Passionné par le côté artistique de la vie, Vasco Calhandro pratique l’art de la « Statue vivante », depuis quinze ans, sous le pseudonyme d’Oscav. Il parvient à « voyager » de façon immobile et ce sont les pièces, lorsqu’elles tombent dans son pot, qui lui permettent de retrouver la concentration nécessaire pour rester de marbre. C’est à l’âge de trois ans qu’il déménage à Ericeira, la belle terre et plage du Portugal, où il a grandi. Pendant ce temps, il voyage partout dans le monde, s’inspirant de la « Statue vivante » au Brésil. Il vit de nombreuses années à l’étranger, dont dix-neuf au Luxembourg. Récemment, il a été invité à travailler avec d’autres artistes et pour des programmes télévisés. Créateur d’instants et de souvenirs, c’est surtout dans les yeux des enfants – lorsqu’ils contemplent l’homme doré et immobile à la barre – que la valeur de son travail, de son art, se comprend le mieux. À l’impact visuel, il ajoute des messages écrits et bibliques qui servent à remercier ceux qui le récompensent et à élever leur esprit.
Comment et pourquoi avez-vous décidé de devenir un homme-statue ?
C’est à l’âge de dix-sept ans que j’ai commencé la magie. J’étudiais les arts graphiques et mon professeur d’illusionnisme était le propriétaire d’une imprimerie où je travaillais. J’étais passionné par la magie, j’aimais aussi les cirques et l’art du clown… À l’époque j’aimais tout ce qui était artistique. Et puis, à mes heures perdues et les week-ends, j’allais à l’imprimerie prendre des cours de magie, ce qui a lancé ma carrière artistique. J’ai aujourd’hui cinquante-six ans et mon intérêt pour la « Statue vivante » a commencé au Brésil. J’y ai vécu huit ans et c’est là que j’ai vu des artistes pratiquer cette discipline exigeante. Comme elle fait aussi partie du domaine de la magie, j’ai essayé de la pratiquer !
C’est un art difficile ?
Au début, c’était très difficile. J’ai failli abandonner plusieurs fois au bout de dix minutes ! Être là pendant des heures et des heures sans bouger… Par exemple, cinq minutes représentent des heures pour nous ! Parce que tout se passe et rien ne se passe en même temps… Et si la pièce ne tombe pas, on a l’impression d’être là depuis des heures… Quand la pièce tinte dans le pot, c’est comme un repos, un soulagement. Nous avons été « reconnus » pour notre travail. Et puis nous faisons encore cinq minutes. Et c’est toujours comme ça… on a passé une journée entière, pratiquement à faire cinq, cinq… cinq minutes de plus. Cela demande beaucoup d’entraînement et de concentration. Même aujourd’hui, quand je m’arrête, mes reins, ma colonne vertébrale, mes muscles me font mal. Au début c’était pire, j’avais beaucoup de crampes la nuit, je prenais du magnésium, des boîtes et des boîtes d’ampoules, parce que la nuit tout mon corps était en souffrance, mais plus maintenant, fort heureusement.
Quand j’ai étudié la magie à Lisbonne à l’Associação de Ilusionistas, nous avions la possibilité de choisir plusieurs domaines. Moi, j’ai choisi la psychologie appliquée et cela m’a beaucoup aidé par la suite. Il y a beaucoup de physique et de mental dans cet art. Le physique vient et s’améliore avec le temps. Tout le monde qui reste dans une position immobile devient engourdi, moi le premier.
Faut-il bouger pour ne pas s’engourdir ?
Nous fonctionnons à l’envers. Nous devons surmonter et endurer l’engourdissement, parce que ça passe avec la douleur. Un engourdissement arrive, un peu de douleur, et puis c’est normal. Et c’est ce que beaucoup de gens ne peuvent pas faire, surtout de façon répétée.
Peut-on considérer la « Statue vivante » comme un processus méditatif ?
Oui, effectivement je me concentre. Quand j’entends la pièce tomber, je sors de moi. Je remercie la personne en lui donnant ma gratification, mon message. Il y a une coupure bienvenue et j’arrive à récupérer et à me concentrer à nouveau. Dans cette concentration mentale, je navigue, je rentre chez moi, je fais du vélo, je vais à la pêche, je vais me balader, Je vais au café, je voyage. Je suis seul avec moi-même. Je vais dans beaucoup d’endroits par la pensée.
