Après une première année expérimentale, voici la 2ème édition du Salon Médias Internationaux des Arts Magiques (M.I.A.M), un rendez-vous régional, dans une ambiance conviviale, organisé par Magicus avec le concours du Centre d’Animation Lalande (Mairie de Toulouse) qui a étoffé sa programmation en la concentrant sur trois jours, du gala le vendredi soir (Great Magic Show n°8) à la foire magique le dimanche, en passant par les conférences et un concours de close-up le samedi.
La Philosophie et la pensée de JACQUES DELORD par Hugues Protat
C’est le formidable Hugues Protat qui ouvre le bal de cette riche journée pour la quinzaine de personnes présente en ce samedi matin, lendemain des attaques terroristes à Paris. Cette tragédie a dû en freiner plus d’un et certains avaient la gueule de bois… mais le spectacle continu malgré tout…
Hugues Protat est un artiste-magicien et comédien ayant fait le Conservatoire d’Art Dramatique à Rouen. Il est également organisateur du Festival de Forges les eaux avec son compère François Normag. Tout comme Didier Puech, il était très proche de Jacques Delord.
Protat va nous parler pendant deux heures de la philosophie et de la pensée du magicien-poète à travers ses écrits, ses chroniques, ses émissions de télévision et sa prose. Car pour lui, Jacques Delord est incontournable, 40 ans après l’avoir découvert à travers sa Trilogie.
« Delord a fait l’être que je suis aujourd’hui. Je n’aurai pas été magicien sans lui. » Hugues Protat
Jacques Delord (1928-2006) est le premier magicien programmé, au début des années 1960, dans les cabarets parisiens de la rive gauche et plus tard à Bobino et L’Olympia. A la même époque, il rejoint la légendaire Pistes aux étoiles de Gilles Margaritis.
Il fait une apparition dans le film Baisers volés de François Truffaut (1968) dans lequel il incarne un étrange prestidigitateur de cabaret présentant son légendaire numéro de cordes : Le voyageur des mers lointaines, résultat de sept années de recherches et d’entraînement. De 1971 à 1973, il publie la trilogie Sois le Magicien, Sois l’Enchanteur et L’Eternel Magicien, des ouvrages qui modifient profondément l’approche pédagogique de la magie. Animé par l’envie « de faire le prolongement » de ses livres à la télévision, il écrit et imagine les tours des trois séries des Ateliers du magicien (1976-1978) diffusées sur FR3, qui ont marqué l’esprit des spectateurs. Il collabore également aux magazines Pif Gadget et Okapi.
Grand voyageur curieux de toutes les cultures magiques, il parcourra le monde pendant 7 années, notamment l’Afrique et l’Asie, pour présenter ses spectacles dans le cadre du réseau culturel français.
La trilogie
Dans cette série de livres destinés aux enfants, Delord nous dit qu’être magicien c’est une démarche et un métier possible. Il a eu l’élégance d’éditer quelque chose à un niveau artistique, philosophique et spirituel incroyable. Les titres de ses trois livres sont révélateurs de sa philosophie : Sois le magicien, Sois l’enchanteur et l’éternel magicien.
Quand un jeune me demande un conseil pour commencer la magie, je l’oriente sur ces livres, aujourd’hui réédités en un seul par Ludovic Mignon de chez Marchand de Trucs à 500 exemplaires (aujourd’hui pratiquement épuisé), dont Didier Puech a fait l’une des trois préfaces avec Jean Merlin et Hugues Protat. Imprégnez-vous de ses écrits ! Delord essaie de faire comprendre que si l’on est là depuis des années, ce n’est pas par hasard : il y a une raison profonde. Aujourd’hui, les jeunes sont perdus dans un labyrinthe de DVD, vidéos YouTube et techniques où les tours « flash » sont mis en avant. Et justement, dans les livres de Delord, il y a une technique qui s’appelle le labyrinthe et qui rappelle que la technique est une clé et jamais une finalité. La vraie création est un long chemin, il faut être patient et ne pas sauter d’étapes. Delord nous dit de « TROUVER LE MAGICIEN QUI EST EN NOUS » et les techniques trouveront sens à travers notre personnalité. Les possibilités dans l’art magique sont infinies. Il y a VOTRE FACON de faire tel numéro. Bien sûr, chacun passe forcément par la copie (exemple du compositeur Mozart avec Haendel)
Le déclic
Les Chroniques de Jacques Delord, écrites sur une période de 15 ans dans Magicus magazine de 1987 à 2006, réunissent tous les grands thèmes de l’auteur. Pour lui, il faut se poser la question suivante : « Qu’est-ce qui m’a touché chez ce magicien ? ». La magie est dans l’émotion primale que l’on a ressentie. Le déclencheur est ce qu’il y a de plus pure et sincère. Il ne faut pas perdre cette source fondatrice.
