Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Je m’intéresse à la magie depuis l’âge de cinq ans. J’ai été influencé par les tours de magie que me montraient les enfants de mon quartier, et par des films de jeux hongkongais. J’ai alors commencé à apprendre des tours simples à partir de livres de magie pour enfants et je les montrais aux jeunes du quartier. Il faut dire qu’au début des années 2000, la magie n’était pas très populaire au Vietnam. Par conséquent, se procurer des tours et des accessoires de magie de bonne qualité n’était pas facile pour un enfant à bien des égards. J’effectuais donc des tours avec des objets du quotidien tels que des élastiques, des jeux de cartes chinois, etc.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Quand j’étais au lycée, un de mes amis a utilisé le jeu Svengali devant moi. J’étais vraiment impressionné, car pour la première fois de ma vie, je savais que des tours de magie aussi incroyables existaient vraiment, et j’ai pu les voir de mes propres yeux, et non à travers un écran de télévision. Cet ami m’a alors mis au défi de découvrir le secret de ce tour de cartes. Dans les jours qui ont suivi, sans l’aide de Google et YouTube (qui n’étaient pas très populaires au Vietnam à cette époque), j’ai découvert le principe. Mon ami a accepté de m’emmener dans le seul magasin de magie de la ville d’Hanoï. C’est à ce moment que j’ai vraiment découvert les merveilles de la magie. Après ça, j’ai commencé à apprendre en achetant des tours et des accessoires au magasin, et le propriétaire m’apprenait à les exécuter. Mon ami et moi avons échangé des tours, des accessoires et des compétences que nous apprenions ensemble, que ce soit sur Internet, à la télévision ou dans le magasin de magie. Au bout d’un moment, nous avons rencontré un groupe de jeunes passionnés, et ensemble nous avons monté un club d’apprentissage magique.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
La première opportunité qui s’est présentée à moi, comme je l’ai dit plus haut, a été la boutique magique. C’était presque le premier et le seul magasin de magie à Hanoï à cette époque. À l’âge de dix-huit ans, j’ai commencé à travailler comme vendeur et démonstrateur pour cette boutique. J’ai alors eu accès à une grande variété d’accessoires magiques, ainsi qu’à des démonstrations et des tutoriels pour les clients. Dommage que le magasin n’ait pas duré longtemps. J’ai ensuite travaillé pour un autre magasin de magie de 2014 à 2018. Je suis également connu par de nombreux magiciens, en tant que principal vendeur dans l’un des très rares magasins de magie au Vietnam. En parallèle, de nombreux clients m’ont embauché pour présenter des spectacles ou enseigner la magie.
À l’âge de vingt-trois ans, après avoir travaillé assez longtemps dans le domaine magique, j’ai réalisé que la magie au Vietnam n’obtenait pas la reconnaissance qu’elle méritait. Et il y avait de nombreuses raisons à cela, telles que le goût du public, le manque de créativité des magiciens ou le manque de respect et d’éthique professionnelle dans la communauté magique à cette époque. J’ai donc décidé de quitter mon travail à la boutique de magie et j’ai passé un an à réfléchir au développement de la magie dans mon pays. Après cette période, j’ai essayé de trouver des opportunités dans d’autres domaines en essayant d’appliquer les compétences de la magie, et ils m’ont beaucoup aidé. En 2020, un célèbre magicien vietnamien m’a invité à rejoindre sa compagnie, mais après trois mois, j’ai découvert que l’entreprise n’était pas l’endroit idéal pour développer la magie car elle faisait aussi des affaires dans de nombreux autres domaines. J’ai donc quitté ce travail et créé ma propre entreprise magique.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Ayant travaillé dans le domaine de la magie pendant de nombreuses années, exécutant et enseignant la magie de rue, de scène et de grandes illusions, j’ai vite considéré que ma mission était d’inspirer les autres magiciens et d’organiser des réunions communautaires. J’ai fondé un club de magie en 2014, qui a marqué le début du développement de la magie au Vietnam. Aujourd’hui, la majorité des jeunes magiciens, dans la vingtaine, connaissent ou participent à nos activités. Le magicien Trương Công Tuấn, très influent sur les réseaux sociaux, a déjà remporté le premier prix d’un concours magique que nous avons organisé il y a près de dix ans, alors qu’il avait dix-neuf ans. Au cours de cette période, j’ai occupé le poste de directeur exécutif chez Vietnam Magic Company, aidant les magiciens à créer des spectacles et des performances de magie. De plus, j’enseigne actuellement la magie à l’école bilingue internationale Hanoï Academy.
