Mise en scène : Didier Brice. Avec : Gérard Majax et le professeur Wonderfool (Gérard Kunian).
C’est dans un lieu bien connu des soirées dansantes parisiennes que se déroule le nouveau spectacle de Gérard Majax. Le Balajo, anciennement « Le Bal à Jo » créé en 1936 par Jo France fut le temple dédié au musette et à l’accordéon (aujourd’hui à la danse de salon). La décoration intérieure est d’origine, signée du peintre Henri Mahé (décorateur du Rex et du Moulin Rouge). Celle-ci s’inspire de l’art déco de l’époque ainsi que d’une certaine influence expressionniste dans le traitement des volumes faisant penser au décor du film de Robert Wiene de 1919, Le cabinet du docteur Caligari. Architecture bancale, perspectives biscornues, fenêtres abstraites, le tout fabriqué en bois peint dans des couleurs primaires et vives. Pour ajouté à l’étrangeté du lieu, des lumières indirectes jaillissent derrière les façades, où de la lingerie féminine est suspendue ! L’œil excité par cet endroit insolite, le cerveau est maintenant prêt à se laisser guider dans le paranormal.
« Bullet catch »
C’est sur une petite estrade que Gérard Majax fait son apparition, habillé sobrement d’une veste grise et pourpre à la façon d’un monsieur Loyal. Il introduit la notion de magie avec l’histoire de Chung Ling Soo. La magie peut donner la vie, mais elle peut également la reprendre. Le magicien américain grimé en chinois, trouva la mort en 1919 lors du tour de la balle arrêtée entre les dents ou « Bullet catch ». Cela faisait exactement vingt et un ans et trois mois qu’il travaillait en couple (avec sa femme). Exactement la même durée que Majax et son assistant le professeur Wonderfool (son complice de toujours Gérard Kunian) qui se propose de rejouer la scène ce soir.
Un 357 magnum est apporté sur un plateau par l’assistant Wonderfool pour illustrer le tour. Après avoir pointé l’arme sur le public, Majax la repose et se saisit d’une balle, douille en cuivre, qui est prise avec une pince tenue face à sa poitrine. Le professeur allume un briquet et chauffe la balle qui éclate dans un bruit sourd. Le magicien touché recrache la balle de sa bouche dans une petite coupelle. Il est vivant, ouf. Les deux compères décident de recommencer l’expérience sous forme d’un gag avec une arme beaucoup plus dangereuse…un pistolet à eau. Majax arrose le professeur qui, touché, recrache un filet d’eau dans la bassine qu’il tient entre ses mains.
La matière noire
Majax nous parle maintenant d’astrophysique, du cosmos et de la matière noire qui provoque des effets inattendus. Pour illustrer son propos il invite « un scientifique » du public sur scène. Il sort ensuite une corde et un petit bout de corde supplémentaire qu’il cache dans son oreille, opposée au spectateur sur scène. Ce joue alors une comédie entre le magicien, le spectateur qui ne voit rien venir et le public complice.
Le magicien commence sa routine en pliant la corde en deux et en ajoutant secrètement le bout supplémentaire dessus à l’insu du spectateur. Celui-ci est invité à prendre des ciseaux et couper la corde en deux. Après une misdirection façon boulette de Slydini, la corde est réparée dans les mains du spectateur médusé. Le truc est répété trois fois de suite en changeant la manière de se débarrassé des bouts supplémentaires (sous le bras, sur la tête).
La troisième fois, Majax montre le truc du bout supplémentaire : « Loin de moi l’idée d’utiliser un bout supplémentaire ! », fait semblant de le jeter et le replace dans son oreille et c’est repartit pour un dernier tour. Pour restaurer la corde au final, des dizaines de bouts sont jeté sur la corde comme clin d’œil au public. Le spectateur lui, paradoxalement, ne se doutera jamais qu’un bout supplémentaire était utilisé ! Très divertissant.
