Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
À l’âge de neuf ans, j’ai intégré un groupe de théâtre dans le petit village où je vivais avec mes parents au Portugal. J’y faisais du théâtre et de la musique. L’un des jeunes adultes qui encadraient le groupe, Séraphin Alfonso, se distinguait par ses talents de guitariste, de pianiste, de danseur, et surtout de magicien. À mes yeux d’enfant, il avait des « super pouvoirs ». Il réalisait des tours avec des cordes, des cartes, des balles, et bien d’autres objets encore. Grâce à lui, j’ai commencé à apprendre quelques tours. Il m’a également prêté des livres, et c’est ainsi que j’ai découvert la magie comme un simple passe-temps. Peu à peu, cette passion a envahi ma vie.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
L’apprentissage est pour moi un voyage sans fin. Chaque jour m’offre de nouvelles connaissances. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’en savoir un peu plus qu’hier, mais je suis convaincu que demain, je prendrai conscience de tout ce qui me reste encore à découvrir.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Les événements qui m’ont freiné sont aussi ceux qui m’ont propulsé. Par exemple, dès l’âge de douze ans et pendant de nombreuses années, j’ai écrit plusieurs lettres aux directeurs de la télévision portugaise de l’époque, expliquant pourquoi j’étais la personne idéale pour créer une série télévisée sur la magie. Le fait que mes lettres soient restées sans réponse m’a d’abord freiné. Cependant, cela m’a aussi beaucoup aidé, car, clairement, je n’étais pas prêt à ce moment-là. Si j’avais reçu une réponse favorable, j’aurais probablement échoué.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ?
À mon avis, deux voies principales se dessinent : la spécialisation et l’adaptabilité. La spécialisation permet de se distinguer en se concentrant sur un domaine précis. Toutefois, ce chemin ne me convient pas, car ma curiosité insatiable me pousse à explorer constamment de nouveaux horizons. Ce qui me passionne, c’est d’apprendre sur des sujets qui ne sont pas liés à mes compétences initiales. Ainsi, plutôt que de me spécialiser dans un domaine particulier, j’ai acquis des connaissances variées sur de nombreux sujets, ce qui correspond parfaitement à ma nature. Comme l’a dit Darwin : « Ce n’est pas la plus forte des espèces qui survit, ni la plus intelligente, mais celle qui s’adapte le mieux au changement. » Un spécialiste peut rencontrer plus de difficultés à s’adapter aux évolutions. Pour moi, la diversité des connaissances est un atout précieux, car elle facilite l’adaptation aux nouvelles situations. Dans le domaine de la magie, par exemple, j’aime m’exprimer à travers le close-up, les grandes illusions, et les tours interactifs. Que ce soit en musique ou en parlant, chaque prestation est pour moi un nouveau défi. Je trouve cela extrêmement stimulant, car cela m’incite à m’adapter et à innover constamment, renforçant ainsi ma passion pour l’apprentissage et l’exploration de nouvelles idées. Cette approche me permet d’offrir des performances diverses, tout en enrichissant continuellement mon répertoire.
Vous êtes le créateur de spectacles originaux comme Utopia, Enigma, Chaos, Conectados et plus récemment Impossible sur scène, qui va faire quelques dates aux Folies Bergère à Paris en automne. Comment montez-vous ces spectacles ? Comment choisissez-vous les artistes ? Comment et où répétez-vous ?
Fort de mon expérience dans les séries télévisées, j’ai réalisé combien il est crucial d’améliorer la perception que le public a de la magie. La meilleure façon d’y parvenir est d’essayer de proposer des spectacles d’exception. Dès ma première série télévisée, j’ai choisi de ne pas m’aventurer seul, afin de permettre au public de découvrir une diversité de magie de haute qualité et d’essayer de susciter un respect pour cet art. Pour cela, je privilégie des artistes que j’admire et dont je pense que le public appréciera le talent. Parfois, je sélectionne des magiciens que j’aime moins personnellement, mais dont je suis convaincu qu’ils sauront impressionner le public. Mon objectif est de créer une synergie avec les artistes pour captiver l’audience. J’ai toujours été soucieux d’inviter les meilleurs talents. Ce principe a guidé mes initiatives, qu’il s’agisse des émissions de télévision, des festivals de magie que j’organise depuis de nombreuses années, ou de mes spectacles comme Impossible sur scène. Ces occasions sont de formidables opportunités pour la magie de révéler ses plus belles facettes au public.
Il y a quelques années, j’ai fondé l’Estúdio33, un espace permettant de répéter dans des conditions similaires à celles d’un théâtre traditionnel. La scène y est une reproduction du Théâtre National de Porto, avec une ouverture de douze mètres et des hauteurs équivalentes, offrant ainsi un cadre idéal pour la création et les répétitions.
