C’est au Théâtre de la Vieille Grille, dans le cinquième arrondissement de Paris, que s’est déroulé cet hommage à Georges Méliès. Un projet soutenu par Serge Bromberg de Lobster-Films et par Madeleine Malthète-Méliès, la petite fille du maître. Laurent Berman et Anne Quesemand nous accueillent chez eux dans une petite salle chaleureuse qui rassemble une trentaine de spectateurs. Nous sommes d’emblée mis à l’aise pour assister à une séance de prestidigitation, comme si elle se déroulait au temps du théâtre Robert-Houdin, après l’invention du cinématographe. La compagnie du théâtre à Bretelles nous propose un spectacle complet, entremêlant projection de film, numéros de magie, boniments, dialogues, bruitages et musiques. Tout cela grâce à deux comédiens-présentateurs, un magicien, deux pianistes et un projectionniste. Dans cette salle exiguë, sont disposées chaises et banquettes. Au mur, différentes affiches sont punaisées représentant des hommages à Méliès, dont le précédent spectacle de cinéma forain « Le grand Méliès » par les tenanciers de la Vieille Grille. Sur scène, une statue de Méliès avec une lanterne magique à ses côtés. Près de la scène, une petite table de bar avec un bric à brac d’objets posé dessus, dont un ensemble d’accessoires de bruitage.
Laurent Berman, introduit la séance à la manière des bonimenteurs du XIXème siècle : « Mesdames, Messieurs, vous êtes dans une salle obscure mais honnête, entièrement équipée à l’électricité ! Vous allez être les témoins d’un appareil qui sait imprimer la vie : j’ai nommé le cinématographe. » Sur scène, la lumière éclaire une femme pianiste habillée en diable, référence à un des rôles de Méliès. Celles-ci se lève, écarte ses bras, le piano continu à jouer. Bientôt, un deuxième pianiste apparaît derrière la cape. Deux musiciens qui vont accompagner à quatre mains les projections à venir.
FILMS
Les bonimenteurs lancent la première série de films :
L’escamotage d’une femme chez Robert-Houdin (1896), est la première œuvre de fiction de l’histoire, tourné dans un vrai décor. Annulant la solution de la trappe théâtrale, le cinéaste applique pour la première fois le truc par substitution et en profite pour inventer le montage « technique » en ressoudant sa pellicule.
La lanterne magique (1903) présente l’effet d’incrustation dans une mise en scène bon enfant où des personnages illustres sont convoqué comme Arlequin, Pierrot, Pantalone et Napoléon.
Un homme de tête (1898) utilise la surimpression sur fond noir qui n’impressionne pas la pellicule.
Le déshabillage impossible (1900) est un effet de gag à répétition où un personnage n’arrive pas à ôter complètement ses habits. Le tout accompagné par le rythme frénétique du piano.
MAGIE
Les cartes animées. Pour la première routine de magie, le prestidigitateur Abdul Alafrez nous présente le tour des Quatre cartes. Quatre cartes sont montrées clairement au public. Le magicien en laisse tomber une dans une petite boîte qui repose sur ses genoux. Le reste des cartes est passé dans le poing du magicien, qui compte ensuite ses cartes en main… il lui en reste toujours quatre ! Les cartes sont ensuite abandonnées en nombres de plus en plus importants, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que deux en main. Une passe magique, et les quatre cartes reviennent. Pour finir, toutes les cartes disparaissent de la boîte montrée vide à la salle. Un classique très bien présenté, avec un vrai final.
Les anneaux chinois. Une routine pour six anneaux bien exécutée avec des passes classiques, et la chaîne de six pour finir la routine.
FILMS
Les cartes vivantes (1904). La présentation de ce court métrage insiste sur la compréhension visuelle de la séquence. Nous pouvons entendre clairement ce que dit Méliès aux spectateurs : « Mesdames, Messieurs, rien dessus, rien dessous. Vous voyez cette carte ? Non ? Je vais vous l’agrandir !… »
La chrysalide et le papillon (1901) est une fantaisie orientale désuète qui met en scène un drolatique ver géant. Le film est accompagné par une flûte traversière.
