Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Difficile de trouver le moment exact quand cela s’est produit. Étant enfant, c’est avant tout mon intérêt pour l’inexplicable et le mystérieux qui m’intéressait. Le paranormal, sorcellerie du Moyen-Age, les voyages dans le temps, châteaux et maisons hantées me passionnaient. Pour ce qui est de la magie de spectacle, l’arrivée au Québec de la revue Pif Gadget dans les années 1970 fut certainement un moment marquant. On y trouvait à l’intérieur des reproductions d’affiches de Houdini, Thurston, Dante et autres magiciens des années 1900. Ces images de magiciens entourées de démons, esprits et fantômes m’inspiraient au plus haut point. Je passais des heures à analyser ces affiches et à imaginer ce que ces hommes pouvaient bien présenter sur scène avec leurs « pouvoirs magiques »
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Aujourd’hui, il est facile d’obtenir sur Internet du matériel de magie, des livres et même des cours privés. Mais à mon époque, rien de ceci n’était possible. Étant originaire de la campagne loin des grandes villes, la seule source que j’avais était la librairie du village. Il y avait aussi le magasin général ou j’ai acheté quelques boites de magie contenant les traditionnels tours de débutant avec gobelets, cartes, cordes, etc. Ceci m’a donc obligé à être imaginatif. Ce problème est devenu un atout car j’ai appris à créer et construire moi-même tout mon matériel. J’en suis bien heureux car c’est encore ce que je fais aujourd’hui, ce qui aide à me distinguer des autres magiciens.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ? À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Les remises en question sont fréquentes dans la vie de tout artiste. Pour ma part plusieurs événements ont bien failli mettre fin à ma carrière de magicien. L’un d’entre eux est lorsque que ma main et mon bras droit furent entièrement brûlés au 2e degré par un cracheur de feu négligent lors d’un spectacle. J’ai dû annuler plusieurs contrats et tout arrêter pendant 2 mois complet, visitant l’hôpital tous les jours pour traiter ma peau brûlée. Heureusement, grâce à de bons soins et des exercices de physiothérapie, j’ai réussi à retrouver l’usage de ma main et toute ma dextérité.
J’ai aussi eu l’opportunité de présenter mon spectacle plus de 700 fois à Séoul en Corée du sud, pendant 6 mois. Même si ce genre d’engagement est très dur physiquement, ce fut une excellente occasion de perfectionner mes numéros. Toutefois, l’opportunité s’est transformée en cauchemar à mon retour au Canada. En bref, à cause d’une nouvelle vague de la grippe aviaire, les douanes canadiennes mon interdit de rapporter au pays mes 9 colombes et ce, même si elles étaient originaires du Canada. J’ai dû me résigner à condamner à la chambre à gaz de l’aéroport mes 9 compagnons à plumes que j’affectionnais et que j’avais mis des années à dresser. J’ai perdu ainsi instantanément tout mon acte principal. Depuis, je n’utilise plus de colombe, car j’ai créé de nouveaux numéros pour éviter que ce même malheur se reproduise.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Toujours sur les plus belles scènes du monde avec de fabuleuses danseuses autour de moi, effets pyrotechniques, lasers, décors somptueux et payé à des cachets qui feraient rougir David Copperfield ! Bon d’accord, je blague un peu mais il faut être optimiste dans la vie. Sérieusement, être versatile est un atout dans notre domaine. C’est pourquoi j’ai développé différents spectacles en fonction des événements et de la clientèle. Cela me permet aussi d’exploiter d’autres talents et aspects de ma personnalité. Par exemple, mon spectacle Sorcellia est adapté pour une scène de théâtre, présenté sur musique dans une ambiance mystique. Tandis que mon spectacle Capitaine Loran est une thématique pirate combinant contes et légendes du Québec, comédie et chants de marin.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Il y en a plusieurs. Mais le tout premier est définitivement James Cielen, un magicien canadien qui a remporté plusieurs prix et que j’ai vu en spectacle présenté son acte de colombes. Pour la première fois à l’époque, j’étais convaincu d’avoir vu enfin de la vraie magie. Voir James monter seul sur scène avec pratiquement aucuns accessoires et faire apparaître ses colombes venues de nul-part était incroyable.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Même si j’aime présenter parfois de grande illusion avec assistantes, c’est surtout les numéros de manipulation de scène qui m’inspirent. Si un magicien pouvait faire de la « vraie » magie, il ne devrait pas avoir besoin de grosses boites et d’accessoires flamboyants. Il devrait pouvoir le faire avec son habileté à manipuler les éléments. J’aime aussi intégrer des éléments d’histoires avec des présentations théâtrales.