« L’attente du public c’est l’émotion magique […] Se consacrer entièrement aux rêves de l’autre. Il faut que le mouvement, le ressenti créent l’émotion pour le transmettre au public.»
Protat prend l’exemple de Jean-Pierre Vallarino et son univers musical à la Sinatra. Il sent que les cartes l’ont choisi et prennent vie avec la musique. Il faut se poser la question de notre « déclic », le pourquoi je suis magicien ? Delord parle aussi de Slydini et de Kaps, de leur magie personnelle et incarnée. Comment utiliser la technique avec le potentiel de chacun. On a tous quelque chose à exprimer et à dire, mais pour cela, il faut être à l’écoute de son public.
L’incarnation
J’ai toujours eu un goût pour la transformation. Mon modèle est l’acteur Robert Hirsch dans le sketch de La Cigale et la fourmi. Ses transformations m’ont marqué quand j’avais 10 ans.
Mon personnage d’Edmond, le paysan est venu des questionnements que je me suis posés à travers les trois axes dont parle Delord : la technique, l’interprétation et le créateur. J’ai modulé ma voix en m’inspirant d’un oncle normand qui parlait un patois incompréhensible. Mon personnage est né progressivement d’improvisations avec François Normag et Draco lors des intermèdes de présentation d’un gala. Les gens parlaient que de ça, occultant les artistes « tête d’affiche ». On m’a dit : « vous devriez faire quelque-chose avec ça. » J’ai été à l’écoute du public et j’ai monté le numéro des bouteilles. Qu’est-ce que peut faire ce personnage ? Quel sens cela va prendre ? Tout naturellement l’alcool m’est venu à l’esprit. Je me suis inspiré des différents numéros de multiplication de bouteilles (1) des trois Bario, de Tommy Cooper et de Jean Régil.
(1) Multiplying Bottles est un effet créé par Arthur P. Felsman dans les années 1920, variante de l’effet Passe Passe Bottle and Glass (1876).
J’utilisais 25 bouteilles dans la première version de mon numéro qui occasionna une standing ovation du public ! A ce propos, j’ai manipulé pendant 7 ans, 28 pièces dans chaque main pour « rien » et en trois semaines de comédie avec « un tour que tout le monde peut acheter », je fais un tabac ! D’où l’importance du personnage et de la présentation ! Au vue de l’engouement général, j’ai continué sur ma lancée pour aboutir à une production de 64 bouteilles.
L’acteur
Delord aimait les acteurs pédagogues comme Charles Dullin ou Louis Jouvet et prenait comme base leurs outils d’acteur comme fondamentaux. Qu’est-ce qu’un acteur ? Des techniques, mais surtout une émotion qui vient de l’intérieur. Robert-Houdin dira lui-même cette célèbre phrase : « un magicien est un acteur qui joue le rôle de magicien. » Mais voilà, beaucoup de magicien ne sont pas les meilleurs interprètes de leur numéro !
