Comment êtes-vous entré dans la magie ? Quel a été votre premier « déclic » ?
Mon entrée dans la magie remonte à l’enfance, à ce moment où un enfant reçoit un cadeau qui, sans le savoir, va changer sa vie. Dans mon cas, ce fut d’abord une visite au cirque où j’ai pu admirer le travail d’un magicien. Je me souviens avoir été pétrifié d’excitation et rêvé de pouvoir accomplir une telle chose. Puis sont arrivés mes premiers livres de magie et, bien sûr, une boîte magique. À l’intérieur, il y avait des objets simples, mais qui détenaient un pouvoir fascinant : ils pouvaient transformer la réalité sous vos yeux. Ce fut le « déclic ». Il ne s’agissait pas simplement d’apprendre un tour, mais de sentir qu’il existait un territoire secret où l’imagination avait ses propres règles et, de plus, la rendait puissante. Dès lors, chaque fois que j’ouvrais un jeu de cartes ou que je m’entraînais, j’avais l’impression qu’une porte s’ouvrait sur un univers qui ne m’abandonnerait jamais.

Quand avez-vous fait vos premiers pas et comment avez-vous appris ?
La première étape a eu lieu à l’adolescence. Jusque-là, je jouais, expérimentais et émerveillais mes proches. Mais dans ma jeunesse, j’ai découvert que la magie était plus qu’un simple divertissement : elle pouvait devenir un art d’étude et de vie. J’ai appris, avant tout, en lisant des livres, en étudiant des techniques, en commettant des erreurs encore et encore. Mais surtout, j’ai appris en observant les grands maîtres : Fred Kaps, Juan Tamariz, Arturo de Ascanio, René Lavand ; des artistes qui transmettaient non seulement des tours, mais aussi une façon d’être sur scène et dans le monde. Cet apprentissage n’a jamais cessé : je reste toujours un étudiant de la magie.
Quelles opportunités ou personnes vous ont aidé ? Et inversement, y a-t-il eu un événement qui vous a freiné ?
J’ai eu la chance de rencontrer des personnes clés au bon moment. Mon oncle Paco, le Catalan, que je suivais été après été et qui m’a montré mes premiers tours dans mon enfance. Miguel Aparicio, un magicien culte de Grenade, qui m’a appris que l’illusionnisme est un art ancien avec une longue histoire. Juan Tamariz, avec sa vision révolutionnaire de notre art, m’a appris que la magie est un acte conceptuel. Arturo de Ascanio, avec sa rigueur théorique et poétique. Et René Lavand, qui m’a montré la voie en marchant… Eux et d’autres collègues ont été comme des phares qui m’ont montré des chemins possibles. Il y a aussi mes « professeurs invisibles » : les livres, les scènes, les heures de répétition et le public. Bien sûr, il y a aussi eu des obstacles : des concours où je n’ai pas remporté le prix que j’espérais, des portes qui ne se sont pas ouvertes, des projets qui semblaient s’arrêter avant même d’avoir commencé. Mais avec le temps, j’ai compris que ces freins faisaient partie intégrante de ma motivation : ils m’obligeaient à me réinventer et à continuer d’avancer. C’est la vie…


Quelles sont vos compétences ? Dans quelles conditions travaillez-vous ? Parlez-nous de vos créations, spectacles et numéros
Bien que je m’intéresse et apprécie toutes les spécialités de l’illusionnisme, mon langage principal reste les cartes. La magie des cartes m’a ouvert un territoire intime pour explorer la technique, la subtilité et la proximité avec le spectateur. Ce n’est pas pour rien que j’ai remporté deux prix FISM de cartomagie grâce à mon travail. Je suis particulièrement fier du numéro que j’ai présenté à La Haye en 2003, qui m’a valu un premier prix mondial. J’y ai introduit une technique, jusqu’alors oubliée et peu utilisée en close-up, qui a révolutionné la magie des cartes. Aujourd’hui, elle est pleinement acceptée, mais à l’époque, c’était une nouveauté.



Mais je ne m’arrête pas là. J’aime enrichir la magie avec d’autres langages : la musique, l’humour, le théâtre. De là sont nées des représentations théâtrales telles que Concierto para Baraja y Piano, où le jeu de cartes dialogue avec un instrument classique ; MagoMiscelánea, qui mêle magie, comédie et une touche de tendresse ; AluCine, le cinéma par l’art de la magie, qui a sauvé de l’oubli Georges Méliès, le grand magicien du cinéma ; Invisible, la magia no existe, dont le thème central est l’invisibilité des émotions ; et ma dernière œuvre, Confidencias de un prestidigitador, qui explore différents registres théâtraux en utilisant uniquement un jeu de cartes. Je travaille toujours avec l’idée que chaque représentation doit être unique, avec son propre ton, presque comme un dramaturge qui écrit différentes pièces.
Parlez-nous de votre expérience à la télévision, notamment dans l’émission pour enfants La Merienda
La Merienda a été une école pour moi. J’ai animé cette émission pendant cinq ans, de 1992 à 1996. Soudain, je me suis retrouvé avec la responsabilité de faire découvrir la magie à des centaines de milliers d’enfants sur Antena 3, l’une des plus importantes chaînes espagnoles. C’était un défi : je devais communiquer clairement, avec fraîcheur, directement et en direct. J’ai appris à adapter la magie au langage télévisuel sans en perdre l’essence. Cette émission m’a apporté de nombreuses expériences, comme celle d’interviewer George Lucas. Le plus passionnant, c’est que, des années plus tard, des adultes m’ont interpellée pour me dire : « J’ai grandi en te regardant dans cette émission. » Cela prouve que la magie a un écho qui reste gravé dans les mémoires.


