Voyantes, cartomanciennes, astrologues, fakirs, mages, sorciers, hypnotiseurs, magnétiseurs, spirites, chirologues, guérisseurs, radiesthésiques, envoûteurs, cristallomanciens n’ont pas coutume de se faire gratuitement les intermédiaires entre notre univers et l’au-delà qu’ils inventent. Ils font payer leurs conseils et leurs secrets, ils les font payer cher. Une exploration vraiment complète dans leur royaume coûterait des milliers de francs.
Les prix moyens des consultations vont de vingt à cent francs, pour les cartomanciennes les consultations de cinq et de dix francs sont moins nombreuses qu’on ne serait tenté de le croire, et il ne s’agit alors que de petites voyantes de quartier qui ne font pas de publicité et vivent d’une clientèle attitrée.
Les horoscopes coûtent des sommes que, pour une fois, je me permettrai de qualifier d’astrologiques. J’ai donné dans un précédent article la preuve que les horoscopes à deux ou trois francs que propose la publicité des journaux ne sont que des formules préparées à l’avance, exactement semblables à celles que l’on obtient dans les foires en mettant dix sous « dans le mois que vous êtes nés ». Elles ne servent qu’à raccrocher le lecteur, à l’amener à se faire faire un horoscope plus complet qui sera alors personnel.
Le prix le plus bas est en général de cinquante ou de cent francs, mais on vous annonce promptement la nécessité de toute une série de travaux supplémentaires qui peuvent conduire les gens particulièrement impatients de connaître les pièges de leur destin à dépenser deux cents, cinq cents et même huit cents ou mille francs. Je vous ai dit aussi qu’un petit envoûtement de dernière classe, un petit envoûtement de « mise en train des puissances magiques », ne coûtait pas moins de trois cents cinquante francs. Il y en a à tous les prix. Vous vous souvenez du procès de la dame au million et demi et de la cartomancienne…
Les spécialistes du mystère gagnent donc beaucoup d’argent. Quels sont leurs frais ? Dérisoires. Il n’y a pas de matières premières, la fabrication des fantômes n’en exige pas. Il n’y a pas d’instruments de travail, si ce n’est quelques paquets de cartes, quelques livres, et rarement quelques accessoires. Pour les donneurs d’horoscopes par correspondance, quelques frais de secrétariat qui varient avec le volume de la clientèle. On me dira qu’il est bien juste qu’ils soient rétribués, et que la considération de leur prix de revient n’ait point à intervenir, la valeur de leur travail étant intellectuelle, comme celle des avocats et des professeurs. Inestimable, car l’esprit ne se mesure pas. Mais les médecins, les avocats ont passé des examens, des concours des diplômes et contrôlent leur vie professionnelle.
Il n’existe pas d’Université d’Etat, de « Faculté de Magie » où les cartomanciennes soient tenues de s’inscrire. Je peux, ou vous pouvez vous installer demain n’importe où, clouer une plaque à votre porte et guider dans la vie, au gré de votre humeur et de votre intérêt, les inquiets, les solitaires, les crédules qui viendront vous consulter. Si vous le faites, aucun travail ne vous donnera autant de profits que la fabrication des mensonges et l’exploitation des esprits. Un chef de publicité d’un grand journal, à qui j’ai demandé à combien il évaluait la publicité du fakir persan, m’a répondu : « Une publicité de ce genre représente environ un million par an. Plutôt plus que moins. Car il faut compter par exemple les primes qu’un tel personnage offre tous les ans aux coureurs des Six jours, à ceux du Tour de France… »
On sait que la publicité ainsi faite représente à peu près 25% du chiffre d’affaires. Il est donc probable que le fakir fait un chiffre d’affaires annuel de quatre ou cinq millions de francs. Les astres paient !
On peut ensuite se demander quelle sorte d’impôt paient les fakirs. Sont-ils soumis à la patente ? Sont-ils lourdement imposés ? Et on apprend alors avec stupéfaction que les fakirs et les cartomanciennes ne sont pas soumis à l’impôt sur le chiffre d’affaires parce que leur profession est regardée comme une profession non commerciale ! Pour qu’ils soient assujettis à l’impôt sur le chiffre d’affaires, il faudrait que l’Administration des Contributions directes les impose elle-même dans la cédule des bénéfices industriels et commerciaux, pour la vente d’objets divers tels que sachets, talismans, amulettes. Comme cette dernière imposition n’existe pas, les fakirs et les cartomanciennes échappent totalement au paiement d’un impôt sur leur chiffre d’affaires. Ils sont uniquement imposés à la crédule des bénéfices non commerciaux de l’impôt sur le revenu. N’avais-je pas raison de vous conseiller l’exercice de cette profession sans diplôme, sans crise et sans impôts ?
Mais j’ai voulu savoir si le fakir le plus illustre, qui doit être un bon Français patriote, loyal et scrupuleux, avait déclaré un revenu qui correspondait à peu près à son million de publicité, à ses cinq millions de chiffre d’affaires évalués par les spécialistes. Et j’ai appris que ce célèbre devin a payé en 1935, au titre des bénéfices commerciaux, la somme de 2 945 francs. Ce qui représente, en tenant compte de l’exonération de 10 000 francs, une déclaration de 34 500 francs. De 34 500 francs de revenus à 5 millions d’affaires, la marge est un peu forte. C’est la marge du mystère, qui coïncide cette fois vraiment avec la marge de l’escroquerie.
Il faut terminer sur ce petit détail, qui est peu connu. Ceux qui exercent ces professions de devins ne sont soumis à aucun contrôle, ni en ce qui concerne leur honnêteté, ni en ce qui concerne leurs bénéfices. C’est donc qu’ils ne sont point reconnus par la loi. J’ai voulu savoir pourquoi ? C’est simplement parce qu’ils exercent une profession parfaitement illégale. Car il existe un paragraphe 7 de l’article 479 du Code pénal qui dit « Seront punis d’une amende de 11 à 15 francs inclusivement… les gens qui font métier de deviner et pronostiquer ou d’expliquer les songes. » Voilà des ressources pour l’Etat. Si l’on fait payer les riches, il faut faire payer les sorciers.
– Extrait de Trafiquants de Mystère (9ème partie) parue dans journal L’Humanité du 13 janvier 1937.
A lire :
– Des Gris-Gris aux petites annonces.
– Géographie des voyantes.
– Filtre d’amour.
– La devineresse qui questionne.
– La visite au FAKIR.
– Horoscope par correspondance.
– Guérison des maladies.
– Littérature de l’au-delà.
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