« Il faut apprendre les règles du théâtre, les règles de l’écriture. Il ne faut pas un mot de trop. Chaque mot doit être efficace afin de sortir du simple boniment ressenti comme tel. Travailler avec un homme de théâtre et un bon metteur en scène; celui-ci à l’œil du public. Lire beaucoup de poésies. Si les objets sont différents, il faut trouver un lien. La magie est dans notre imaginaire. Tout vient de vous et de votre complicité avec les spectateurs. Quand le public ne vous inspire pas, on a envie de fuir. » J. Delord
Il faut donc savoir si un numéro nous correspond, savoir où l’on se situe : dans le drame, la comédie, la parodie… Je prends l’exemple de Franck Dubosc, qui était au conservatoire avec moi, et qui voulait être le nouveau Delon ou Belmondo, sauf qu’il y avait un décalage de tempérament et d’émotion. Il a finalement trouvé ce qu’il était dans son juste emploi. Au début de sa carrière, Jacqueline Maillan jouait des grands rôles tragiques comme Phèdre mais tout le monde riait. Elle a ensuite assumé son côté comique et prit une toute autre direction de répertoire… Mon personnage de Marie-Hélène, petite fille de Robert-Houdin, est né de ma passion pour Maillan. Prenons conscience de notre corps et de notre voix pour trouver notre potentiel. Les cours de théâtre peuvent aider à ça. Regarder des choses qui nous inspire et qui vont nous construire en tant qu’artiste.
Travaillez les 5 outils de l’acteur :
– La voix
– L’articulation (son des voyelles, fondamentaux)
– Le phrasé (donner des rythmes et des arrêts, prendre des temps, dire des choses regroupées, créer des ruptures, des contrastes, donner une intelligence au texte…)
– La respiration
– L’attitude, le corps, la gestuelle
Des exemples de personnages :
– Pierre Brahma (lumineux)
– Mac Ronay (qui portait un fardeau sur ses épaules)
– Bourvil (le benêt qui avait une démarche contrariée avec ses chaussures trop petites)
– De Funès (personnage hystérique et surréaliste de cartoon, monté sur ressorts). De Funès est pour Protat un génie du comique. Si l’on coupe le son de ses films, on comprend tout car son corps est l’expressivité même.
– Buster Keaton a construit son personnage par rapport à ce qu’il a subit étant enfant, quand, à l’âge de 3 ans, ses parents le mettaient dans une boule lancée en l’air. Il a été traumatisé à vie et en découle son personnage stoïque à n’importe quelle situation, qui subit tout, alors qu’à l’intérieur de lui c’est le drame absolu.
– Chez Feydeau et Molière, les personnages agissent et réagissent ; le drame et la farce se ressemblent et la frontière entre les deux est mince.
– Dans Le Kid de Chaplin, il y a un moment où il exprime la « tragédie du corps » lors d’un coup de casserole sur la tête.
– Le magicien Voronin a un naturel tout en retenue typique de l’école russe dans une gestuelle stylisée qui revoie à une certaine fierté de son peuple.
Travailler son personnage, développer ses goûts, ses envies. Il doit avoir du « jarret », du rythme, du tempo. Son corps doit agir et réagir tout de suite. Etre simple et clair, c’est ce qu’il y a de plus dur. Penser à la petite grand-mère au fond de la salle qui n’entend et ne voit pas bien pour qu’elle comprenne tout.
Derniers conseils de Jacques Delord
Delord faisait le grand écart entre la magie occidentale et orientale, entre la rationalité et la dimension imaginaire. Il faut arriver à y croire soi-même pour convaincre le public. L’acteur doit avoir la foi. « Tout ce qui est imaginable est vrai » (Gérard De Nerval).
Dans le dernier texte de Delord en forme de testament : La belle au bois dormant, il dit que la magie existe ! Le magicien est le représentant du mystère. Il doit s’ouvrir à la physique quantique et envisager toutes les pistes possibles.
Pour Delord, il y a un manque de travail sur ce qu’est la vie en scène. Il faut être capable de réagir au public, jouer avec les éléments vivants et être au cœur de la vie pour profiter de l’instant présent. Arriver en scène avec un maximum de choses vivantes à partager avec son public.
Les enfants de 4/5 ans croient aux personnages qu’ils jouent, ils ont ça naturellement en eux. Un état que l’on commence à perdre vers 7 ans. C’est cet état qu’il faut retrouver quand on est adulte.