Quand la représentation se termine, ramenez-vous chez vous quelque chose de ce que vous avez vu ou ressenti dans la journée ?
Oui, beaucoup de choses remarquables. Parfois je suis même obligé d’arrêter d’être une statue et de redevenir normal… Un événement m’a énormément marqué ; Cela faisait des années que je n’avais pas vu un de mes collègues qui était venu du Luxembourg exprès pour me revoir. Je regardais en bas, et au lieu qu’une pièce ne tombe, c’est ma carte professionnelle (qui était au Luxembourg depuis quinze ans) qui est apparue ! J’ai pleuré, lui et sa femme ont pleuré, et j’ai dû quitter mon rôle de statue pour les saluer. Parfois, il y a des gens qui pleurent avec les messages que je leur donne. J’essaie de choisir ces messages suivant la façon d’être de la personne.
En plus du côté esthétique et artistique, vous essayez toujours d’encourager les gens ?
Oui, car c’est un art et tout cela fait partie de l’art. Je complète ma performance en récompensant et en marquant la personne. Depuis quinze ans je n’ai jamais vu un message jeté, ou par terre, et beaucoup de gens me disent en passant : « J’ai encore votre message dans mon portefeuille. » C’est touchant et il y a beaucoup de personnes qui me marquent.
Peux-tu nous parler d’Ericeira ?
Je suis né à Lisbonne, mais toute ma famille est originaire d’Ericeira. À tel point que j’ai créé une statue faisant allusion à la mer. Parce que j’ai l’impression d’être à la plage d’Ericeira. Et dans mon travail, j’essaie de faire toutes les côtes du Portugal et de l’Europe, tout ce qui est en rapport avec la mer… Depuis que je suis petit je vais à la plage des pêcheurs, j’ai appris à pêcher et je pêche aussi. Avec la pandémie, je suis retourné à la mer que je n’avais pas revu depuis plus de vingt ans. Maintenant, je vais pêcher la semaine et le week-end je me produit en « Statue vivante » dans la rue.
Quand est-ce que la magie est entrée dans votre vie ?
C’était avant d’intégrer l’armée, plus précisément en rencontrant MAIK MAGIC, qui était mon professeur de Ribamar. Je jouais à des jeux avec mon père, quand j’étais petit et c’est sans doute ce qui m’a fait aimer la magie. Mais je n’avais jamais eu l’occasion de tomber nez à nez avec un magicien et de voir son matériel, c’est ce qui me fascinait.
Ne pensez-vous pas que certains moments de votre travail sont de la pure magie ?
La magie est un peu différente de la « Statue vivante ». Travailler dans la rue de cette façon, ce n’est pas faire de la magie. La magie laisse la personne dans l’attente. La statue c’est plus visuel.
La « Statue vivante » créée aussi des moments « magiques » ?
Oui, j’interprète une statue que je fais léviter dans les airs, qui est un effet d’illusionnisme. Il s’agit d’un gimmick et les gens ne me regardent plus de la même façon, c’est totalement différent.
Combien de temps n’avez-vous pas complètement bougé, même pas un cil ?
Mon record a été réalisé à la maison avec trois heures et quarante-sept minutes. Dans la rue, il est plus difficile d’atteindre ce nombre d’heures. Notre détenteur du record mondial, António Santos est portugais et c’est notre grand maître. Il est lui aussi suspendu à une canne et travaille généralement sur la Rua Augusta à Lisbonne. Il est inscrit au Guinness Book avec dix-sept heures sans bouger !
Avez-vous aimé vivre à l’étranger au Luxembourg ?
Oui. J’avais dix-neuf ans à l’époque et j’ai adoré le Luxembourg. C’était de bons moments avec une culture différente. Et c’est par magie que j’y suis arrivé quand mon maître m’a lancé dans le monde de l’illusion. À l’époque, je pensais qu’à Ericeira je ne pouvais pas faire la « Statue vivante » avec la magie. Alors j’ai pensé à faire des « pealgatas » (mot de cirque synonyme d’acrobaties) ce que font certains magiciens. C’est là que je suis parti et que j’ai marché dans toute l’Europe. Aujourd’hui j’étais ici, demain j’étais là-bas, puis à Porto, puis à Salamanque, en Espagne, à Paris… et j’ai continué à marcher comme ça… jour après jour, à faire de la rue comme illusionniste. Quand je suis arrivé au Luxembourg, j’ai trouvé 80% de portugais dans ce tout petit pays. Il y avait des spectacles tous les jours, le temps passait tellement vite que je ne me rendais même pas compte que j’y étais resté dix-neuf ans !
