Collaboration artistique : Romain Thunin. Création digitale : Augmented Magic . Sponsor : DELL, Inc.
« Quand l’histoire de la magie rencontre la technologie », tel est le sous-titre révélateur du premier spectacle de Moulla Diabi (né en 1988), magicien et ingénieur diplômé de l’ESIEA (École supérieure d’informatique, électronique, automatique) et spécialiste de la réalité virtuelle.
Pendant ses études, Moulla travaille la relation entre la magie et les nouvelles technologies. Il fonde ensuite la société Augmented Magic, avec son associé Clément Rignault alias Gamgie, en partant d’un constat simple et évident : les nouvelles technologies sont partout autour de nous, elles sont l’avenir. Pourquoi ne pas créer un spectacle de magie qui les utilise ?
De tout temps, les magiciens ont utilisé les progrès techniques dans leur répertoire, souvent en précurseurs et à l’insu des spectateurs, comme avec les sciences physiques, les machines optiques, la mécanique, l’horlogerie, l’électricité, l’électro-aimant, le télégraphe, le télégramme, le téléphone…
Aujourd’hui, à l’ère du numérique, des tablettes tactiles et des smartphones, beaucoup d’illusionnistes utilisent ses supports populaires pour produire de nouveaux effets magiques.
La réalité virtuelle et la réalité augmentée offre une immersion inédite dans un monde parallèle troublant de réalisme. Avec Miracles, Moulla propose une « magie augmentée » (effet de 3D en temps réel, Motion graphic, RV, dispositif immersif), un mélange de magie et des technologies de l’image avancées.
Avant spectacle
Avant même que le spectacle commence, les spectateurs sont invités à se connecter sur un serveur en WIFI via leur téléphone portable pour « jouer avec des lucioles » qui sont projetées sur un grand écran vidéo sur scène. Le public peut ainsi « piloter » une luciole lumineuse qui fait apparaître le titre du spectacle en forme de puzzle puis différents fonds d’écrans assez discutables.
Introduction
Le rideau de scène se ferme et s’ouvre sur l’écran qui met en animation le titre du spectacle. Moulla apparaît accroupi au centre de la scène dans un costume muni de diodes lumineuses.
Il saisit une à une ses diodes et les envoie dans différents endroits de la scène. « Ou est-ce que je suis ? » dit-il.
Il produit une bougie sous un foulard, qui disparaît ensuite (?!). « Je suis au Palais des Glaces, dans la réalité. »
Après cette entrée en matière un peu gauche, Moulla interroge les spectateurs : « Qu’est-ce qu’un miracle ? Ce qui n’est pas scientifiquement explicable. »
« Si je prends cette luciole et que je la mets dans l’écran, ce n’est pas explicable. Si je transforme de l’eau en vin, ce n’est pas explicable… »
Moulla réalise tout une série de « miracles » et finit par « arracher » quelques lettres virtuelles de l’écran, du mot MIRACLES, pour les produire en vraie sur scène. Le reste des lettres s’animent pour former le mot MAGIE.
Magie moderne
Moulla interroge de nouveau les spectateurs et leur demande à quoi leur fait penser le mot MAGIE ? Nous avons alors droit à tous les stéréotypes du genre : le lapin, la colombe, le chapeau, la baguette, les foulards, les cartes, les anneaux chinois, Garcimore… des mots qui s’affichent en temps réel sur l’écran sous forme de dessins.
Moulla : « Ça, c’est la magie des années 50 qui se fait comme ça… » Le magicien prend un chapeau haut de forme et saisit l’image du lapin de l’écran qui réapparaît sous forme de peluche dans le chapeau.
Moulla : « J’adore la magie des années 60 et 70. » Sur un fond projetant un décor de salle de théâtre et sur une musique de cabaret, le magicien enchaîne alors différentes routines classiques de magie moderne comme les cordes (deux cordes en une), la production de foulards en cascade et l’apparition d’un grand foulard paon. Les anneaux chinois, la production de cartes qui finit par une cascade sortant du chapeau, le foulard transformé en canne, le ruban qui sort de la bouche, et l’apparition de confettis à l’éventail (neige japonaise).
Parapluies
« Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » Arthur Clarke
L’écran s’anime et l’on voit le système solaire, différentes planètes puis la Terre. Nous arrivons dans la forêt en sous-bois où se trouvent des lucioles. Des parapluies volants arrivent dans l’image et narguent Moulla, qui les attrape un par un en les extrayant de l’écran pour les produire en vrai sur scène. Une tempête de parapluies s’abat sur le magicien par intermittence et ce dernier extirpe encore des parapluies de l’écran avant d’être frappé par la foudre, qui voit la production de dizaine de parapluies sur scène qui tombent des cintres. La foudre s’abat de nouveau sur Moulla et il s’effondre sur scène.
