Laurent Mannoni le rappelle dans son ouvrage de référence (E.-J. Marey, la mémoire de l’oeil), l’inventeur de la chronophotographie s’est aussi intéressé à l’occultisme vers la fin de sa vie. Cofondateur en 1900 de l’Institut psychique international (bientôt rebaptisé Institut général psychologique) dont les pôles d’intérêts étaient la psychologie, la pédagogie, le somnambulisme, la suggestion et la médiumnité, il participa également en décembre 1901 à la mise en place d’un « groupe d’études des phénomènes psychiques » aux côtés d’Émile Duclaux, Arsène d’Arsonval, Henri Bergson, Édouard Branly, Édouard Brissaud, Georges Weiss et Jules Courtier.
La démarche qui sous-tendait cette initiative était la suivante : « Quelle est la part de réalité objective et quelle est la part d’interprétation subjective dans les faits décrits sous les noms de suggestion mentale, télépathie, médiumnité, lévitation, etc. » (Bulletin de l’Institut général psychologique, 1901-2, p. 2-3).
Le groupe en question se proposait d’appliquer aux phénomènes psychiques des « méthodes d’observations précises et d’expérimentation rigoureuse telles que celles qui sont en usage dans les laboratoires », mais ne devint apparemment opérationnel qu’en 1905, soit quelques mois après la mort de Marey. L’instrumentation mise au point par le physiologiste n’en demeura pas moins fort utilisée par la suite.
Dans un récent ouvrage (B. Bensaude-Vincent, C. Blondel [dir.], Des savants face à l’occulte. 1870-1940), Christine Blondel retrace à grands traits les expériences menées entre 1905 et 1908 sur la célèbre médium italienne Eusapia Palladino (1854-1918). Pour l’occasion, Pierre et Marie Curie, Paul Langevin, Jean Perrin, Charles Richet, Henri Chrétien et quelques autres étaient venus prêter main-forte, au moins ponctuellement, à l’équipe de départ. « Une série d’instruments d’enregistrement [avaient été] placés dans une pièce contiguë et reliés par des fils électriques, ou des tubes à air insérés dans des canalisations traversant les murs, à la salle des séances. » (p. 154-155.) Outre l’usage désormais classique à la photographie, « un sténographe [prenait] en notes toutes les paroles prononcées par les membre de la chaîne ou par le sujet […]. Un signal électrique [indiquait] chaque minute écoulée sur un tambour de Marey pour relier les divers enregistrements et les notes du sténographe. »
Lévitation d’une table lors d’une séance avec la médium italienne Eusapia Palladino.
L’idée de soumettre le spiritisme à l’acuité du regard scientifique semble avoir été énoncée pour le première fois par Gabriel Delanne dans son ouvrage Le Spiritisme devant la science (1883). Plusieurs éminents savants, à commencer par l’anthropologue italien Cesare Lombroso, les physiciens anglais Oliver Lodge et William Crookes, et le physiologiste Charles Richet, se penchèrent sur la question dans les années 1890. En 1894, Lodge fut le premier à suggérer la création d’un psychical laboratory doté d’instruments de précision susceptibles de mettre en évidence ce qu’il était alors convenu d’appeler « l’extériorisation des forces psychiques ». L’idée fut curieusement rejetée par la Society of Psychical Research de Cambridge.
Quoique réalisées sous couvert de scientificité, les expériences de 1905-1908 furent – semble-t-il – pittoresques. Jeanne Terrat-Branly rappelle comment son père, « avant les séances, […] examinait longuement et minutieusement les tentures, les tapis, tripotait les fils électriques, soulevait les coussins, afin de voir s’il n’y avait pas quelque supercherie à la base de l’expérience. Il penchait son lorgnon sur les moindres détails. Alors qu’on tenait toujours la pièce dans une obscurité étudiée, il fallait s’attendre à voir Édouard Branly tourner un bouton électrique, quel que fut le moment. […] Aucun corps astral ne se montrait, les disques ne bougeaient pas à distance, les aiguilles non plus, et les tables demeuraient aussi muettes que les carpes de Fontainebleau. » (p. 202-203.)
Christine Blondel précise que le rapport final, illustré de trente photographies et d’une série de courbes d’enregistrement, reçut en 1913 le prix Fanny Emden de l’Académie des sciences récompensant le « meilleur ouvrage sur l’hypnotisme, la suggestion et en général les actions physiologiques qui pourraient être exercées à distance sur l’organisme animal ». Les activités de l’Institut général psychologique se poursuivirent au moins jusqu’en 1933, date à laquelle cessa de paraître son Bulletin.
A lire :
– Histoire de la voyance et du paranormal, du XVIIIème siècle à nos jours de Nicole Edelman. Editions du Seuil (2006).
– Le spiritisme.
– Fantômes spirites.
– Les révélations d’un magnétiseur.
– Prestidigitateurs et parapsychologie.
– Les médiums sont-ils des prestidigitateurs ?
– Le médium spirite.
Extrait de Occultisme et méthode graphique, publier dans le Bulletin de la Sémia n°1 de mars 2002. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Coll. S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.