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Elles proviennent de diverses sources car l’inspiration, c’est quelques chose qui se développe à force d’être intéressé à plusieurs domaines. Elle provient aussi de notre expérience de vie qui est différente pour chacun. Je suis continuellement en mode inspiration et elle peut apparaître n’importe où et à n’importe quel moment. Marcher dans un lieu historique, écouter de la musique variée, lire un livre, regarder un film, ainsi que toutes les formes d’art que ce soit de scène ou visuel peuvent déclencher mon inspiration. Il arrive même qu’un objet quelconque m’inspire sans que je sache pourquoi. Je laisse alors l’objet bien à la vue chez moi jusqu’à ce qu’il me révèle ce qu’il cache en lui.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Rappelez-vous que lorsque vous montez sur scène, la première chose que votre auditoire voit ce ne sont pas vos tours… mais vous-même ! Alors ne vous limitez pas seulement à apprendre des tours. Des cours de théâtre, d’arts martiaux, de danse, de mime, de diction vous permettront de développer votre présence scénique. Il est aussi primordial de toujours avoir une caméra pour vous filmer lorsque vous pratiquez chez vous et aussi lors de tous vos spectacles. C’est en vous regardant que vous pourrez corriger vos erreurs plus rapidement. Il m’arrive même de placer la caméra près de la scène pour filmer les spectateurs et voir leurs réactions. Et bien sûr, pratiquer, pratiquer… et encore pratiquer.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
J’ai un regard partagé sur le sujet. Les magiciens tel que Dynamo, Criss Angel et Cyril Takayama qu’on voit sur Internet et à la télévision créent certainement un intérêt pour la magie auprès de la population en générale et c’est excellent. Toutefois, c’est un secret de polichinelle de savoir que bon nombre des impossibles miracles qu’ils nous présentent sont justement… impossibles à présenter dans de réelles conditions.
Quand David Blaine a diffusé son tout premier « spécial » à la télé, j’ai adoré car c’était un retour à la source même de la magie. Ce fut la coupure avec les productions de type méga-illusion qui devenaient de plus en plus extravagantes. C’est un peu comme lorsque la musique « grunge » de style épuré a remplacé le « hard rock » flamboyant des années 1980. Mais malheureusement, tout s’est chamboulé par la suite et maintenant les gens ne savent plus s’ils regardent un magicien ou alors juste un show de télévision bourré de montages vidéos. Toutefois, cette situation peut être utilisée à notre avantage pour faire comprendre aux gens que s’ils veulent apprécier un vrai magicien, la meilleure façon est de le voir en personne.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Elle est très importante. Par exemple, ici au Québec la magie est basée principalement sur l’humour et la comédie. L’auditoire québécois aime rire. On arrive presque à confondre les humoristes avec les magiciens. Les magiciens québécois Vincent C. et Alain Choquette qui sont présentement en France sont des exemples du type de magie qu’on voit régulièrement ici. Mais il faut comprendre que, contrairement à la France et les États-Unis, l’historique de la magie au Québec est très récent. Si vous dite à quelqu’un que vous êtes magicien, on croit immédiatement que les seuls spectacles que vous faite sont les fêtes d’enfants à la maison. Pourtant, ils oublient que, bien avant David Copperfield, le regretté Doug Henning originaire du Canada présenta sur Broadway à New York son spectacle Spellbound – The Magic Show durant quatre ans et demi. C’est seulement après de longue démarche suite à sa mort que Doug a finalement obtenu son étoile sur le « Trottoir des célébrités » à Toronto. Pour ma part, j’ai opté pour un style de magie plus théâtrale et mystérieux. Cela demande beaucoup de travail, mais il faut toujours se rappeler que si c’était facile, tous les autres le feraient.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Même si la magie est ma passion et passe avant tout, il est bien de prendre le temps de décrocher un peu. Passer au centre de gym pour garder la forme, pratiquer les arts martiaux, la danse latine, jouer de la musique avec mon tambour Djembe et savourer un bon verre de vin sont quelques-uns de mes passe-temps.
– Interview réalisée en janvier 2015.
A visiter :
– Le site de LORAN.
Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.