P. T. Selbit était grand, blond, il avait la voix profonde, et il présentait la magie d’une façon très classique. Journaliste au départ jusqu’à ce que le besoin de devenir magicien se fasse sentir, Selbit inversa les lettres de son patronyme pour créer son nom de scène (et enleva un « b »). Il pratiqua en Grande-Bretagne, en Europe et en Amérique. Au début, Selbit fut prénommé « le démon des cartes et des pièces ».Sa carrière de manipulateur de cartes fut brève, cédant la place à la grande illusion. Il se produit alors dans les théâtres de variétés en se spécialisant dans la magie sensationnelle. En plus de ses talents d’homme de scène, Il fut un des plus grands inventeurs de numéros d’illusions de tous les temps.
Selbit avait son propre spectacle qu’il faisait tourner en province au début du XXe siècle. Après avoir eu peu de succès pendant plusieurs années, il obtint finalement un triomphe dans le West End de Londres, au Lyceum Theatre de Sir Irving, qui, à cette époque-là, était devenu un théâtre de variétés. Ceci l’amena, en 1905, à avoir un engagement d’un an et demi au Saint-George’s Hall (la « Maison du mystère ») de Maskelyne et Devant à Londres, en se produisant sous le nom de Joad Heteb, « Le Sorcier du Sphinx » (pseudonyme qu’il porta de 1902 à 1908). Il se produisit au théâtre de Maskelyne et Devant de manière intermittente pendant plus de trente ans.
Il partit ensuite faire une brève tournée en Russie. A ce moment-là, Selbit faisait un numéro muet, déguisé en Egyptien, puis il créa un nouveau tour, Le Mystère Selbit, dans lequel il parlait. On y voyait une quantité de gens apparaître et disparaître d’une petite armoire isolée, dans des conditions apparemment inexplicables qui produisait une grande impression.
Pendant les années suivantes, Selbit créa des douzaines de tours extraordinaires à la fois pour son propre spectacle et pour les autres artistes. Sa meilleure invention fut sans doute la version originale de la femme sciée en deux. Pendant des semaines, de jolies femmes étaient coupées en deux par ses imitateurs sur toutes les scènes de variétés du monde entier. En 1922, après une bataille juridique épuisante aux Etats-Unis, Selbit abandonna son illusion qui n’avait plus rien d’original et se lança dans la création de nouveaux effets étranges de « torture féminine ». Il fit un numéro ou il étirait, pressait puis passait une femme par le chas d’une aiguille, entre autres épreuves horribles (Stretching a Woman, Elastic Lady , Crushing a Woman, The Spiker penetration). Il charchait à prolonger le succès de la femme coupée en deux mais n’y arriva que très modestement. Ses talents d’inventeur ne s’arrêtaient pas à la magie et il savait verser un tonneau de bière sans que la lie ne bouge…
Quand Selbit mourut en 1939, ses tours étaient joués par tous les grands magiciens du monde. Ses illusions sont entrées au patrimoine de la magie et continuent encore à être produites aujourd’hui !
Ses tours les plus marquants
– Electrocution (vers 1908)
Une des illusions de Selbit s’inspirait de l’intérêt du grand public pour la chaise électrique. Un homme était attaché à une chaise puis caché derrière un rideau. Quand le courant était appliqué, il disparaissait. En dépit de l’atmosphère d’épouvante une légende précise qu’il s’agissait purement d’un mystère scientifique, n’ayant rien d’horrible ni de choquant.
– The Wrestling Cheese (1910)
Il y a des illusions scéniques que les magiciens montent pour leur valeur divertissante ou comique plutôt que pour leur aspect mystérieux. Selbit choisit Le Fromage bagarreur (ou l’invincible Fromage) pour ces raisons dans un registre fantaisiste. The Wrestling Cheese était l’imitation d’un fromage énorme, circulaire, fait, en réalité, de métal. Dans le numéro, tous ceux qui essayaient de le pousser trouvaient qu’il résistait et, en fait, se bagarraient violemment avec lui, jetant parfois ses adversaires au sol. A l’intérieur du fromage, et à l’insu du public, (mais certains ont pu le soupçonner) il y avait un puissant gyroscope. Un groupe de six hommes costauds montait sur scène : et à eux tous, ils essayaient de vaincre l’invincible fromage, cela faisait beaucoup rire le public. Quand Selbit eut retiré le fromage de son numéro, Nicola, l’illusionniste globe-trotter, l’acheta pour 5000 dollars. Le navire britannique Sirdhana, qui transportait la troupe de Nicola, sauta sur une mine en entrant dans le port de Singapour, le 13 novembre 1939, et tous les accessoires de scène de Nicola furent perdus. L’illusion de Selbit repose maintenant au fond de l’océan Indien.