Pour faire le lien avec le film précédent, la pianiste se lève pour prendre un calepin, l’ouvre et en jaillit un papillon volant.
Un locataire diabolique (1909) est le testament cinématographique de Méliès, une métaphore de son métier et des difficultés rencontrées à la fin de sa carrière. C’est aussi un exemple de film colorié à la main, image par image par deux cents ouvrières.
MAGIE
Les bols inépuisables. Le magicien arrive sur scène en habit de mage, toge dorée, lunettes noires, bonnet et fausse barbe à la manière de Bertrand Crimet interprétant maître Babar. Deux demi-sphères métalliques sont présentées vides. Elles sont ensuite remplies d’eau. Le mage boit alors le contenu des deux bols. Après l’intervention d’un orage simulé par un instrument de musique, l’eau réapparaît mystérieusement dans les bols. L’action est répétée jusqu’à plus soif ! A la fin, le mage épuisé, lance les bols en direction du public : ils sont enfin vides ! Une routine très divertissante qui n’épargne pas les spectateurs du premier rang. Mes habits s’en souviennent encore.
Les balles inépuisables. Le magicien veut s’exprimer en public, quand une balle blanche apparaît dans sa bouche. Il la retire et celle-ci réapparaît toujours dans sa bouche. La balle se multiplie pour enfin être rangé dans une poche.
Le stéthoscope. Un jeu de carte est confié à un spectateur pour être examiné et mélangé. Le magicien fait choisir librement une carte à une autre personne. Il demande : « Puis-je lire dans vos pensées ?… Personne ne peut faire une chose pareille sans appareil ! ». Il sort l’appareil en question : un stéthoscope. Il applique celui-ci sur le front du spectateur et devine sa carte. Une deuxième carte est choisie et une personne est désignée pour prendre la place du magicien et deviner la carte. La divination échoue. Le magicien reprend les choses en main et retrouve la deuxième carte choisie dans le rond du stéthoscope !
FILMS
Les nouvelles luttes extravagantes (1900).
La danseuse microscopique (1902).
Le mélomane (1903) est un chef d’œuvre du trucage. Méliès imprimant pas moins de huit fois la pellicule !
La tentation de St Antoine (1898). Bien avant Martin Scorsese et sa dernière tentation du Christ, Méliès est le premier à avoir subit les foudres de la censure.
Eclipse de soleil en pleine lune (1907) suivit de Les étoiles filantes et Une pluie étoiles filantes. Les élèves d’astronomie incohérente suivis de leur maître assistent à une éclipse très suggestive entre monsieur le soleil et madame la lune !
MAGIE
La flûte qui rend fou. Le magicien dit avoir trouvé un porte monnaie dans la rue. En ouvrant celui-ci, il en sort une flûte. Il veut jouer un air de Bach mais ce qui sort de l’instrument est l’hymne nationale de Macao ! Cette flûte rend fou. Il ne peut plus s’en séparer, elle lui colle littéralement aux doigts (effets de lévitation sur les deux côtés de la main). Il la fait disparaître un instant mais celle-ci apparaît, une nouvelle fois, dans le petit porte monnaie. Pour finir, cette hallucination, un porte monnaie géant est présenté. En sort une flûte géante. Comme dans un rêve tout est illogique, surréaliste et disproportionné.
FILMS
L’affaire Dreyfus, l’attentat contre maître Labori (1899). Ce film réaliste reconstituant un fait d’actualité fut interdit jusqu’en 1950, car il provoquait des bagarres dans les fêtes foraines. C’est le premier film d’engagement politique.
Les affiches en goguette (1906) est le premier film publicitaire où des affiches publicitaires s’animent et prennent vie.
Le tripot clandestin (1905) présente un groupe d’hommes et de femmes s’adonnant aux jeux d’argent interdit par la loi, sous couvert d’une enseigne de haute couture. L’arrivé des forces de l’ordre donne lieu à un impressionnant changement flash du décor. La fin malmène la morale, en présentant un milieu gangrené par l’argent. Les premiers ripoux de l’histoire.