Transformation moléculaire
C’est au tour de l’alchimie d’être cité. Science et discipline ésotérique basée sur l’étude de la matière et de ses transformations. Plus proche de nous, les centrales nucléaires font tous les jours des expériences de transformation moléculaire. Majax se propose de récupérer quelques bagues dans la salle. Elles sont posées sur une petite assiette. Deux spectateurs le rejoignent sur scène. L’un tient l’assiette avec les différentes bagues pendant que le magicien sort un lacet rose fluo. Cinq bagues sont enfilées sur ce lacet, une part une. Une serviette, servant de « transmuteur », est placée sur les bagues. Les deux spectateurs tenant les extrémités du lacet. Le magicien trifouille sous le voile et en retire les Cinq bagues enclavées les unes dans les autres dans un très bel effet d’« Himber Ring ». Les bagues sont montrées à chaque spectateur dans la salle pour qu’ils constatent qu’il s’agit de leur bien. Les bagues sont ensuite désenclavées une à une devant le public, placées dans l’assiette et restituées aux propriétaires. Un superbe effet remarquablement présenté.
L’occultisme, ou la connaissance des forces cachées et invisibles fond appel généralement à la transmission de pensée et aux télépathes. Le professeur Wonderfool, nous propose une petite démonstration de ce phénomène. Le teint blafard, coiffé d’un turban style maharadja, les yeux recouverts par un bandeau, il est prêt à deviner n’importe quoi. Majax lui pose la première question en désignant une montre dans le public : « qu’est-ce que je MONTRE ici ? ». « Le nombre de cheveux de madame ; vérifiez c’est exact », « La couleur de la culotte de madame ; vérifiez c’est exact ».
Le magicien fait choisir une carte et demande au professeur de la deviner. Celui-ci se trompe, mais sous la menace d’un pistolet pointé par Majax, le spectateur acquiesce un « c’est exact ». Un chiffre est écrit sur une ardoise par un spectateur. Ici le chiffre huit. Pour que le professeur le devine, le magicien tape huit coups sur l’ardoise avec la craie en posant la question. Une épingle est confiée par un spectateur à Majax qui doit faire deviner l’objet au professeur. Celui-ci est piqué aux fesses par le magicien qui passe l’air de rien derrière lui. L’objet est deviné (au touché !). Pour finir, le professeur enlève son bandeau et propose une lecture de pensée face à un spectateur. Après lui avoir raconté des banalités communes à tous le monde, il lui apprend qu’il a eu un enfant qu’il ne connaît pas et que cet enfant n’est autre que lui-même. On nage en plein surréalisme !
Télépathie 2ème
Majax demande à plusieurs personnes du public s’ils aiment les fruits. Comme tout le monde se doute maintenant que si on répond oui, on est bon pour participer, tout le monde dit non. Cela n’arrête par Majax qui désigne au hasard un spectateur malgré lui. Une corbeille de fruit est amenée sur scène par le professeur. Ce sont des fruits « aplatisés », lyophilisé. Des fruits dessinés sur des cartes à jouer géantes. Le spectateur choisi un fruit en prenant une carte face en bas du paquet. « Un télépateur » une sorte de double moulinette est alors placé sur le front du spectateur qui l’actionne pour émettre sa pensée au public dans la salle. Pendant cette mise en scène, le professeur montre la carte « banane » au public dans le dos du « cobaye ». Majax demande alors que le fruit soit nommé à trois par l’ensemble de la salle à la surprise de la personne seule sur scène. Un classique revisité.