Depuis vos apparitions à la télévision au début des années 1990, vous êtes devenu le magicien portugais le plus connu dans votre pays et dans le monde. Comment mettez-vous cette notoriété au service de la promotion de la magie portugaise dans son ensemble ?
Je ne suis pas très nationaliste, donc je ne me préoccupe pas de l’origine géographique de la magie, qu’elle vienne du Portugal, d’Afrique ou d’Australie. Pour moi, ce qui compte, c’est l’humanité. Je ne cherche pas à créer quelque chose qui porte spécifiquement la marque du Portugal. Cette marque, c’est moi, tout simplement parce que je suis portugais. Je crois qu’en adoptant une perspective globale, on peut être plus exigeant. Il serait facile pour moi de produire la meilleure émission de télévision au Portugal, mais c’est bien plus complexe de créer un programme qui captive également les publics au Japon ou aux États-Unis. Mon ambition est de réaliser quelque chose de valeur universelle, qui reste excellent peu importe où il est diffusé, que ce soit au Portugal, en Allemagne, ou ailleurs. C’est mon objectif. Je ne prétends pas y parvenir à chaque fois, mais c’est ce qui me motive.
Vous êtes l’auteur et le producteur de nombreuses émissions de magie sur RTP1, la première chaîne portugaise. Pourquoi, quand et comment a commencé cette aventure ?
Vers dix-sept/dix-huit ans, j’ai commencé à faire des apparitions régulières à la télévision, où je présentais des tours de magie chaque semaine. Malgré cela, je continuais à nourrir le rêve de créer une série télévisée. En 1989, à dix-neuf ans, je me suis enfin lancé dans ma première série. Au départ, c’était une petite série de 25 minutes prévue pour dix semaines et diffusée les mercredis matin sur RTP1. Mais avant même la fin de cette période, ils m’ont demandé de préparer une suite pour encore dix semaines, et ainsi de suite. De ce créneau du mercredi matin, je suis passé au samedi matin, puis au samedi soir, et finalement notre émission est devenue un programme en prime time. C’est évidemment plus intéressant, car cela nous permet de toucher un public beaucoup plus large. Au total, cela a donné quarante épisodes de 25 minutes, avec toujours deux invités par programme, des magiciens que je parvenais à convaincre de venir. Cette expérience m’a permis de grandir professionnellement et de réaliser que parfois, les obstacles peuvent se transformer en opportunités de développement et de succès.
Pouvez-vous nous parler des événements magiques que vous organisez au Portugal ?
Depuis 1998, un festival appelé Encontros Mágicos se tient à Coimbra, destiné principalement au grand public plutôt qu’aux professionnels, bien que certains magiciens assistent également à l’événement. L’objectif de ce festival est de présenter au public ce que la magie a de mieux à offrir aujourd’hui, avec des magiciens de rue, des conférences publiques, des galas internationaux et des spectacles de close-up.
En 2006, nous avons eu l’opportunité d’organiser un événement similaire à Lisbonne, nommé Lisboa Mágica – Street Magic World Festival. Mais, je ne voulais pas simplement reproduire le festival de Coimbra, car cela risquait de cannibaliser ce dernier, étant donné la proximité entre les deux villes. Ainsi, nous avons créé quelque chose de différent. Pendant six jours, nous présentons uniquement de la magie de rue, avec cent-soixante-quinze spectacles répartis dans quatorze lieux à travers la ville. C’est particulièrement intéressant car cela permet une interaction directe avec le public au cœur de la ville. Notre objectif est de montrer la magie à toutes les catégories sociales, pas seulement à ceux qui vont au théâtre ou qui vivent à Lisbonne, mais aussi à tous les touristes qui visitent la ville en août.
Comment la magie portugaise se développe et évolue dans votre pays (structures, collectifs, associations, festivals…) ?
Les associations magiques jouent un rôle crucial en permettant aux passionnés de se rencontrer et de partager leur intérêt commun. Elles offrent également des opportunités précieuses pour orienter et guider les magiciens dans leur parcours. D’autre part, je pense que les festivals que nous organisons et les émissions de télévision que nous produisons contribuent également à développer un certain respect et, dans certains cas, une véritable passion pour notre art. À ma connaissance, il existe deux associations magiques au Portugal : l’une à Porto et l’autre à Lisbonne.
Vous avez créé à Ansião l’ESTÚDIO 33 regroupant un théâtre, un plateau de tournage, des salles de conférences et de workshop, un centre de documentions et un musée. Pouvez-vous nous en parler ? De quoi sont composées votre bibliothèque et vos collections ? Ce lieu est-il accessible au grand public ou simplement aux magiciens, artistes, historiens, chercheurs ?