– Spirit paintings, Tableaux spirites (1910)
Ces œuvres d’art inhabituelles semblaient se peindre d’elles-mêmes sous le regard des spectateurs. Ce genre de démonstration avait déjà été réalisé par deux médiums de Chicago, les sœurs Bangs. Le secret de ces dernières fut percé par des magiciens et des enquêteurs, puis utilisé plus tard par Selbit sur la scène de théâtres de variétés.
– La femme sciée en deux (1921)
Une femme ligotée était enfermée dans une caisse en bois et retenue par des cordes (par des spectateurs) puis celle-ci était sciée en deux. La femme sciée connut un succès immédiat et inspira d’innombrables imitations. Les versions plus tardives utilisaient des coffres décorés et des appareils spéciaux mais tous les témoignages s’accordaient à dire que la présentation simple et dramatique de Selbit était la meilleure. Ce tour est vite devenu, l’illusion la plus connue au monde et fait partie de l’inconscient collectif. On ne compte plus le nombre de variantes et de version de cet effet mythique. Torturer de belles femmes n’était pas un cliché de magicien, car depuis le milieu du XIXe siècle, aussi bien des hommes que des femmes avaient servi de sujet aux illusions magiques. C’est à partir du début des années 1900 que les femmes furent de plus en plus invitées à « rentrer dans des boîtes » construites sur mesure pour accentuer considérablement l’illusion d’impossibilité. Leur taille et leur souplesse étant deux arguments de taille ! Il est impossible de revendiquer l’invention de la femme coupée en deux car l’idée de l’illusion fut décrite pour la première fois en 1858 dans les Confidences de Robert-Houdin, qui rapportait les propos de Torrini, son mentor de magie imaginaire, qui aurait créé cette illusion.
La même année que Selbit, Horace Goldin, améliora de façon considérable l’effet de la femme sciée en faisant dépasser sa tête et ses pieds de la boîte, qui restaient visibles tout le temps du numéro. Il proposa, quelque temps après, une version encore plus stupéfiante : A living miracle, avec une scie circulaire qui sera à nouveau copiée et reprise dans le monde entier. La femme sciée en deux a aussi, malheureusement, participé à diffuser l’image stéréotypée de l’assistante bonne qu’à servir de faire-valoir et à subir tous les supplices d’un monde dominé par les hommes.
– The Spiker penetration (1923)
Parfois appelée La pelote à épingles humaine ou La fille indestructible, 72 clous d’acier transperçaient une cabine dans laquelle une femme était enfermée, mais hélas elle en sortait saine et sauve ! Cette illusion a été reprise par de nombreux autres magiciens dont Nicola ou Orson Welles (The light box avec des tubes de néon)
– The Girl Without A Middle (1924)
Version modifiée par Carl Owen et Floyd Thayer pour Howard Thurston.
Variation de la femme sans milieu avec un soldat sur la scène de l’Egyptian hall en 1924.
– Million Dollar Mystery (1927)
Avec l’aide de Walter Jeans, Selbit créa cette illusion révolutionnaire qu’il présenta à Londres en 1928. Illusion achetée et reprise, dans la foulée, par Noel Maskelyne, Howard Thurston, Carter et Nicola.
Ses autres créations : The Haunted Window (les gens de l’ombre) où des assistants émergeaient d’une fenêtre vide (1912). The Siberian Chain Escape, The Mile a Minute Mystery…
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°202 (novembre-décembre 2016). Crédits photos – Documents – Copyrights : Collection S. Bazou et Mike Caveney’s Egyptian Museum. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.