Tel est le titre d’un important ouvrage qui vient de paraître à Londres. Il est signé de deux noms qui font autorité, non seulement en Angleterre, mais aussi dans l’universalité du monde magique. Ces auteurs sont : Nevil Maskelyne (1) et David Devant, qui sont deux maîtres justement renommés.
Il n’est pas douteux que ce livre sera lu par la grande majorité de ceux qui s’intéressent à ce qu’on appelle : « La Magie »… faute, sans doute, d’un terme mieux approprié. On voit que les auteurs, en intitulant leur livre : « Notre Magie », n’entendent pas dire qu’il s’agit d’une magie qui leur serait personnelle, mais bien de la magie en général, de la magie actuelle et universelle, ainsi que le démontre savamment le texte de ce substantiel et excellent ouvrage.
Au cours de la lecture que j’ai faite de cet imposant volume de 500 pages, admirablement édité, j’ai eu le plaisir de constater que, dans ses grandes lignes, je suis assez en communion d’idées avec les sympathiques auteurs. Je leur ai vu émettre des conceptions dont je suis, moi même, hanté depuis longtemps déjà et au sujet desquelles j’ai, heureusement pour moi, et depuis assez longtemps aussi, planté de timides mais suffisants jalons, pour ne pas être taxé d’avoir des idées après coup lorsque, comme cela est fort possible, je les développerai quelque prochain jour. Certaines de ces idées pourront paraître hardies, aussi bien de ma part que de celle des auteurs de « Notre Magie ». Ils ne les ont d’ailleurs pas d’aujourd’hui non plus, puisque, dès les premiers mots de leur préface, ils disent :
« En écrivant ce livre, nous atteignons un but que nous poursuivions depuis longtemps ; c’est à dire : la production d’un ouvrage pouvant projeter une véritable lumière que celle ordinairement répandue dans les livres et traités… »
Le désir de tout auteur est toujours de faire mieux. Il est très naturel. Il est bien rare, surtout dans un ouvrage technique, qu’un auteur ne s’efforce pas à se montrer supérieur à ses devanciers, et vraiment, ici, le légitime désir des auteurs de « Notre Magie » paraît très justifié.
Dans son ensemble, ce livre merveilleux plaira, sans nul doute, à tous les esprits sérieux qui sauront se pénétrer de son importance. Si d’autres esprits, plus superficiels, se contentent de parcourir l’ouvrage d’un oeil insuffisamment attentif, ils auront tort, car ils se priveront ainsi de savourer, comme il convient, quantité
de détails dont le fini, la justesse et la délicatesse sont à signaler, tout en n’étant peut-être pas toujours facilement assimilables à tous.
Et encore, je fais sans doute, ici, une supposition gratuite. J’oublie que ce livre est, naturellement, surtout destiné à être lu par les compatriotes des auteurs qui, dans un autre passage de leur ouvrage, nous font savoir que, chez eux : « Le magicien moyen, professionnel, est un homme instruit, éduqué et socialement qualifié pour tenir son rang parmi les membres de toutes professions ».
Ils nous disent aussi, que l’ordinaire magicien connaît un peu de latin, voire même une pointe de grec et qu’il peut, à l’occasion, parler français sans faire frissonner
ses auditeurs. Il faut avouer, et je m’en désespère, que, à quelques exceptions près, nous ne pouvons pas en dire autant. Ces exceptions, cependant, malgré leur peu de fréquence, sont réelles et heureuse ; c’est pourquoi je les signale, et aussi par bonté d’âme, afin de laisser, au plus grand nombre l’illusion de se figurer que, l’exception : c’est eux.