Delord a créé des points de repères essentiels. Il n’y avait pas de moule (comme l’école coréenne ou allemande de nos jours). Tout était basé sur VOTRE personne. Il était à l’écoute, il laissait la possibilité aux gens de se développer en leur donnant des points de repère à travailler sans être directif : une aventure vers les potentialités de chacun.
« Le tour est une chose mais l’objet est capital. L’objet inspire le tour. Au mot près et au geste près. Il ne faut pas regarder ses mains. L’histoire se passe dans les yeux et dans le cœur des gens. L’œil est très important. Le tour doit devenir une seconde nature afin de ne plus regarder ses mains. Répéter sans les objets est un bon entraînement. » J. Delord
Dans son ouvrage Sois le magicien, Il demandait ce que l’on pouvait amener d’unique dans ses tours pour que ça nous corresponde. Il nous disait d’être à l’écoute de l’objet, être en symbiose avec lui et être sensible à sa symbolique. L’objet comme prolongement de la main, comme résonnance du monde (exemple de Channing Pollock et de ses colombes qui symbolisaient le nouvel homme et le renouveau d’une société d’après-guerre).
« Le secret de l’artiste n’est pas dans les tours, il est tout entier contenu dans son amour […] A un moment donné, on ne peut pas tricher, si le tour ou l’objet ne nous parle pas […] Il faut AIMER. L’amour de ce que l’on fait, du public, de la rencontre. » J. Delord
Transcender la technique pour développer son personnage, le jeu et l’émotion. Faire passer le sens de ce que l’on fait. Il faut jouer avec les informations que l’on a dans la vie (par un état d’esprit différent) avant de rentrer en scène et que le spectacle continue. Jouer avec les accidents de la vie et ne pas nier la réalité : Jouons sur le présent !
Conclusion
Nous avons assisté à une intervention exceptionnelle conduite de main de maître par un passionné de notre art. Hugues Protat est animé par un vrai amour pour les gens et sait merveilleusement retranscrire et faire partager ses convictions grâce à une maitrise totale de la langue française et à une diction impeccable. Tel un conteur, il a happé son public par sa faculté à prendre possession de n’importe quel personnage, tel un Fregoli, en lui donnant vie par le talent de son incarnation. Ce qu’il raconte est ESSENTIEL, car il s’agit bien de l’essence de la magie ici questionnée en la ramenant à chacun d’entre nous pour trouver ce qui nous anime, le pourquoi nous sommes magicien, les racines même de notre profession de foi. Sa conférence en forme de conversation intimiste et universelle est à prescrire d’urgence à tous les passionnés de notre art !
JEAN-PIERRE VALLARINO / Conférence sur les bases et les classiques de la cartomagie
Le niçois Jean-Pierre Vallarino est un des spécialistes de la cartomagie mondiale. A ses débuts, dans les années 1970, il fréquente les plus grands magiciens et cartomanes de l’époque : Dai Vernon, John Hamman, Ed Marlo, Fred Kaps… Détenteur d’un grand prix FISM en 1991 avec sa mythique routine Champagne, il abandonne son métier de photographe pour la cartomagie professionnelle.
Vallarino est adepte d’une magie élégante, fluide, esthétique, scénarisée et chorégraphiée. Influencé par la musique, il conçoit ses routines comme des morceaux qu’il travaille comme un orfèvre jusqu’à simplifier au maximum les mouvements et les techniques et bannir tout ce qui est antinaturels. Chez lui, tout est une affaire d’atmosphère, de gestuelle et d’efficacité visuelle avant tout, d’où son goût pour les numéros sans paroles accompagnés de musique.
Les techniques
Jean-Pierre Vallarino commence son intervention sur les techniques de bases de la cartomagie. Un rappel bienvenu même pour les initiés car on oublie parfois certains mouvements essentiels pour renforcer l’impact d’un tour. Pour Vallarino, il faut déjà apprendre les techniques et ensuite les tours car le cerveau ne peut pas enregistrer les deux.
