Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Je ne suis pas de ceux qui ont commencé avec un coffret de magie reçu étant jeune. Ce n’est que vers la fin de mon adolescence que je me suis vraiment fait prendre au jeu et qu’est apparue l’envie de devenir magicien. J’ai eu le déclic autour de mes 20 ans, grâce à une petite démonstration toute simple : la disparition d’un petit foulard sous mes yeux. À ce moment, j’étais dans ce que j’aime appeler « mon autre vie » ; celle où je pratiquais les arts martiaux, et où j’étais certain que cette passion allait guider ma vie pour le reste de mes jours. Mon introduction à la magie a tout simplement changé ma vie.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Le passage aux choses sérieuses s’est fait lors d’un voyage en Californie au début des années 1990. C’est là que ma décision de me consacrer entièrement à la magie s’est vraiment prise. J’y étais pour une tournée des écoles d’Arts Martiaux, mais j’avais aussi en tête d’aller voir la boutique de magie Hollywood Magic. Rendu sur place, j’ai demandé où je pouvais voir de la magie en action. Ils m’ont bien sûr conseillé le fameux Magic Castle, mais n’étant pas membre et n’ayant aucun contact privilégié, je n’avais pas de chance d’y accéder.
Alors, ils m’ont conseillé d’aller sur la 3rd Street, une rue d’amuseurs publics. C’est là que j’ai vu un magicien de rue pour la première fois. Deux choses m’ont marqué : premièrement, il n’avait pas grand matériel avec lui, et pourtant, il avait attiré une très grande foule autour de lui, et l’autre point, il avait gagné de l’argent avec sa prestation. Hum… Je me suis dit : « On peut gagner sa vie n’importe où avec la magie ! WOW ! C’est ce que je veux faire ! »
J’ai appris surtout en lisant et en regardant les autres. Mes premiers livres sont ceux que j’ai gracieusement fait « disparaître » de la bibliothèque locale. Durant des années, j’ai ensuite acheté beaucoup de livres. Tout ce que je pouvais me permettre financièrement y passait. Un jour, j’ai proposé mes services comme vendeur dans une boutique de magie de Montréal. Mon but était précis : Apprendre encore plus ! Au début, j’apportais une VHS (Quoi !? Je suis de ce temps-là !) et un livre presque chaque soir chez moi et j’ai appris beaucoup de cette façon. Sans oublier tous les items de la boutique qui détiennent eux-mêmes certains secrets. Et j’ai aussi beaucoup appris en échangeant avec d’autres magiciens plus expérimentés. C’est en réalisant qu’il y avait tellement de matériel publié et partagé que je me suis dit que je devais moi aussi créer mes propres idées et avoir mon propre répertoire.
« L’important, ce n’est pas de savoir si je triche… l’important, c’est de savoir si je triche bien ! » P.Kuffs
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un événement vous a-t-il freiné ?
Beaucoup de gens m’ont aidé au cours de ma carrière. Mais, si je dois pointer un nom parmi ceux-là, je nomme sans hésité, un monsieur du nom de Michel Noël qui était directeur d’un restaurant-théâtre très connu à Montréal (une ancienne maison érigée au XIXème siècle et qui servait de comptoir d’échange de fourrures pour la Compagnie de la Baie d’Hudson, transformé en salle de spectacle et qui malheureusement ferma ses portes en 2007 (et qui fût détruite en 2014) du nom de La Maison Hantée. Un jour, je suis allé le rencontrer, le directeur (M. Noël) pour lui proposer mon spectacle solo, en lui expliquant mon rêve de présenter mon show dans son établissement. Lors de notre rencontre, il m’avait déclaré m’avoir déjà vue en action et qu’il aimait ce que je faisais, mais que généralement l’endroit ne produisait pas d’autres spectacles que leur propre spectacle. Mais, après quelques jours de réflexion, il m’a informé qu’il aimerait bien présenter mon spectacle quelques semaines pour voir le résultat. Son pari, c’est avéré payant. Je crois qu’il a vu ce que les autres n’avait vue encore en moi et dans ma vision et j’ai eu la chance de présenter 117 fois mon spectacle SOIRÉE MAGIK sur 3 ans dans cette endroit mystique. Ce fût une incroyable école et la chance de vivre ma première longue série de spectacle. Dans mon cœur et pour ma carrière, c’est clair ! Il y a eu un avant et un après La Maison Hantée. Merci Michel, je t’aime !
L’académie de magie Camirand a aussi une grande place dans mon cœur, depuis le jour où son propriétaire, Guy Camirand, m’a offert de partager mon expertise (mon savoir accumulé à ce moment) sur le sujet du Metal bending. Je considère que cette VHS fut ma véritable introduction dans le monde de la magie professionnelle et m’a permis de me faire connaître à un niveau que je n’aurais jamais pu atteindre seul. Merci Guy, je t’aime !
