Happening sonore
Le numéro de ce jeune magicien est placé sous le signe de la parodie, du comique de situation, appuyé par une présentation déjantée. Le rideau s’ouvre sur un individu annoncé comme « le plus grand ténor allemand ». Physique de basketteur (le basket que Mikaël pratique dans la vie), costume mal taillé, visage caricatural perdu dans un corps disproportionné : le personnage parle de lui-même. On se dit « il est pas normal celui là ! ». Partagé entre le rire et la moquerie (la faute aux magiciens ringards) nous sommes très vite mis au parfum : il s’agit d’une bouffonnerie, d’un pastiche de chanteur d’opéra. Le second degré étant acquit nous pouvons attendre la suite des événements. Viens alors un déluge de situations burlesques placé sous le signe du Figaro de Mozart. La trame scénaristique tient en deux lignes : un ténor chantant en play back est contrarié par sa bande son.
Szanyiel travaille dans l’absurdité et l’excès. Un des moments les plus drôle est le pied de micro qui se transforme (manuellement) en mitraillette artisanale. Le magicien / ténor se sert un maximum du potentiel que renferme chaque objet, sans faire un tour de magie avec (au sens premier), mais en le détournant de sa fonction originelle. D’une manière générale, tous les effets visuels sont rattachés à la problématique sonore du numéro. Ainsi la bonnette jaune (d’un autre âge) qui protège initialement le micro va servir de leitmotiv. Elle va représenter la dimension sonore, l’objet par lequel sort toute sorte de son, même dépendante du micro. Elle se démultiplie comme se propage dans l’espace le son (belle adaptation des balles éponges), elle fait office de caisse de résonance dans une drolatique scène où le ténor entend son cœur battre. Enfin elle sera le prolongement de la voix déformée jusqu’à l’absurde. L’autre objet de prédilection est le nœud papillon (un peu moins justifié à mon sens, dans la logique du numéro). Nœud qui descend du col de la chemise, et qui est multiplié grâce aux manipulations du ténor. La séance se termine par un melting pot de musique hétéroclite où Tino Rossi croise Michaël Jackson. Les feuilles de partitions sont arrachées une à une (avec changement de musique pour chaque) avant que le pupitre soit cassé en deux pour faire jaillir une fontaine de papier en crescendo final (l’apparition d’un T-shirt de superman, sous le costume, n’étant pas nécessaire).
« Ce concerto » est véritablement un OMNI (objet magique non identifié). Au-delà des tours à proprement parler, ce qui nous est présenté appartient au mime, à une certaine forme d’improvisation. Durant tout le numéro une tension dramatique s’installe. Une sourde inquiétude ainsi qu’une forme de suspense sont assuré par une mise en scène volontairement déstructurée. Car Szanyiel joue sur les temps morts, l’entre deux, l’intervalle qui lie une action à une autre ; et dans cet intervalle tout peut se passer ! De là vient ou ne vient pas la participation du public au numéro. On peu comprendre que certains spectateurs soient hermétiques à ce genre de spectacle qui s’apparente à du happening ; une sorte d’improvisation où l’on ne sait pas où vont les choses. On se demande constamment ce qui va arriver. A quelle sauce va être mangé le ténor ? Cela est au antipode d’un numéro classique où tout est déjà prévu, où le public sait à l’avance ce que va faire le magicien. Cet « opéra sabordé » est d’une déconstruction joyeusement élaborée. Ce ne sont plus les tours de magie que l’on met en avant (minoritaires ici) mais une expérience plus abstraite avec le public, basée sur l’interprétation, le décalage, la situation (plus que la démonstration).
Parlons du travail de personnage qu’a effectué Mikaël. Formé à l’école du mime Marceau, on sent une volonté de faire passer un maximum de messages en bougeant un minimum. Utiliser toutes les ressources du corps pour induire les choses. Il y a des familiarités avec l’acteur du muet Buster Keaton. Beaucoup d’actions se passent dans une certaine impassibilité apparente. Mais dès que les choses se dérèglent un peu (le micro qui lévite), les mouvements du corps se font maladroit et là c’est Jacques Tati qui surgit (pour l’aspect corporel également) ! On voit toute l’importance d’un travail de « composition » qui facilite grandement l’entrée du magicien. Ce qui est important, dès les premières secondes, c’est le personnage, celui qui rentre en scène. Le public doit comprendre à qui il a à faire. Ici c’est remarquablement introduit avec en prime une ambiguïté volontaire.
The cat concerto
Il y a aussi un côté cartoon dans le personnage de Mikaël et certaines situations font penser à un dessin animé de Hanna et Barbera mit en scène par Fred Quimby intitulé The cat concerto (1947). On voit entrer sur scène un pianiste interprété par Tom (le chat) l’allure sérieuse, il s’installe à son piano et démarre un concerto. Bientôt tout va se dérégler à cause de l’intervention de Jerry (la souris) à la différence qu’ici la ligne harmonique n’est pas brisée et que le fauteur de trouble n’est pas un régisseur mal intentionné mais une souris ! Il est intéressant de constater que, dans les deux cas, le personnage principal évolue de la même manière. La « bonne conduite » du musicien / chanteur est perturbée et tout dérape vers un crescendo vestimentaire et comportemental similaire. Tex Avery est également convoqué dans ce scénario loufoque, à l’image du dessin animé Magical Maestro (1952).
Ni spectacle de magie, ni comédie classique. La représentation de Mikaël Szanyiel est un objet hybride qui renouvelle la structure même d’un numéro, où les attentes conventionnelles sont déplacées pour mieux surprendre le public. L’angle d’approche est judicieux. Les effets magiques interviennent désormais pour appuyer les situations rocambolesques provoquées par le dérèglement. C’est une vraie gageure que de mettre au second plan la magie et d’avoir remporté le 1er prix FFAP 2005 (cela montre une ouverture d’esprit de la part du jury, bénéfique à l’évolution de notre art). Et même si au final le numéro souffre de quelques approximations, le potentiel créatif est là ! C’est le propre d’un numéro d’être toujours sur le point de se renouveler à chaque représentation, un Work in progress où c’est le spectateur qui interprète finalement ce qu’il a devant les yeux.
A lire :
– L’interview de Mikaël Szanyiel.
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