Voyance
Majax propose une expérience de voyance dans l’avenir en confiant deux enveloppes fermées à deux spectatrices sur scène. Pour choisir deux personnes au hasard dans la salle, une petite balle est lancée dans l’assemblée plusieurs fois. Les spectateurs désignés sortent chacun un billet de vingt euros qu’ils déchirent sous l’ordre du magicien, « ce qui est complètement illégal ! » dixit Majax. Le magicien s’empare à chaque fois d’une des moitiés qu’il fait disparaître dans un calepin noir. Les deux enveloppes sont alors ouvertes. On y découvre, à l’intérieur, les moitiés correspondantes à celles tenues par les spectateurs. Les déchirures coïncident exactement. Bluffant. (Réf : Un tour de Michael Ammar ; Billet dans la Cacahuète, Notes de Conférence version 2004)
Télépathie 3ème
Un enveloppe marquée « prédiction » est apporté par le professeur sur scène. Majax demande à une spectatrice de lui nommer la ville dans laquelle elle habite, le nom de la rue, le numéro et l’étage de l’immeuble. Alors que tous le monde s’attend à ce que l’enveloppe soit ouvert pour y découvrir exactement les mêmes renseignements, le professeur Wonderfool, surgit derrière un rideau déguisé en cambrioleur armé d’un trousseau de clés demandant au magicien « Combien le numéro de la rue, déjà ? »
Sous contrôle
Tel un gourou des temps moderne, Majax propose à un spectateur de le guider mentalement pour quelques petites expériences avec une corde. Sur le principe du « faites comme moi », une corde est confiée au spectateur, qui doit exécuter les mêmes figures que le magicien réalise à côté de lui. Au programme, le nœud sans lâcher les bouts, le nœud éclair de Slydini, le F… nœud éclair de Flip, le nœud au lasso, le nœud derrière le dos. Inutile de vous dire qu’à chaque fois le spectateur n’arrive pas à effectuer la moindre passe, prouvant au final les dons exceptionnels du gourou Majax. Son tour fétiche.
Le rituel
Majax propose au public de venir boire avec lui. « Qui aime boire ? », « Vous monsieur, oui » réponse du type : « non pas du tout », réponse de Majax : « Oui, beaucoup, et bien c’est parfait, venez ! »
« Qu’est ce que vous aimez…une tequila avec beaucoup d’alcool, parfait ».
Enchaînant les questions et les réponses à la place du spectateur, Majax le fait asseoir spectateur sur scène. Celui-ci tient un plateau apporté par le professeur avec dessus tout ce qu’il faut pour préparer un bon cocktail. Sur le principe des boulettes de Slydini, le gobelet disparaît sous les yeux du spectateur (atterrissant dans les mains du professeur, placé derrière). C’est ensuite le tour à la tequila (double récipient retiré par le professeur au dessus de la tête du cobaye). Pour finir, un broc remplit de cacahuètes disparaît par deux fois. Le public est complice de cette petite farce sympathique.
Magnétisme
Majax nous parle du précurseur du magnétisme Franz Anton Mesmer et de l’expérience du « baquet de Mesmer » datant de 1778. Récipient composé de verre pilé, sédurile, limaille, sable et bouteilles pleines d’eau magnétisée, qui obtenait près des malades de nombreuses guérisons. Ce liquide « fluidique » a été reconstitué par le professeur Wonderfool et placé dans un pulvérisateur. Trois spectateurs « fatigués » sont pris comme cobayse désignés volontaires. Un s’assoie sur une chaise et les deux autres restent debout. Après avoir été aspergé du liquide, ils placent une de leur main sur la tête de la personne assise et l’autre en contact avec l’autre personne debout. A ce moment la personne assise sent une énergie qui vient la chatouiller, et danse sur sa chaise. L’opération est répétée trois fois en échangeant les rôles. Une bonne présentation qui motive le truc de la chaise électrique.
Chamanisme
Ce courant religieux et philosophique utilise l’incantation comme participation au pouvoir de guérison. Le chamane est tour à tour sorcier, prêtre, magicien, devin, médium et guérisseur. Il peut traiter certaine maladie. C’est sur ce dernier point que le chamane Majax demande dans la salle s’il y a quelqu’un qui a besoin qu’on lui retire un caillou dans la vésicule biliaire, par exemple ? Un jeune homme est prit d’office comme cobaye volontaire. Celui-ci est invité à retirer son maillot de corps et à s’allonger sur une planche encore maculé de sang de la « victime, euh du patient de la veille ». Majax, assisté du professeur, place quelques mouchoirs dans le pantalon du jeune homme et enfile une blouse et des gants de chirurgien.
Chirurgie à main nue façon guérisseur Philippin
Majax va maintenant réaliser une opération à mains nues comme le pratique les guérisseurs philippins. Il incise avec sa main au niveau de l’abdomen. On voit du sang couler. Les doigts pénètrent alors dans la chair, fouillent et en extirpe la tumeur dans une vision légèrement gore. Majax retire ses gants, s’arme d’essuie-tout et nettoie la plaie. Le patient est guéri et retourne à sa place. Une expérience saisissante et spectaculaire.