Vous avez également participé à de nombreuses émissions de radio, notamment avec Pepa Fernández sur Hoy no es un día cualquiera sur RNE. Comment ce projet a-t-il commencé ?
Au départ, une invitation s’est transformée en une aventure insolite : comment apporter de la magie à un média invisible ? Avec Pepa Fernández, l’une des plus importantes journalistes de notre pays, nous avons découvert que la magie pouvait s’infiltrer à la radio par l’imagination. L’idée n’est pas nouvelle, mais tant qu’on n’en fait pas l’expérience consciente, on n’en perçoit pas le pouvoir. Pendant plus de cinq ans (2002-2007), j’ai joué avec les mots, la suggestion, le mystère du son. L’auditeur fermait les yeux et complétait l’effet dans sa tête. Cette expérience a confirmé ce que je savais déjà : la magie n’est pas seulement visuelle, elle est aussi mentale et émotionnelle. Il n’y a pas beaucoup de magie à la radio ; je sais que le maestro Juan Tamariz a fait quelques apparitions mémorables sur la chaîne SER (qu’il a ensuite publiées dans son livre, Por Arte de Verbimagia). Imanol Ituiño a développé un autre programme sur une station de radio locale à Bilbao, et actuellement, mon cher collègue Jorge Blass anime ce qui était autrefois ma section magique sur RNE (Radio Nationale Espagnole) sur ce même programme.

Vous êtes le directeur de l’École Andalouse des Arts Magiques (Escuela Andaluza de Artes Mágicas) depuis 2007. Comment et pourquoi ce projet est-il né ?
L’école est née d’une nécessité : en Andalousie, il n’existait pas d’espace stable pour apprendre la magie de manière sérieuse et continue. Nous l’avons fondée avec l’intention de transmettre un héritage, de créer une communauté. Depuis 2007, des centaines d’apprentis y sont passés, découvrant que la magie n’est pas seulement un ensemble de tours, mais un art du spectacle avec des fondements, une histoire, une éthique et une poésie. Pour moi, c’est l’une des plus belles graines que j’aie plantées. C’est un projet toujours vivant, modeste mais précieux.
Vous êtes aussi le directeur artistique du Festival International de Magie HocusPocus depuis 2002. Comment et pourquoi ce projet est né ?
Les conférences et rassemblements de « magiciens pour magiciens » sont monnaie courante depuis des années. Mais il est plus rare de voir une programmation professionnelle de qualité conçue pour le grand public, sans oublier les amateurs. À mon humble avis, c’est quelque chose de fondamental, quelque chose que le reste des arts de la scène maîtrise déjà parfaitement. C’est de cette préoccupation que j’ai créé le HocusPocus, Granhada International Magical Festival. Il est né d’un rêve : que Grenade, ma ville, devienne chaque année la capitale mondiale de la magie. Je voulais un festival qui rassemble le meilleur de la magie internationale, mais qui soit aussi un espace de rencontre, de formation et de convivialité. De 2002 à aujourd’hui, nous avons fait venir les plus grands maîtres, organisé des conférences professionnelles et fait découvrir la magie à tous les publics. La magie est désormais un événement culturel de premier plan dans notre ville, et son impact sur la scène nationale est considérable. Le modèle que nous avons créé à Grenade a heureusement été reproduit dans de nombreux autres festivals à travers le pays. Ce qui a commencé comme une initiative folle est devenu une référence internationale en matière de qualité et de convivialité.

J’ai aussi dirigé de nombreux autres projets dans d’autres villes, comme Jerez (JerezMágica, 2005-2008), Fuenlabrada (Los Reyes de la Magia, 2009-2018), Cordoue, etc., où nous cherchions à intégrer la magie à l’identité culturelle de la ville. Durant ces années, nous avons conçu un programme alliant aspects internationaux et locaux, et nous avons réussi à faire découvrir la magie à un nouveau public. Ce fut bref, mais intense, et nous en avons gardé un très bon souvenir.
Vous avez fait don des archives d’HocusPocus au CDAEM (Centre de Documentation des Arts du Spectacle et de la Musique) de Madrid, qui dispose désormais d’une section exclusive dédiée à l’illusionnisme. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Cela représente un pas vers la reconnaissance culturelle de l’illusionnisme. Pendant vingt ans, nous avons accumulé des affiches, des programmes, des photos, des documents… et j’ai pensé que ces archives ne devaient pas rester dans des boîtes privées, mais devenir un patrimoine commun. En signant cet important accord avec le CDAEM, qui dépend du ministère espagnol de la Culture (INAEM), nous avons officiellement inscrit la magie dans la mémoire des arts du spectacle espagnols. Cela me donne le sentiment que notre art commence à occuper la place qu’il mérite. Cette action est importante et s’inscrit dans la lignée de nombreuses autres menées par un groupe d’intellectuels magiciens, dirigé par l’historien Ramón Mayrata.