Pour commencer à réaliser des tours, il faut maîtriser six à dix techniques, parmi lesquelles : la tenue du jeu, le mélange du jeu, le contrôle d’une carte, le faux mélange, la fausse coupe, le forçage.
Tout d’abord, il faut apprendre à tenir un jeu de cartes en main. Prenez le jeu, baladez-vous avec le plus souvent possible et le cerveau va assimiler progressivement ce nouvel objet pour qu’il devienne un prolongement naturel de votre main. Dès que vous ne « sentirez » plus le jeu, c’est là que l’on pourra commencer à travailler les techniques.
Les mélanges
Commencez par le mélange à la française (overhand shuffle). Tenue du jeu en main droite (Biddle grip) et réception des cartes en main gauche, aidé de l’index. Ce mélange est le plus naturel possible parce qu’il est utilisé par le public novice. Si l’on commence à mélanger à l’américaine, on dévoile que l’on est différent et qu’on « contrôle » les choses. L’effet de surprise sera amoindri.
Contrôle d’une carte
Le contrôle d’une carte doit être réalisé simplement avec un minimum de manipulation car les gens ne doivent pas ressentir de suspicion.
– Contrôle d’une carte au-dessus du paquet en effectuant un effeuillage avec un break, une pause puis reprendre la coupe sur table.
– Contrôle d’une carte en Out Jog et In Jog.
Faux mélange
Faux mélange à la française pour conserver un ordre noir/rouge par exemple. Faux mélange « en saut de mouton » en mimant les cartes à enfoncer dans le jeu. Pour ces techniques de contrôle et de faux mélanges, il faut connecter son cerveau avec ses mains et être naturel pour éviter de transmette son « mal être » devant le public. Faire les mouvements de manipulation en parlant avec du rythme, sans en accorder de l’importance pour éviter la suspicion du public.
Les fausses coupes
– Fausse coupe sur table en coupant le jeu en deux et en claquant les paquets à la verticale avant d’en poser un sur l’autre en décalé.
– Démonstration du Sandwich de Paul LePaul à l’effeuillage.
Forçages
– Forçage à l’éventail en travaillant le timing et en synchronisant la carte que l’on veut « donner » au spectateur. C’est le plus beau forçage mais aussi le plus dur.
– Forçage à l’effeuillage et au break.
– Forçage au stop en coupant le jeu en petits paquets sur la table.
– Forçage en croix par le spectateur en ayant préparé le mouvement, soi-même, deux à trois fois avant en montrant une carte différente à chaque fois après avoir mélangé le jeu.
Empalmage
Substitution de l’empalmage de Dai Vernon en mélangeant deux paquets différents du jeu avec la carte en position Side steal.
Saut de coupe
Spread pass en ouvrant sa gestuelle pour constituer un ruban en demi-lune et en effectuant la passe dans le mouvement de poser le jeu sur la table.
Techniques sur table
– Le ruban. Savoir étaler un jeu de cartes sur un tapis.
– Faux mélange Zarrow sur table avec variante en étalant les cartes comme « une pizza » sans soulever le jeu.
– Faux mélange Vernon
– Faux mélange en Strip out
Comptage Elmsley
Variante en « coupant » le mouvement de comptage en deux avec un arrêt (en forme d’hésitation).
Rumba count
C’est la technique qui a fait la popularité de son auteur. Elle permet de montrer des cartes identiques alors qu’elles sont toutes différentes. Ce comptage, qui fonctionne sur le même principe que le comptage optique ou flushtration move de John Hamman, possède l’avantage d’être plus rythmé, esthétique et visuellement plus attractif.
Vallarino a mis au point la Rumba count pour remplacer des techniques similaires qui étaient trop contraignantes pour lui. Il voulait trouver une technique qui lui corresponde et sa motivation fut la musique, d’où le nom Rumba. A l’origine, sa technique servait à montrer la même carte mais aussi à cacher une carte gimmick.
Faux dépôt à rétention
Utilisez les cartes comme les pièces en adaptant par exemple la technique de la rétention de vision.