Présentez-nous la Vietnam Magic Company
Avant de parler de la Vietnam Magic Company, il faut tout d’abord aborder l’état de la magie dans mon pays. Avant les années 2000, être magicien au Vietnam était un travail extrêmement difficile à réaliser. Seul un très petit nombre de magiciens travaillaient dans les fédérations de cirque dirigées par l’État. Le lent développement d’Internet au Vietnam nous a rendu très difficile l’accès à la culture magique dans le monde. La seule approche de la magie passait par certains livres pour enfants, de très mauvaise qualité en termes de contenu.
À partir de 2008, la magie au Vietnam a vraiment commencé à se développer, avec l’apparition de clubs de magie, de boutiques et un accès privilégié à la magie mondiale via Internet. Malgré ça, aujourd’hui, la magie vietnamienne est encore extrêmement en retard par rapport au reste du monde. Cela est dû à de nombreuses raisons, notamment l’absence d’une culture du divertissement chez le public, le manque de créativité des magiciens et la dépendance à l’égard d’accessoires chinois bon marché. Tout cela fait que la profession magique au Vietnam ne reçoit pas assez de considération et de respect et qu’elle n’a pas de revenu stable. Ce contexte provoque des conséquences malheureuses et de nombreux magiciens talentueux doivent abandonner leur carrière.
La Vietnam Magic Company a été créée en 2021, avec la volonté de développer l’art magique dans notre pays. Ici, nous coopérons avec les magiciens, les aidant à construire des numéros, à promouvoir leur image ainsi qu’à aider la société à mieux connaître la magie. Nous nous efforçons également de convaincre les magiciens vietnamiens d’abandonner les performances stéréotypées depuis des décennies, et la façon dont ils imitent presque à 100% le répertoire magique dans le monde. Au lieu de cela, nous les aiderons à changer et à créer leur propre spectacle de magie pour s’adapter à la majorité des publics. Nous faisons de notre mieux pour créer du travail, des revenus, de la reconnaissance et le respect que les magiciens méritent. À ce jour, nous sommes la première et la seule entreprise au Vietnam spécialisée dans la magie professionnelle.
J’ai très vite réalisé que la magie est plus qu’une simple performance, et qu’elle peut aussi devenir un outil avec un ensemble de compétences pour n’importe quel autre travail. Par conséquent, en plus de former et de soutenir des magiciens professionnels, nous organisons également des cours de magie amateur pour les enfants et les adultes, non pas pour qu’ils deviennent magiciens mais pour qu’ils développent la magie comme passe-temps et ainsi ancrer cette discipline dans la culture et la société vietnamienne. Dans un avenir proche, nous souhaitons également devenir un fournisseur professionnel d’accessoires de magie, en signant des contrats avec nos principaux collègues dans le monde. Malheureusement, à l’heure actuelle, cela ne s’est pas encore réalisé. Le vol des droits d’auteur, la contrebande d’accessoires et le téléchargement illégal de vidéos au Vietnam sont toujours d’énormes problèmes pour développer un système transparent et une économie saine.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Il est impossible de ne pas mentionner David Copperfield, qui a inspiré la plupart des générations de magiciens. La façon dont il s’est produit scéniquement et son répertoire, ont marqué le monde de façon admirable. Personnellement, je pense que beaucoup d’autres magiciens, au Vietnam ou dans le monde, sont extrêmement impatients de pouvoir un jour réaliser les mêmes choses que David Copperfield. Une autre personne qui m’a tant inspiré est « le magicien des magiciens » Daryl Easton. En plus de sa façon de jouer, délicate et impressionnante, il avait une compréhension très profonde de l’art magique et une manière très personnelle de le transmettre. Ses tutoriels ont tous une analyse très approfondie et des explications extrêmement précises. Il savait comment attiser la passion d’apprendre la magie chez les autres.