Majax nous raconte l’histoire de Sir Conan Doyle, l’auteur de Sherlock Holmes, adepte du spiritisme et ardent défenseur des ectoplasmes et autre table tournante. Cette croyance dans l’au-delà, aux phénomènes extra lucides est une bonne introduction au tour des « tubes de shaolin » qui va suivre.
Les « Shaolin passi-passi », «ou un verre à la place d’une carafe ». Deux tubes, une bouteille de vodka cerise et un verre. A lire la notice, fournie avec le matériel, ce sont les tubes qui font le travail.
Pendant que Majax lit la notice chinoise (traduite à la va vite en français), c’est le professeur qui exécute le tour. « Recouvrir le verre puis la bouteille des deux tubes montrés vides, passe magique et les objets s’intervertissent ». Sauf que ça ne marche pas, faute à une mauvaise lecture de la notice qui du coup zappe à chaque fois une indication importante. Le tour est recommencé trois fois de suite. Au début il faut toujours « montrer verre vide », du coup le professeur doit boire le liquide avant de recommencer le tour ! Dans un état d’ébriété avancé, Wonderfool réussit finalement à réaliser l’inversion finale.
Majax se propose d’essayer un appareil nommé « influmagmasistonique » sur le public. Il passe ainsi dans la salle avec un tube noir, sorte de baguette magique surdimensionnée qu’il propose aux gens de toucher. Revenu sur scène, il demande l’heure. Les gens s’aperçoivent qu’il non plus leur montre ou leur bijou, tous subtilisé par Majax lors de son passage express dans la salle. Après cette introduction, trois personnes montent sur scène. L’une d’entre elle enfile un gilet électronique (« utilisé par Interpol ») qui va permettre de donner quelque cours de pickpocket aux deux autres spectateurs. Composé de cellules photo électriques, il s’agit de retirer le peigne ou le portefeuille de la poche sans faire sonner l’alarme. Avant que les spectateurs n’asseyent, ils ont tous les deux droits à un diplôme de pickpocket. Quand ils sont en actions, Majax profite pour leur retirer le plus de biens possible. Il redonnera à la fin, montre, portefeuille, carte de crédit, et billet.
Un dernier spectateur reste sur scène. Majax lui coince une montre dans le col de sa chemise, profitant de l’occasion pour retirer progressivement sa cravate. Il demande à un autre spectateur d’essayer de retirer la montre sans que le propriétaire ne sente quelque chose (sinon, celui-ci appuie sur un klaxon placé entre ses jambes). Pendant cette mascarade, Majax subtilise la cravate, l’appareil photo, le porte feuille et le mouchoir du type assis. Pour finir, le spectateur repartant de lui-même à sa place, Majax l’interpelle et lui demande s’il a tout sur lui et lui redonne ses biens.
Un beau ballet de pickpockétisme.
Conclusion
Fidèle à ses principes de démystification, Gérard Majax nous propose un voyage drôle et mystérieux dans les différentes disciplines du paranormal. Prenant pour appui des « faits réels », il fonde ses expériences, souvent bluffantes, sur une base solide et revisite ainsi quelques tours classiques sous un nouveau jour. Nous savons le combat qu’il mène depuis des années contre les prétendus voyants, hypnotiseurs ou charlatans de tout bord qui prétendent posséder quelque pouvoir. Membre du cercle Zététique (l´association des sceptiques français) au côté d’Henri Broch, Gérard Majax à l’expérience des phénomènes dit paranormaux et c’est toute cette expérience qu’il met au service du spectacle dans un immense jeu de démystification avec la complicité du public. La participation active des spectateurs tout au long des expériences, implique à 100 % l’attention de chacun. Nous ressortons ainsi amusé et éblouit par ce cabaret de l’étrange qui nous a renvoyé notre propre intelligence de spectateur et de cobaye volontaire. Un spectacle indispensable.
A lire :
– L’interview de Gérard Majax.
– Histoire de la voyance et du paranormal, du XVIIIème siècle à nos jours de Nicole Edelman. Éditions du Seuil (2006).
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