Lapping
Au niveau émotionnel, l’effet est exceptionnel et permet des transformations de façon fluide. Vallarino nous fait ensuite une démonstration magistrale de lapping avec un jeu de cartes dans une routine de carte ambitieuse.
Les tours
Pour les tours, il faut arriver à trouver des connexions entres eux pour créer en ensemble cohérent.
– Collector en une passe pour collecter trois cartes en même temps.
– Face of the world est une variante du tour Out of this world de Paul Curry mais les cartes sont faces en l’air.
– Reverse matrix où comment simplifier les 6 à 8 mouvements de base en une seule passe.
– Reset. Après avoir étudié les classiques de Hamman, Harris et Hierling, Vallarino à raccourci la routine et inclus la phase initiale dans sa présentation.
– Assemblée d’as en coupant et simplifiant certains mouvements inspirés de Larry Jennings.
– Vallarino nous parle de son numéro mythique Champagne qu’il a monté pour la FISM 1991 au début de sa carrière professionnelle, et qui a tourné pendant 12 ans à travers le monde.
Conseils
– Pour les tours avec un jeu emprunté, réalisez des routines semi automatiques pour limiter les manipulations. Il faut s’adapter à l’état du jeu.
– Travaillez la zone dans l’ombre et la zone mise en lumière par des actions en transit en deux phases. Jouez avec « les projecteurs » de la misdirection. Une main se « libère » parce qu’elle a une chose à faire.
– Ne faites pas de fioritures intempestives pour les profanes. Privilégiez « l’effet photo » et la clarté du tour.
– Attention au dosage entre ce que vous montrez et ce que vous dites. Evitez les effets de « bourdonnements ». Le visuel et le sonore ne doivent pas se télescoper car le cerveau ne peut pas enregistrer les deux en même temps. Pour ma part, je n’aime pas parler pendant mes routines, je privilégie donc le visuel et l’accompagnement musical par moment.
– Ce que l’on voit pour nous, à travers son miroir, est ce que le spectateur voit en face de lui. Il faut penser à l’effet qui va être produit sur les spectateurs et pas sur nous.
– Apprendre les mouvements de son corps par rapport à sa personnalité, suivant les techniques que l’on emploie en travaillant chaque détail.
– La pièce est l’outil le plus important en magie parce qu’elle fait prendre conscience de son corps par le naturel, le comportemental (théories d’Ascanio et de Slydini).
– Travaillez le squelette et la dramatisation d’un tour. On devient ensuite autonome pour créer.
– Travaillez plus sur la pensée que sur la technique.
– Prendre réellement au sérieux ce que l’on a dans les mains et servir de transmetteur pour le public.
– Mettez-vous en péril de temps à autre pour avoir une âme et ne pas être formaté. Il est important de sentir ses faiblesses, de se mettre en danger pour donner de l’émotionnel.
Conclusion
Pendant quatre heures, Jean-Pierre Vallarino a livré de précieux conseils sur des techniques et des tours connus de la plupart des participants, en s’attardant sur des subtilités de mouvements et d’exécution. On sent à chaque moment, l’homme investi d’une mission envers son art qu’il maîtrise comme personne.
Cette conférence qui devrait être couplée avec la présentation de ses dernières créations commerciales a tourné à un moment d’intimité où le cartomane s’est livré en tant qu’artiste et commerçant, tiraillé entre la création (la source) et les « impératifs » de son nouveau site Internet Apprendre la magie. Une phrase résume bien son positionnement : « Je ne cherche pas la nouveauté mais j’explique mon travail et ma philosophie en faisant du commerce avec la vente de mes DVD et mon école en ligne. »
EXISTE-T-IL UNE MAGIE TYPIQUEMENT ORIENTALE ? / Discussion-débat avec Youssef Chouiter interviewé par Didier Puech
Moment extrêmement convivial autour d’un thé à la menthe et de pâtisseries marocaines. Le magicien de close-up Youssef Chouiter se prête au jeu des questions-réponses.
Photo : Didier Puech.
Didier Puech : Tu travailles au Maroc. Quand es-tu venu en France pour la première fois ?