Petite histoire de la magie
Moulla : « D’où vient la magie ? » Avec cette question, le magicien va faire défiler sur un rétro projecteur différentes illustrations animées ponctuées d’effets magiques simples et distrayants.
« La magie est présente depuis la nuit des temps, depuis la maîtrise du feu à la préhistoire. Les premiers hommes cueilleurs-chasseurs ont créé la première illusion pour se nourrir, celle du piège à Mammouth, où ce dernier s’effondrait sur un sol creusé. »
« Plus tard, le même procédé sera utilisé dans la Grèce antique mais à des fins de divertissement sur les scènes des théâtres avec la trappe à apparition. »
« Au Moyen Age, le Pape Edouard IX fait la chasse aux magiciens comparés à des sorciers En 1584, Reginald Scot écrira le premier livre sur la magie en langue anglaise pour montrer que les magiciens utilisent des trucs et des manipulations et pour leur éviter le bûcher. Du coup, le livre sera brûlé. » (Effet du livre en feu).
Bonneteau
« A la Renaissance, les bateleurs se produisent dans les rues, les foires et les marchés. » (Production de balles mousse et transposition avec un spectateur, pour finir par une apparition de dix balles en main).
« Les bateleurs ont survécu et on les trouve aujourd’hui dans les rues de Paris en train de pratiquer le bonneteau, une escroquerie pour plumer les gens. » (Routine de bonneteau où les billets sont remplacés par des carambar et les cartes à jouer par des cartes représentant un lapin et deux croix. Le but est de retrouver le lapin. Au final de cette routine, la carte lapin disparaît et un petit lapin se matérialise en vrai dans la poche de chemise du spectateur).
Robert-Houdin
« La magie est présente partout, elle s’illustre même dans la nature avec le caméléon qui change de couleur et se fond dans le décor… L’image que l’on a aujourd’hui du magicien est proche de Jean-Eugène Robert-Houdin, le père de la magie moderne qui a créé et inventé de nouvelles illusions comme la suspension éthéréenne. »
Cette fameuse lévitation est diffusée dans un extrait du film Monsieur Robert-Houdin (1966) de Robert Valey et Michel Seldow.
Moulla prend place sur fond de salon bourgeois. Sur l’écran, des lettres sortent d’une bouteille, se rassemblent en tas et tournoient pour faire léviter un parapluie virtuel. D’autres lettres jaillissent et font apparaître un parapluie rouge, qui est produit en vrai sur scène.
Moulla lutte contre une pluie de lettres qui s’abat sur lui comme une tempête, ce qui a pour conséquence de le faire léviter à l’horizontal, sur une jambe, en référence à la suspension de Robert-Houdin. Un bel hommage.
Nouvelles technologies
« Après Robert-Houdin, les magiciens ne cesseront pas d’utiliser les inventions et les technologies de leur époque comme Georges Méliès qui créa les effets spéciaux avec le cinématographe… »
« Faire de la magie aujourd’hui, ça veut dire quoi ? Nous avons tous des téléphones en permanence sur nous, autant les utiliser dans des tours… »
Moulla prend un jeu de cartes et le fait défiler face en bas jusqu’au « stop » du spectateur qui en choisi une. Cette dernière est perdue dans le jeu et retrouvée dans le téléphone portable du magicien (en image) et sort ensuite pliée en quatre pour de vrai.
Réalités virtuelles
Moulla propose à une spectatrice une expérience de magie avec un casque de réalité virtuelle, développé avec la société Dassault Systèmes.
Le magicien teste d’abord les réflexes de la spectatrice dans le réel en la faisant ranger les parapluies qui se trouvent sur scène (blague). Il y a, sur une table, une boîte qui symbolise le lien entre le réel et le virtuel.
Le magicien place ensuite le casque sur les yeux de la femme et l’image qu’elle voit est retransmise sur l’écran de projection de la salle. Il s’agit de cartes face en bas sur un fond bleu qui lévitent dans l’espace. La spectatrice est affublée d’une gâchette et doit choisir une carte mentalement et au hasard qui se retourne face en l’air. Toutes les cartes se retournent face en bas et sont mélangées. La spectatrice est invitée à attraper une carte face en bas qui est remise dans le paquet face en l’air. Le paquet disparaît de l’écran pour réapparaître, dans un nuage de fumée, dans la boîte sur la table.
La spectatrice ouvre la boîte et sort le jeu de cartes. Le magicien éventail ce dernier où une seule carte face en bas apparaît… celle choisie par la spectatrice !