Vous venez de créer PRESTIGIA (Federación de Festivales y Eventos Mágicos Profesionales de España). De quoi s’agit-il ?
PRESTIGIA est née d’un besoin collectif. Il existe actuellement de nombreux excellents festivals de magie en Espagne, mais nous étions dispersés. Avec cette fédération, nous souhaitons unir nos forces, défendre les intérêts professionnels du secteur, établir des normes de qualité et redonner à la magie sa place au sein des institutions culturelles et de la société. Ce projet est tourné vers le présent et vise également à construire un nouvel avenir.
Quels magiciens et artistes vous ont marqué ?
Je pourrais en citer plusieurs. René Lavand, avec sa poésie transformée en magie. Juan Tamariz, avec son génie débordant. Arturo de Ascanio, avec sa rigueur conceptuelle. Avner Eisenberg, qui m’a appris que l’humour et la tendresse sont aussi de la magie. Et au-delà de l’illusionnisme, des musiciens, des acteurs et des cinéastes qui m’ont inspiré à trouver mon propre langage. Chaque artiste qui me touche, d’une manière ou d’une autre, me marque.


Quels styles de magie vous attirent le plus ?
Je suis attiré par la magie des cartes pour sa pureté, mais aussi par la magie théâtrale, où je peux expérimenter avec la lumière, la mise en scène, la musique et la dramaturgie. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant le style en lui-même, mais plutôt le fait que la magie soit un véhicule d’émotion, de poésie et de pensée.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Elles sont nombreuses et diverses. En magie, les grands maîtres que j’ai mentionnés. Mais aussi la musique classique – Vivaldi en est un exemple, que j’utilise comme structure essentielle dans mon spectacle Confidencias de un prestidigitador –, le cinéma, le théâtre contemporain, la littérature. J’aime à penser que chacun de mes spectacles est une fusion d’influences : un tissu où les arts fusionnent pour créer quelque chose de nouveau.

Quel conseil donneriez-vous à un(e) magicien(ne) débutant(e) ?
Je lui dirais de ne pas se précipiter. D’étudier, de pratiquer, d’observer, de beaucoup lire et de s’immerger dans la culture, pas seulement la magie. Les tours s’apprennent, mais la magie se construit avec sensibilité, authenticité et du temps. Le conseil le plus important : trouvez votre propre voix. N’imitez pas, mais découvrez ce que vous souhaitez transmettre à travers l’art de l’illusionnisme.
Quelle est votre vision de la magie actuelle ?
Je vois un paysage débordant de talent et de créativité. Des jeunes expérimentent, mélangent la magie à d’autres arts et la propulsent vers de nouveaux territoires. Mais je pense aussi que nous avons encore besoin de plus de reconnaissance institutionnelle, d’espaces et de circuits professionnels plus stables. La magie est encore dans un flou culturel en Espagne, et d’après ce que je sais, c’est pareil pratiquement partout ailleurs : on la retrouve au théâtre, mais rarement dans les programmes culturels officiels avec un grand « C ». La magie est encore une activité trop endémique. Je pense, par exemple, que la FISM devrait commencer à mener des actions dans ce sens, comme nous le faisons en Espagne depuis des années. Mon point de vue est optimiste, mais je suis convaincu qu’il reste encore beaucoup à faire.

Quelle est l’importance de la culture dans votre approche de la magie ?
Absolument primordiale. La magie ne surgit pas de nulle part : elle se nourrit de cultures, de contextes sociaux et de traditions. Un magicien qui lit, voyage, écoute de la musique et regarde des films enrichit son art. La culture vous donne des outils pour comprendre et toucher différents publics, pour vous adapter aux différences sociologiques et ethniques. La magie, après tout, est un langage universel, teinté par chaque culture.
Avez-vous d’autres passe-temps que la magie ?
Le cinéma est une passion : je l’ai toujours vu comme la grande boîte à magie du XXe siècle ; il est né en partie de la magie… La musique aussi, du classique au populaire. J’aime la lecture, les jeux de société et les jeux de rôle. J’aime peindre des miniatures, ce qui me détend et m’aide à créer en silence. J’aime écrire. Et, bien sûr, passer du temps avec ma famille, qu’elle soit de sang ou non, qui est le véritable moteur de tout cela.
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Interview réalisée en septembre 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Miguel Angel Puga / Joaquin P. Hernandez / David Zaafra. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.