Youssef Chouiter : En 2008 pour animer une fête de mariage.
DP : Y-a-t-il une magie typiquement marocaine ?
YC : Pas vraiment. Il y a des magiciens de rue où le public se positionne autour, par exemple sur la grande place Jemaa El Fna de Marrakech, ce cercle porte le nom arabe de halka. Les magiciens travaillent au chapeau et il y a aussi beaucoup de vrais pickpockets et de complices. Il y a aussi des salles de spectacle dans chaque ville du Maroc. Il n’y a pas vraiment d’accessoires associés à notre culture que l’on utilise en magie. Il s’agit surtout des cartes. Il existe en revanche un vrai artisanat du bois et du cuir mais qui n’est pas encore exploité pour la prestidigitation…
DP : Y-a-t-il des tours typiquement marocains ?
YC : Non, Le répertoire se compose de tours classiques comme la boîte aux sabres, la tête coupée, etc. Il faut bien comprendre que la magie a longtemps été interdite par la religion car elle est assimilée au diable et à la sorcellerie, mais les choses évoluent depuis quelques années et on distingue l’art magique des pratiques diaboliques. Mais il faut du temps pour faire changer des siècles de culture. La magie moderne (prestidigitation) s’est développée au Maroc grâce à des juifs marocains dans les années 1960.
DP : L’interprétation actuelle du Coran a-t-elle changé sur ce point ?
YC : La loi suit les préceptes du Coran au Maroc.
DP : Comment se développe la magie au Maroc ?
YC : De nos jours, les hôtels font venir des magiciens européens pour les touristes. En 2002, a eu lieu le premier festival de magie à Marrakech, jusqu’en 2007. La magie s’est développée également grâce à d’autres festivals, comme le Festival Souffle Magique organisé par Magicus en 2012 sous l’impulsion de son directeur artistique Didier Puech.
JP. Vallarino : J’ai moi-même travaillé pour le roi Hassan II pour un nouvel an avec dix autres de mes confrères dont Gary Kurtz.
DP : Existe-t-il une influence du conte des Mille et une nuits au Maroc ?
YC : Pas vraiment, c’est plutôt spécifique à l’Egypte et l’Arabie Saoudite.
DP : Il y a très peu d’écrits magiques au Maroc…
YC : Nous avons quelques descriptions du tour des gobelets avec l’apparition de poussins (Gali-Gali) qui est originaire d’Egypte. Il y a quelques routines avec des fruits locaux mais les sorciers les détournent pour faire de la magie noire, notamment avec le sang dans l’œuf.
DP : Comment es-tu arrivé à faire de la magie ?
YC : Au début, je travaillais à la grillade de poissons sur le port d’Essaouira. Quand j’ai voulu me lancer dans la magie, Gérard Majax et Gérard Kunian m’ont aidé, ainsi que l’équipe de Magicus.
DP : Pour qui travailles-tu ?
YC : Pour les restaurants, les entreprises, les festivals. Je travaille pour le tourisme, pour les européens. Je suis pensionnaire d’un restaurant où je travaille 4 jours par semaine. Je fais partie des magiciens marocains à l’origine du développement du close-up dans les restaurants de mon pays. J’interviens parfois dans des riads, comme par exemple pour Richard Bronson, patron de Virgin et au Grand Sofitel. Au final, je travaille tous les jours, deux à trois représentations.
DP : Quel répertoire pratiques-tu ?
YC : Je travaille essentiellement la magie de close-up avec des routines de gobelets, de cordes, de cartes, de canifs et un peu de pickpocket que j’ai appris par l’intermédiaire de Pierre Jacques et Gérard Majax. Je me produis en costume traditionnel qui est un mélange de trois styles : marocain, indien et anglais. Je possède 9 costumes brodés et taillés sur mesure.
DP : Quels sont les cachets au Maroc ?
YC : De 40€ à 150€ par soir.
DP : Il y a beaucoup de DVD piratés au Maroc ?
YC : Oui, il y a malheureusement un véritable marché parallèle !