Ce voyage dans « une illusion de réalité » réinvente la présentation d’un effet classique de la cartomagie appelé Brainwave. Comme l’avait si bien fait Alain Choquette avant lui, Moulla réinterprète brillamment cet effet populaire avec les dernières technologies d’imageries virtuelles appliquées à un tour de magie.
La magie du futur
« Dans l’avenir, les magiciens cesseront ils d’exister ? Non car le lien avec le public est fort et nécessaire. Mais à quoi ressemblera la magie du futur ? »
Moulla fait passer un ballon géant dans la salle pour choisir aléatoirement des spectateurs à tour de rôle. Ces derniers doivent répondre à une question : « Dans le futur, sur quelle planète on ira ? », « Qui fera de la magie dans le futur ? », « Que fera t-il apparaître ? », « En quelle année ? »
Pendant ce temps, Moulla écrit les choix des spectateurs sur une tablette tactile dont l’image est retransmise sur le grand écran.
« Aujourd’hui, nous sommes le 12 août 2017, au Palais des Glaces, j’ai fait un croquis avant la représentation qui se trouve dans une enveloppe suspendue. »
Dans cette enveloppe, il y a un papier qui est le dessin exact de celui réalisé en direct ! Troublant.
Smartphone
Moulla invite toute la salle à allumer leur téléphone portable et choisit un spectateur à le rejoindre sur scène. Il regarde les applications du téléphone emprunté, gonfle un ballon et emprisonne le portable dedans comme pour l’habiller d’une « nouvelle coque de protection ».
Le téléphone du spectateur est ensuite cassé à l’aide d’une plaque métallique et passé dans un mixeur. En miettes, quelques éléments sont envoyés sur l’écran vidéo qui reconstitue l’appareil à l’identique en gros plan. Moulla ouvre les applications du spectateur et propose de prendre une photo avec le public. Le portable est retourné et l’on voit la photo sur l’écran.
« Vous voulez peut-être récupérer votre téléphone ? » demande Moulla au spectateur.
Il lui donne le tas de poussière du mixeur dans la main (blague). Il lui montre ensuite une boîte suspendue depuis le début de l’expérience et lui donne des clés pour ouvrir un cadenas. La boîte contient une autre boîte où l’on aperçoit un téléphone dans un ballon ; il se révèle être celui du spectateur. Ce dernier va dans sa galerie photos et découvre le cliché pris avec le public plus tôt !
Excellente routine avec un téléphone emprunté qui rappelle celle de Luc Langevin dans son spectacle Créateur d’illusions, avec en plus une preuve photographique qui rend impossible l’expérience.
Conclusion
Le spectacle de Moulla Diabi n’est pas parfait mais extrêmement attachant. Normal pour les premières représentations et le rodage qui va avec. Le personnage au sourire ravageur, bien que sympathique, pêche parfois par un trop plein d’enthousiasme, une énergie mal maîtrisée et une certaine maladresse. Côté répertoire, la partie démonstrative de magie moderne est un peu longue et mériterait une coupe pour mettre plus l’accent sur les expériences de « magie augmentée », véritables moments d’étonnement.
Le pitch de Miracles : « Quand la magie rencontre la technologie » est un excellent point de départ pour « montrer » l’évolution et l’application des progrès techniques à la magie. Moulla plonge dans l’histoire de la magie blanche, met en lumière le travail d’illustres illusionnistes, crée des passerelles entre passé, présent et futur pour mieux comprendre et faire évoluer l’art magique, dans un souci de transparence, de filiation et de respect.
Moulla ne travaille pas seul et remplace la fameuse assistante du magicien par une équipe d’une dizaine de personnes , des assistants numériques et digitaux. Bien qu’invisibles sur scène, ils sont en charge du creative coding de certains tours dans la mise en place et la création d’applications et de programmes spécifiques.
L’équipe d’Augmented Magic.
Malgré l’impressionnante utilisation des nouvelles technologies de RV, d’images 3D et de dispositifs expérimentaux, jamais ce que propose Moulla se veut révolutionnaire, mais plutôt la suite logique de cette tradition et de cette adaptation propre aux magiciens qui ont toujours un temps d’avance. Il faut saluer cette humilité car il y avait tentation à instaurer un « nouvel ordre magique » et s’autoproclamer prophète d’une « magie numérique révolutionnaire ». Le public n’étant pas dupe, fait à chaque fois un triomphe au jeune illusionniste ; succès mérité pour ce garçon curieux, aimant partager ses recherches, travailler en équipe pour faire évoluer sa discipline vers un nouvel âge numérique et hyper connecté.
A visiter :
– Le site de Moulla.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Moulla – Augmented Magic. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.