Les « Statues vivantes » avec des phrases sont-elles nées au Brésil ?
Oui, j’ai été inspiré par cette idée à Belo Horizonte. J’ai vu une statue d’une dame qui était évangéliste et qui donnait des phrases bibliques. J’ai ainsi pensé que je pouvais faire ça pour remercier Dieu parce que je suis croyant. J’ai écrit également des phrases non bibliques. Des phrases qui passent bien, comme : « plus on est reconnaissant, plus il nous arrive de bonnes choses ». Ce n’est pas mon idée mais je l’ai adapté à mon travail. Je pensais que je pouvais aller plus loin que simplement récompenser la personne avec un geste. Comme je ne pouvais pas parler, j’ai alors adapté cette idée de message personnalisé.
Comment avez-vous vécus la période de pandémie à cause du Covid ?
J’ai été enfermé chez moi pendant trois mois. Avant cette époque, je travaillais sur la Rua Augusta à Lisbonne, au quotidien. Un jour, je suis arrivé là-bas et ils ne voulaient pas me laisser travailler, la rue était déserte et j’ai été obligé de rester à la maison, comme beaucoup d’autres personnes.
Y a-t-il beaucoup de concurrence dans le domaine des « Statues vivantes » ?
Oui, il y a malheureusement de la concurrence et de la rivalité. Dans mon cas, je suis l’ami de tout le monde, je n’ai pas d’ennemis. Pour moi il y a de la place pour tous et j’aime aussi d’autres « Statues vivantes ».
La couleur or a-t-elle une signification particulière ?
Peut-être parce que ça brille et que ça attire l’attention. J’ai voulu en faire une couleur unique car presque toutes les « Statues vivantes » sont soit verdâtres soit en bronze.
Combien de temps mettez-vous à vous préparer ?
Il me faut environ une heure pour me peindre, mais enlever la peinture est pire. Je dois d’abord retirer la majeure partie avec des lingettes, puis je dois utiliser un démaquillant, et puis tout se détache. Mais mon visage devient sombre et gras. Le reste part à la maison avec un bon bain 😊
Comment voyez-vous le rôle de l’art et de la culture dans la vie ?
Il est et sera toujours important, car il change la façon dont les gens ressentent, réfléchissent, apprécient et valorisent le Street art. Nous parlons d’une statue, mais cela peut être de la musique, du violon, du saxophone, n’importe quoi. L’art nous soulage intérieurement. Pour moi, tout art est culture. Mais il y a des gens qui ne voient pas les « Statues vivantes » comme de l’art et qui ne nous prennent pas au sérieux.
Avez-vous tous les ingrédients pour être une personne heureuse ?
Oui, même si les jours passent et que j’en fais moins que je ne le voudrais. Avant la pandémie, je travaillais toute la semaine sans jours de repos et maintenant seulement deux jours qui ne me suffisent pas. Mes pauses ont toujours été quand il pleut, maintenant ce n’est plus pareil. Mais, même quand je travaille comme « Statue vivante », parfois la nuit, je recommence à penser, je reste là, « à l’arrêt », en retrait, à assister au mouvement des autres.
Quelles sont les personnes qui vous ont aidé et soutenu dans votre parcours ?
MAIK MAGIC a été mon pilier dans ma vie et m’a lancé dans le domaine artistique. Je veux aussi remercier affectueusement certains de mes collègues artistes, tout particulièrement : Serip, Lanydrack, Salguery, Anork, Dimas… Je remercie également ma petite fille (Isabel Gomes) qui a été d’un grand soutien avec moi. C’est elle qui m’a donné beaucoup de force et sans elle je me serais déjà perdue sur la route. Je suis très heureux de l’avoir à mes côtés et j’en profite pour lui dire que je l’aime énormément.
« Plus nous sommes reconnaissants, plus de bonnes choses nous arrivent ». C’est votre devise ?
Oui, et c’est pourquoi j’ai toujours de bonnes choses qui m’arrivent tous les jours.
– Interview réalisée en décembre 2022.
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