DP : Y a-t-il beaucoup d’amateurs magiciens au Maroc ?
YC : Oui, surtout à Casablanca. Beaucoup de techniciens mais ce ne sont pas des artistes… J’ai l’impression que c’est un peu la guerre entre les jeunes magiciens et certains se prennent rapidement pour des stars, c’est dommage.
DP : Y a-t-il des clubs de magie ?
YC : Oui, l’association FDAMI parrainée par Magicus. On peut noter la création du premier club à Rabat qui a intégré la FDAMI, bientôt des clubs de la Fédération à Essaouira, Fès, Casablanca, Marrakech, etc.
DP : Y a-t-il une protection juridique pour les tours de magie ?
YC : Non, c’est comme pour la musique, malheureusement.
DP : Y a-t-il des cabarets où les magiciens peuvent se produire ?
YC : Non, mais jusqu’en 2005, les cinémas accueillaient de la magie et du jonglage destinés aux enfants.
Pour finir la discussion, Youssef Chouiter exécute une routine de canifs et de pickpockétisme avec un spectateur.
CONCOURS DE CLOSE-UP
Dix candidats ont répondu présents pour présenter leur routine devant un jury composé de personnalités du monde magique avec pour président Jean-Pierre Vallarino.
Bon niveau dans l’ensemble avec un effort de présentation et des effets originaux pour certains. Il y a globalement un manque de conviction et d’incarnation dans le boniment. Le public a du mal à entrer dans les histoires qui lui sont racontées et perd souvent le fil du tour par manque de clarté. Encore beaucoup de cartes présentées et seulement un numéro de mentalisme…
Au final, deux personnes se sont détachées nettement des autres candidats, deux vainqueurs exæquo : Patoche et Yacine, « le patriarche et le benjamin » du groupe. Ils ont reçu chacun un bon d’achat de 250€ auprès des partenaires du MIAM (Magicaplanet, L’Académie de magie Georges Proust, Mayette Magie Moderne, Marchand de trucs, Cc Editions, Myrrdin) et un chèque de 250€ offert par Magicus magazine.
Patrice Glay alias Patoche présentait l’effet Puzzle Paradox de Winston Freer, habillé en paysan chineur de Pézenas à la recherche d’objets rares et mystérieux. Il trouve une tablette en forme de puzzle dans un linge en cuir chez un brocanteur qui a oublié de lui donner quelques pièces supplémentaires… Le personnage campé par Patoche est assez savoureux et donne lieu à des moments comiques originaux grâce à son accent et à son vocabulaire. Si le tour et l’effet ne sont pas nouveaux, l’interprétation est personnelle et originale, bravo.
Quant à lui, Yacine Monne (15 ans) présentait le tour de Juan Tamariz : Triple coïncidence dans un style décontracté et plein d’assurance malgré son jeune âge. Une routine, à la base, très bluffante et techniquement bien réalisée, agrémentée de jeux de mots et d’une répartie bien venue. Le public ne s’y est pas trompé et lui a fait un tonnerre d’applaudissements.
A lire :
– Sois le Magicien (1971).
– Sois l’Enchanteur (1972).
– L’éternel Magicien (1973) aux Editions G.P.
– Les ateliers du magicien (1976) Ed. G.P.
– Mes premiers tours de Magie (1978) Ed. Solar.
– Enseignement de la magie et de l’illusion comme poétique du geste et du mot (1991).
– La piste aux étoiles de Gilles Margaritis de Jacques Prezelin, 1966, Editions Solar.
– Les chroniques de Jacques Delord parues dans Magicus (1987-2006). 70 chroniques – 150 pp. – Disponible chez MAGICUS, 1 rue Lafaille 31000 Toulouse – magicusmag@wanadoo.fr
– Magicus magazine n°142, spécial Jacques Delord (février 2006).
– Jacques Delord, La trilogie (Marchand de truc, 2013).
A écouter :
– L’interview audio de Jacques Delord par le petit Zébulon.
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°197 (novembre-décembre 2015). Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Coll. S. Bazou.Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.