Parlez-nous de votre compagnie Les mains libres et de son but ?
Le but de la compagnie est de produire et diffuser des projets alliant la magie à d’autres disciplines artistiques.
En 2015, la compagnie Les mains libres a été créée pour répondre à une commande de l’opéra de Nantes. Leur demande était la suivante : Créer une performance de quinze minutes mélangeant la danse, la magie et la vidéo sur le thème du souvenir pour accompagner la création de l’opéra La ville morte de Korngold.
Crédit photo : Le Quai – CDN Angers.
C’est un an plus tard en travaillant pour Jonathan Capdevielle sur le spectacle Cabaret apocalypse que j’ai eu le déclic. Ce metteur en scène mélange les univers artistiques de manière totalement décomplexée. Il n’hésitait pas à faire cohabiter Jeanne D’Arc et Spiderman pour chanter du Francky Vincent. Même si mon rôle au sein de ce spectacle était relativement conventionnel (je jouais un mentaliste neurasthénique en fauteuil roulant), c’est suite à cette expérience que j’ai commencé à ouvrir ma pratique de la magie à d’autres champs esthétiques.
Avec quels artistes, quelles compagnies travaillez-vous depuis 2015 ?
Ces cinq dernières années, la compagnie Les mains libres a porté quatre projets.
Crédit photo et visuel : Y. Legrand et Matthieu Malet.
Comme évoqué plus haut, le premier a fait suite à la demande de l’opéra de Nantes. Cela m’a amené à travailler avec des danseurs contemporains et des vidéastes. Nous avons écrit une séquence chorégraphique où des papiers chiffonnés apparaissaient, disparaissaient et lévitaient sur une table. Cette séquence était filmée et jouée en public puis, grâce à un logiciel, elle était immédiatement projetée sur un écran en « reverse » (la fin au début et vice-versa). Cette performance a été joué une quinzaine de fois. Elle est ensuite devenue un spectacle de quarante-cinq minutes, Bis, avec une nouvelle équipe, Océanne Chaillé (danseuse) et Yvain Legrand (vidéaste).
Crédit photos : A. Papillon.
Le second, Facto Fiction, est un spectacle de magie et de mentalisme où je me suis entouré de comédiens pour la mise en scène.
Visuel : Matthieu Malet.
Le troisième, L’homme qui a vu l’ours, est en cours de création (Covid oblige, les choses prennent plus de temps que prévu…). Outre des magiciens, ce projet devrait faire intervenir des chanteurs et des circassiens. Il ne s’agit pas d’un spectacle mais d’une série d’entre-sorts sur le thème des prodiges bibliques.
Le quatrième est un jardin magique, Le Jardin Caméléon. Associé à Loïc de Larminat (paysagiste concepteur) nous sommes les heureux lauréats du Festival International de Chaumont-sur-Loire. La conception de ce jardin nous a amenée à collaborer avec différent corps de métier (botaniste, serrurier, verrier, etc..).
Un nouveau projet est en cours d’étude avec des plasticiens.
Comment faites-vous intervenir la magie dans les autres champs artistiques ?
Vaste problème qui me renvoie aux questions suivantes : Est-ce la magie qui intervient dans les autres champs artistiques ou les autres champs artistiques qui interviennent dans la magie ? La magie est-elle un langage ou un propos artistique en soit ? Je n’ai malheureusement pas de réponses claires à apporter et pour être tout à fait sincère je change d’avis régulièrement à ce sujet.
En ce moment, j’ai de plus en plus tendance à penser que l’effet magique peut être une fin en soi. Créer de l’impossibilité peut constituer un propos artistique autonome. Maintenant si j’analyse mon projet de jardin, c’est l’inverse. Le propos n’est clairement pas la magie. L’illusion est là pour amener le spectateur à considérer le végétal différemment et la magie est au service des plantes.
Crédit photo : Matthieu Malet.
Concrètement, je n’ai pas de méthode préétablie. C’est avant tout une histoire de rencontre humaine avec d’autres artistes et les choses se mettent en place naturellement… ou pas.
Comment l’illusion est perçue hors du monde des magiciens ? Comme un langage ? Comme la possibilité d’une expérience irrationnelle ? Ou comme un « truc » que l’on aimerait connaître ?
Pour les artistes « non magicien » que je croise, la réaction face à la magie est double.
D’un côté il y a une profonde méconnaissance de la culture magique. Les clichés perdurent. Au début d’une collaboration je dois souvent passer par une étape pédagogique pour expliquer que la magie classique n’est pas ringarde, elle est juste classique. Cela fait partie de l’ADN de mes créations.
Crédit photo : Le Quai – CDN Angers.
De l’autre, il y a un réel engouement. Les artistes voient rapidement le potentiel. Leur premier réflexe est souvent de considérer la magie comme un outil qui va permettre à leur création de s’affranchir des lois de la physique. Même si cela constitue une étape très riche en termes de créativité, ce n’est pas mon objectif final. Le but est plutôt de bâtir un langage commun.
Comment avez-vous conçu votre dernier projet Le Jardin caméléon qui est actuellement visible à Chaumont-sur-Loire ?
Le festival des jardins de Chaumont se compose d’une vingtaine de parcelles toutes closes de haies. En visitant les lieux, cela m’a tout de suite fait penser aux entre-sorts de L’homme qui a vu l’ours sur lesquels je travaillais à l’époque. J’ai alors imaginé une installation de verre et de miroir qui transforme le végétale à mesure que l’on parcourt le jardin. Le jardin caméléon c’est quarante mètres carré de surface vitrée positionnée à la verticale. Cela a constitué un gros défi technique.
Crédit photos : Matthieu Malet et Loïc Larminat.
Pour postuler à Chaumont le projet doit être obligatoirement porté par un architecte ou un paysagiste. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Loïc de Larminat paysagiste concepteur. Leur travail consiste à penser l’espace publique et le paysage en termes d’échelle spatiale et temporelle. Dès notre première rencontre, il m’a parlé de sens de lecture, de point de vue, de cadrage, de rythmes, tout un lexique que j’utilise aussi dans mon métier. Nous avons immédiatement trouvé un terrain d’entente et travaillons encore aujourd’hui sur d’autres installations grands formats destinés à l’espace publique.
– Interview réalisée en mai 2021.
A visiter :
– Le site de la cie Les mains libres.
– Le jardin caméléon du Festival International des Jardins 2021.
A lire :
– L’interview de Matthieu Malet en 2014.
Crédits photos : Le Quai – CDN Angers, Y.Legrand, M.Malet, A.Papillon, L.Larminat. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.