct. Celle où le spectateur est bouleversé par le magicien.
Dans un monde numérique, « le magicien en direct » incarne cette dimension irremplaçable de la vie au présent.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Si l’on parle de magie, j’ai déjà répondu plus haut, sinon le cinéma qui est une de mes occupations favorites. Le langage cinématographique étant si proche du langage magique. Je pense notamment à ce film Les Evadés sur un scénario de Stephen King. Le cinéma nous balade comme un bon tour de magie peut le faire.
Mais peut-être l’inspiration vient-elle aussi d’ailleurs, l’art est empreint de mystère, et je pense que l’émotion artistique quand on peut l’éprouver nous redonne ce sens du mystère. Ne serait-ce pas cela que le spectateur attend du magicien ? Si l’homme est un être raisonnable car doué de raison, n’est-il pas aussi un être mystérieux car doué du sens du mystère ?
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Mon conseil est : « Ne suivez pas les conseils ! »
Méditez bien cela !
Voilà j’ai toujours rêvé de dire cette phrase. J’espère que vous l’avez prise au sérieux pendant quelques instants.
Elle semble si anodine. Mais si on s’y penche un peu elle est totalement paradoxale. Si vous y obéissez, vous ne suivrez pas les conseils des autres sauf que vous aurez quand même suivi le conseil de ne pas suivre les conseils, donc vous n’aurez pas respecté ce conseil.
Par contre si vous n’en tenez pas compte et suivez d’autres conseils, eh bien finalement vous aurez respecté la consigne puisque vous n’aurez pas écouté le conseil, ce qui était bien le conseil.
Vous voilà pris dans une boucle paradoxale. Vous ne pouvez pas échapper à mon conseil. Hahaha ! J’estime que c’est donc un bon conseil de magicien, non ?
Au-delà de la boutade, le conseil n’est peut-être pas si mauvais. En réalité, il faut trouver notre propre voie. Ceux qui nous donnent des conseils, le font-ils pour eux ou pour nous, savent-ils s’extraire de leur propre système pour percevoir quel doit être le nôtre ? C’est une question à se poser. Si quelqu’un est heureux dans sa magie, il ne cherchera pas forcément à imposer ses vues. C’est alors un véritable pédagogue.
Et bien souvent nous ne sommes pas de bons juges vis-à-vis de nous-même. Ce qui veut dire que nous avons besoin des autres pour nous trouver. Alors nous allons être influencés, à nous de choisir par qui.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Le nombre de spectacles de magie augmente, ça me semble un signe de vitalité.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
La culture c’est ce qui se transmet. Mais tellement de choses ne peuvent être transmises ; les artistes pourtant par leurs œuvres nous permettent d’approcher ces émotions inconnues. La culture nous ouvre alors une porte vers nous-même. Ou alors elle nous enferme, tout dépend comment on la prend. La question est là, comment vivons-nous la culture ? Nous permet-elle de sortir de nous-même ? Une musique, un livre, une peinture, une œuvre architecturale qui nous touche et nous avançons dans ce que nous souhaitons transmettre dans la magie. Il n’empêche que la culture peut aussi nous étouffer. J’ai le sentiment qu’une culture exclusivement magique risque de nous scléroser en engendrant une sorte d’académisme et que c’est ailleurs que nous pouvons trouver une inspiration vraiment vivifiante. Si le rôle du magicien est de dynamiter les certitudes alors ce qui dynamite les nôtres nous met sur la bonne voie.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Le cinéma, la lecture.
– Interview réalisée en mars 2018.
A visiter :
– Le page de Philippe de Perthuis.
A voir :
– Des extraits de sa conférence « Influence et perception » pour les entreprises.
– Un extrait de l’un de ses deux one-man shows à l’affiche à Paris.
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