Et maintenant, dirais-je que le livre de MM. Maskelyne et Devant est, non pas incomplet, mais absolument sans défaut. Si je n’en trouvais pas au moins un, ce
ne serait pas la peine de faire de la critique. Si j’ai l’audace d’en présenter un, ce n’est certes pas pour chagriner des auteurs auxquels je n’ai pas à en remontrer
ni, par conséquent, pour paraître mieux avisé qu’eux. Oui, à mon sens du moins, le livre de MM. Maskelyne et Devant a un défaut. Il est trop bien fait. C’est un défaut que, je dois le dire, je n’ai pas encore trouvé dans d’autres livres de ce genre. Ce défaut, qui est si peu commun, sera plutôt considéré comme avantageux par des
esprits plus ouverts ou plus indulgents. Il n’en sera certainement pas un pour tout le monde et très probablement pour personne ; ce dont je ne pourrai que me réjouir.
Il faut dire que ce livre est un ensemble de savants et sages préceptes qui se profusent dans l’ouvrage, et à la hauteur desquels il est possible que je ne sache
pas toujours m’élever. Mais pour moi, et pour moi seul, je veux le croire, cette oeuvre m’apparaît comme trop quintessenciée, si je puis employer cette expression. Comme trop alambiquée, dirai je même. Toujours, bien entendu, à mon avis personnel, et sans préjudicier en rien d’autres avis. Je me suis, parfois, senti égaré dans
cette totalité de détails minutieux, d’explications précises, de digressions éloquentes, d’exemples frappants, de comparaisons heureuses, d’observations judicieuses
et de conseils dont l’excellence et la généreuse profusion me stupéfiaient, et qui, tous, sont marqués au coin de la plus évidente sagacité.
A titre d’exemple, il faut citer la suivante maxime qui porte le n° 22 dans le chapitre IV :
« Nul magicien ne doit jamais présenter en public, aucun acte dont l’exécution ne peut, ou n’a pu être adaptée à son tempérament ou à son habileté personnelle. »
Méditez ce conseil. En est-il de plus excellent ? Ce n’est certainement pas à cette partie de l’ouvrage, qu’on pourra reprocher d’être trop bien faite. Il y a, dans ce simple avis, tout un programme. Il synthétise les qualités que tous devraient avoir. S’il était suivi à la lettre, la prestidigitation serait soulagée des trop nombreuses nullités qui l’encombrent et finiront par la conduire, lentement et sûrement, à un dénouement fatal. Il faut encore citer ce qui suit. Je le fais d’autant plus volontiers que c’est bien en conformité avec l’idée de laquelle j’ai posé des jalons, il y a quatre ans, dans le n°74 de Février 1908 de L’Illusionniste. Dans leur préface, page VI, nos auteurs disent ceci :
« Loin d’éprouver aucune répugnance à laisser connaître, au grand public, les secrets de notre art, nous voudrions ardemment faire son éducation en ces matières, afin de pouvoir répandre une compréhension exacte de cet art, parmi ses fidèles et ses admirateurs. »
Et ils ajoutent :
« Les trucs et ficelles sont comparativement de peu d’importance dans l’art de la magie. On démontrent tout au plus quelque habileté d invention, mais rien de plus. L’effet seul, produit grâce au concours de ces inventions, est de considération et de réelle importance ».
Ceci se passe de commentaires et je veux abréger. Cet ouvrage est un livre d’études à la fois très hautes, très diverses et très poussées. Tout y est passé au crible du plus minutieux examen et pesé au plus sensible des trébuchets. Les implacables auteurs nous enserrent dans tout, et ne nous font grâce de rien. A ce point que dans mon désir de m’identifier à eux et de m’assimiler leur texte, je me suis senti parfois (parfois seulement) comme enlisé dans leurs considérations et arguments, sans pouvoir toujours m’en dégager victorieusement. Ce livre est plus qu’un livre, c’est un monument. C’est une précieuse monographie, c’est à la fois la physiologie, la psychologie et la philosophie de la profession. Je n’ai plus qu’une seule critique à ajouter. C’est que : je voudrais l’avoir fait.
E. Raynaly
Note :
(1) Nevil Maskelyne (1863-1924) est le fils de John Nevil Maskelyne (1839-1917).
A lire :
– Our Magic de Nevil Maskelyne et David Devant. Editions E. P. Dutton & Company, 1911 (première édition).
– L’art dans la magie de Nevil Maskelyne et David Devant (version française). Editions Techniques du Spectacle, 1989.
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