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Mon terrain de jeu préféré est le style cabaret. C’est vraiment dans cet environnement que je suis à mon meilleur. Je peux interagir avec les gens, je peux improviser et selon moi, la magie est plus efficace quand nous sommes proches des gens. La force de la micro-magie c’est de faire vivre la magie au gens de très près et d’entrer dans leur intimité. Le cabaret est pour moi le compromis parfait entre vouloir présenter ma magie devant une plus grande foule, et garder ce coté intimiste avec les gens. Au cabaret comme dans la rue, tout peut arriver ou presque… C’est ça que j’aime. Je sais que je dois rester vif et présent avec mon public, et quand les conditions sont bonnes, j’arrive à vraiment vivre la magie.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Il y a en a beaucoup : Houdini, David Copperfield, David Williamson, Paul Harris, Michael Weber, John Carney, Penn & Teller, The Amazing Jonathan, Barry and Stuart, Jerry Sadowitz, Max Maven, Gaëtan Bloom, Juan Tamariz, Tim Conover, The Amazing Kreskin, Derren Brown, Ricky Jay, Jan Bardi… pour ne nommer que ceux qui me vienne en tête sans réfléchir. Mais la liste est certainement plus longue, ces dernier ne sont pas dans l’ordre de leur influence sur moi !
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Mon premier amour fût pour les évasions. J’ai beaucoup étudié Houdini et les évasions en général. J’ai ensuite « fait mes devoirs » avec les cartes et je me suis rendu compte que j’adore les cartes. J’ai commencé à lire et à regarder tout ce que je pouvais trouver sur la cartomagie. Ensuite est venu mon admiration pour le mentalisme. Pour son coté « vrai » et « stimulant » pour les neurones. Mais, j’ai toujours utilisé beaucoup d’humour dans mes présentations. Et je dirais que c’est encore plus vrai depuis les 10 dernières années ; je laisse beaucoup plus de place à la comédie dans mes performances. L’important pour moi c’est de trouver l’équilibre entre l’humour que j’ai besoin de laisser sortir et le mystérieux que les gens attendent d’un magicien.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Bien sûr, beaucoup des noms que j’ai cité plus haut m’ont beaucoup influencé et inspiré, mais il y a aussi les influences au-delà de la magie, tel le milieu de l’humour ; Charlie Chaplin, Jerry Lewis, Rowan Atkinson, The Monty Python… En fait tous ceux qui ont dédié leur vie à amuser les autres en général sont pour moi d’une grande inspiration.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Premièrement, il faut « faire ses devoirs ». Apprendre et maîtriser notre culture magique, notre histoire et ce que les autres ont partagé, et ce dans divers domaines de la magie. Ce n’est qu’après avoir « digéré » cet apprentissage qu’on se doit de tout réinventer à notre sauce et de « révolutionner » notre propre petit monde. Un autre bon conseil, je crois, c’est de faire le plus de performances possible, et ce dans toutes sortes de conditions inimaginables. Dans le but d’expérimenté le plus possible et de vivre les hauts et les bas du métier de magicien (ce que j’appelle : le mariage… Pour le meilleur et pour le pire !).
Il faut aussi croire en soi-même. Croire en notre propre vision intérieure et faire confiance à nos intuitions. Ne pas avoir peur de l’échec, ni des efforts et surtout ni du jugement des autres. Réalisez aussi que votre performance va rester marquée dans la mémoire des gens pour toute leur vie. Faites donc tout ce que vous pouvez pour que ce souvenir soit une expérience mémorable et inspirante. Et dernier conseil : amusez-vous !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Toute une question ! Je crois que la magie actuelle (malgré sa popularité publique) a perdu son vrai sens : le contact direct avec le public. Aujourd’hui, beaucoup trop de magiciens utilisent le médium de l’écran pour partager leur magie, alors que la magie doit être vécue « en direct », sous nos yeux, et non sur un écran. Voir un magicien faire vivre des expériences à d’autres personnes ne fait que véhiculer un seul aspect de la magie et laisse un goût de faux aux gens. Trop facile de fausser le résultat ! Ce n’est qu’en le vivant vraiment, en personne, que la magie prend une dimension spéciale. L’équilibre entre ce qui se fait devant un écran et ce qui est faisable dans le vrai monde est donc, une chose à bien calculer. Beaucoup de magiciens sont reconnus pour leurs exploits devant l’écran, mais sont incapables de laisser cette même impression « d’incroyable » aux gens dans la vraie vie.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Un must ! Elle nous ouvre la porte sur d’autres visions et nous permet de former la notre. Plus notre bagage sera grand et diversifié, plus notre vision des choses sera précise et pourra véhiculer notre propre message.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’adore lire. Je lis beaucoup et sur différents sujets (loi, texte sacré, spiritualité, psychologie, philosophie, culture général, etc.). Je dessine tout le temps ; c’est presque toujours avec un petit dessin que je commence ma visualisation d’une nouvelle idée. Et je continue doucement de pratiquer et partager en privé, le savoir en arts martiaux que j’ai acquis au fil du temps.
– Interview réalisée en décembre 2014.
A voir :
– Le site de Patrik Kuffs.
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