Depuis 1995, j’ai la chance de travailler avec une équipe composée de neuf personnes. Certains sont là depuis le début, tandis que d’autres nous ont rejoints au fil des années. À l’origine, lorsque nous avons créé Luis De Matos Produções (Lda), nous étions répartis en trois groupes distincts : le bureau, l’atelier et le studio. Évidemment, il m’était impossible d’être présent dans les trois lieux simultanément, et mon rêve était de construire un endroit où nous pourrions tous être réunis. C’est ainsi qu’est né Estúdio33.
J’ai imaginé et dessiné Estúdio33 en 2002, nous avons commencé sa construction en 2003, nous nous y sommes installés en 2008, et l’ensemble a été véritablement achevé en 2010. À partir de cet endroit, nous réalisons toutes nos émissions de télévision en direct, la création de tours, et les tâches administratives. Nous y travaillons quotidiennement. Au cœur d’Estúdio33 se trouve ma bibliothèque, riche de quelque cinq mille ouvrages datant du XVIe siècle à nos jours. Ma passion pour les livres me pousse à rechercher de nouveaux trésors littéraires à chaque voyage, que ce soit dans une ville voisine ou un pays lointain. Bien que cet espace soit avant tout un lieu de travail, j’ouvre volontiers ses portes à ceux qui souhaitent le découvrir, qu’il s’agisse de magiciens ou d’autres passionnés.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marquées ?
L’excellence me touche profondément et m’émeut. Je suis le genre de personne qui peut être submergée par l’émotion en voyant un athlète finir un marathon aux Jeux Olympiques, par exemple. L’excellence a ce pouvoir de susciter des émotions intenses. Au cours de ma vie, j’ai eu la chance de connaître des artistes remarquables qui ne sont plus parmi nous aujourd’hui. Ce qui est incroyable, c’est que même après leur départ, leur influence continue de se faire sentir dans ma vie. Bien entendu, il y a aussi des personnes contemporaines qui m’inspirent énormément, mais aujourd’hui, j’aimerais rendre hommage à cinq personnes disparues : Tommy Wonder, Paul Daniels, Gary Ouellet, Topper Martyn et Max Maven. Chacune de ces personnalités m’a profondément influencé. Elles avaient en commun une grande valorisation de l’excellence et du travail acharné, et j’ai énormément appris grâce à elles.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Je suis attiré par la magie dans toute sa diversité, car pour moi, c’est comme demander à un musicien quelle note il préfère. Tous les styles ont leur beauté et leur valeur, tant qu’ils réussissent à capter l’attention et à offrir une expérience authentique. Chaque performance magique, qu’elle soit classique ou moderne, minimaliste ou spectaculaire, a le potentiel de toucher le public de manière unique. Ce qui compte vraiment, c’est la capacité à créer un moment mémorable.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Dans le domaine de la magie, Paul Daniels a été une influence majeure pour moi, sans doute la plus forte. Son impact se ressent profondément dans ma manière d’être et de travailler. Toutefois, je crois que cette influence reste principalement intérieure, sans forcément transparaître directement auprès du public. Cela me permet de m’inspirer de son approche tout en préservant mon propre style.
De 2013 à 2022, vous avez eu l’opportunité de voyager à travers le monde avec la production The Illusionists 2.0 : Australie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Émirats arabes unis, Turquie, Chine, Russie, Thaïlande… Comment la magie est accueillie dans ces différents pays par rapport à leur culture ?
Je pense qu’il n’y a pas vraiment de différence fondamentale entre les publics à travers le monde, mais plutôt une différence d’expérience. Je crois que le dénominateur commun à tous est notre condition humaine. Chacun de nous sait, au fond, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, et notre réaction face à ce qui est émerveillant, inexplicable, poétique et émotionnel est très viscérale. Dans ces moments-là, nous sommes simplement humains, et c’est pourquoi je ne trouve pas de grandes différences entre les publics du monde.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Ce qui me passionne véritablement, c’est l’apprentissage. J’aime découvrir de nouvelles choses, peu importe le domaine, et développer ma capacité à apprendre. Explorer, écouter, essayer de nouvelles expériences et m’engager dans des processus, même si le succès n’est pas toujours au rendez-vous, fait partie intégrante de mon parcours. Cette quête constante de connaissances et de compétences m’anime et m’enrichit chaque jour.
À visiter :
- Le site de Luis de Matos
- Le festival Encontros Mágicos
- Le festival Lisboa Mágica – Street Magic World Festival
- Essential Magic Collection
À voir :
Interview réalisée en août 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Ana Dias / João Pedro Cezanne / Luis de Matos. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.