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Le style de magie que je trouve le plus attrayant est le répertoire magique adapté à la culture du public de chaque région, utilisant des objets familiers de la vie quotidienne. Je préfère les bonnes surprises et l’humour tout en profitant d’un spectacle de magie plutôt que les performances qui créent une tension mystérieuse.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Je ne sais pas trop d’où viennent mes influences artistiques. Je viens d’une famille militaire et sportive. La magie au Vietnam n’a pas vraiment eu d’impact sur la société. Je pense que je poursuivais simplement les rêves d’un enfant et, en tant qu’adulte, j’étais passionné par la recherche, l’apprentissage, l’impression des autres et l’inspiration de la magie.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Rappelez-vous toujours que la performance magique consiste à travailler pour le public. Vous pouvez faire ce que vous aimez et le maîtriser, mais vous devez faire passer les attentes du public en premier. Le public ne se souciera jamais de savoir si vous avez dépensé dix ans ou dix jours, dix millions ou dix dollars pour un spectacle de magie. Il ne vous aimera que si votre performance les impressionne. Concentrez-vous donc sur la façon dont vous présentez un numéro, plutôt que sur son exécution.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
En plus d’être magicien, je suis aussi PDG. Actuellement, le contexte mondial n’est vraiment pas simple. Après la crise du Covid-19, c’est maintenant la crise économique et la guerre en Ukraine. Par conséquent, l’industrie du divertissement, et la magie en particulier, sont affectées. Parallèlement au développement des réseaux sociaux et des technologies de télécommunications, de plus en plus de personnes ont tendance à apprécier l’art à travers les écrans. Ce phénomène est un grand défi pour magie car les gens ne passent plus beaucoup de temps à venir voir des spectacles en live. À une époque où les effets vidéo ressemblent de plus en plus à la réalité, les illusions créées par la magie n’auront plus autant de valeur qu’autrefois. La technologie a changé la façon dont les gens interagissent les uns avec les autres ; ainsi l’art magique doit changer et se développer dans la bonne direction pour continuer à être un art largement connu et reconnu. Au cours de cette décennie, nous avons vu beaucoup de tours de magie avec des applications mobiles, de la magie numérique, l’utilisation d’hologrammes, l’interaction avec des écrans LED, et plus encore… Je pense que la magie devrait continuer à évoluer dans cette direction, mais d’une manière ou d’une autre, elle devra s’adapter plus rapidement et plus puissamment.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
J’ai beaucoup parlé de la magie au Vietnam, un petit pays en plein essor. Pour un pays en développement après une guerre, les gens ont peu d’opportunités et ont besoin d’accéder aux arts et aux divertissements. L’ironie est que si votre public n’apprécie pas les disciplines artistiques, votre performance, aussi unique soit-elle, n’a pas de valeur pour lui. C’est la raison pour laquelle tant de jeunes magiciens abandonnent leur carrière, lorsqu’ils doivent consacrer beaucoup de temps et d’efforts pour concrétiser un spectacle, mais ne sont pas suffisamment reconnus par les spectateurs. Il faut donc être conscient de la culture de son public avant de décider ce que l’on doit ou peut faire. Il fut un temps où, au Vietnam, quand vous approchiez quelqu’un et disiez que vous vouliez lui montrer de la magie, sa première réaction était de saisir son portefeuille et de rester loin de vous, même si c’était dans un endroit public. Je dois remercier les applications TikTok et YouTube, car ils ont aidé de plus en plus de gens à connaître et à être curieux de la magie.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’ai l’habitude, en plus de la magie, d’étudier les modèles commerciaux et financiers car je suis moi-même un homme d’affaires. Actuellement, je passe du temps à apprendre le fonctionnement des réseaux sociaux et la manière la plus efficace de les exploiter pour mes activités professionnelles. Je participe également à des programmes de formation pour l’enseignement. Et pendant mon temps libre, j’aime jouer au billard.
– Interview réalisée en mars 2023.
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