MAGIE
Routine de corde. « Lumière sur les salles obscures et les coins sombres. A quoi rêvent les magiciens ? A des rêves simples qui deviennent des paradoxes et des cauchemars. » Le magicien sort alors une corde jaune et démontre la logique de son rêve en multipliant les bouts et les milieux, en produisant deux cordes, en transformant ses deux cordes nouées par un nœud en une seule. Cette corde perd ensuite ses bouts pour se transformer en un cercle. Les bouts revenus voyagent dans la poche du pantalon.
Le défi des menottes royales. Une paire de menottes archaïques est sortie d’un sac muni d’anses. Le magicien demande à deux personnes de le menotter fermement en verrouillant les cadenas. Le sac est tendu horizontalement par les deux spectateurs. Quand l’escapologiste plonge ses mains à l’intérieur, il en libère une d’entre elles en disant qu’il a oublié de retirer sa montre. Le phénomène se produit une deuxième fois. Il retire, cette fois-ci, une pince du sac. La troisième fois, il libère sa main pour pousser légèrement le spectateur à sa droite. La quatrième fois, il sort sa main droite libérée et plonge sa main gauche dans le sac pour abandonner définitivement les menottes.
FILMS
Les illusions fantaisistes (1909).
Excelsior (1901)
Le voyage dans la lune (1902). Cette œuvre mythique et culte de science fiction reconnue par l’Unesco est le premier film sur la liste représentative du cinéma mondial. Il s’agit probablement du premier film contant une histoire originale.
Présentation de l’équipe :
– Texte, jeu, accordéon, bugle : Laurent Berman et Anne Quesemand
– Piano : Laurent Grynszpan et Betsy Schlesinger
– Prestidigitation : Abdul Alafrez
– Projection et régie : Samuel Zucca
MAGIE
Divination musicale. Après avoir présenté Laurent et Anne comme des interprètes-musiciens possédant un grand répertoire, Abdul Alafrez sort une pochette plastique transparente dans laquelle se trouve de nombreux papiers pliés sur lesquels figurent des titres de chansons. Un spectateur est désigné pour tirer au sort un papier au hasard. Anne et Laurent sont conviés à deviner en musique le morceau choisi qu’ils interprètent à l’accordéon et au tambour. Le spectateur révèle ensuite le titre écrit sur le papier qui correspond à la musique jouée. Les cinq protagonistes se regroupent sur scène en continuant à jouer la musique et les spectateurs tapent dans leurs mains. Fin de ce spectacle attachant de plus de deux heures. C’est toujours avec plaisir que nous nous replongeons dans l’univers du plus grand truquiste du cinéma. Plaisir redoublé par une mise en scène bonne enfant et vivante. Seul tout petit bémol, les tours de prestidigitation n’étaient pas toujours en lien avec les courts-métrages du maître. Bravo à toute l’équipe pour cet agréable moment de convivialité et d’échange.
Bibliographie :
– Cinématographe, invention du siècle de Emmanuelle Toulet (Découverte Gallimard, 1988).
– Georges Méliès, l’illusionniste fin de siècle ? de Jacques Malthête et Michel Marie (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997).
– Pour une histoire des trucages de Thierry Lefebvre (Revue 1895 AFRHC n°27, 1999).
– Méliès, magie et cinéma de Jacques Malthête et Laurent Mannoni (Fondation Electrique de France, Paris musées, 2002).
– L’oeuvre de Georges Méliès par Laurent Mannoni (Editions de La Martinière, 2008).
– Georges Méliès l’enchanteur de Madeleine Malthête-Méliès (Editions La tour verte, 2011).
A Lire :
– Le dossier Méliès, L’homme orchestre.
– La présentation de Méliès par Caroly.
– Le compte rendu de l’exposition Méliès, magicien du cinéma.
– Le dossier Magie et cinéma.
– Méliès Mage.
– Méliès, lettre manuscrite.
A voir :
– Le DVD Méliès, 30 chefs-d’œuvre.
– Le DVD Méliès, le cinémagicien.
– Le DVD Georges Méliès, le premier magicien du cinéma (1896-1913).
– Le DVD collector George Méliès, à la conquête du cinématographe. Livre réalisé en partenariat avec les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès, contenant les 2 DVD précédents de Fechner productions + un DVD de films inédits (novembre 2011).
A visiter :
– Les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès.
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