Une vaste littérature entretient le goût de l’occultisme. La même pauvreté y règne que dans les consultations des devins et des fakirs. Il y a les revues modestes, ces revues qui paraissent dans les étranges librairies du quartier St-Michel, de la rue Saint-Julien-le-Pauvre, du quai des Grands-Augustins, presque aussi secrètes que les librairies obscènes de la rue de la Lune ou de la rue du Ponceau. Les Etudes mystérieuses, le Cahier secret d’occultisme, l’Astrosophie, les Cahiers mensuels de Magie et d’Occultisme, le Chariot, Fiat Lux, le Mercure Universel, les Annales des Sciences Hermétiques, les Echos des sciences mystérieuses. Il y a les hebdomadaires comme Consolation, que Maryse Choisy fonda après avoir consacré plusieurs livres à la description des maisons de tolérance. Un mélange de bavardage naïf d’illettrés, de faux mystères et de publicité les emplit. C’est un monde assez louche dont le secret n’est probablement que l’argent.
Les annonces de ces feuilles sont assez claires : elles parlent beaucoup de la loterie nationale et un peu de mariages. De mariages « astraux » naturellement : une jeune fille cherche un jeune-homme « natif de la Balance », un jeune homme cherche une femme soumise au signe du Capricorne. Une grande publicité s’y fait pour les objets magiques : il y a les bijoux zodiacaux, avec un signe du zodiaque et une pierre précieuse, les « bagnes mystérieuses », les « talismans babyloniens », qui reproduisent les bijoux portés par Sémiramis, reine de Babylone, les médailles zodiacales, les « Sachets-bijoux Vie » qui favorisent singulièrement l’amour.
« Porté à même l’épiderme, la chaleur du corps et le fluide irradié du plexus pectoral traversent le sachet et captent, par diffusions intermoléculaires (sic), les infimes atomes spirituels des simples contenus à l’intérieur du sachet. Ils les exaltent et les projettent dans votre aura fluidique produisant, de ce fait, un courant bénéfique. Les personnes du sexe opposé, pénétrant dans votre orbe fluidique, éprouvent un trouble indéfinissable, nullement bestial, qu’ils attribuent à votre charme personnel… »
Un peintre peint de « petits tableaux ésotériques », entre 60 et 2000 francs. Bien des parfums magiques sont mis sur le marché : les parfums Hermalia « compositions magiques douées d’un immense pouvoir ». Vous avez votre parfum zodiacal pour 35 francs. Les parfums de Neuvaine se brûlent. La vieille tradition des philtres d’amour par aspiration aboutit aux parfums « vénusiens ». Bien entendu, la radiesthésie apparaît pour 60 francs, on a le « radioscope », pour 10 francs, le pendule, « le Pratic ». Plus riche, on achètera le pendule de cristal qui est en même temps « un miroir magique propre à l’entraînement psychique par la voyance ». Pour 100 francs, un industriel ingénieux et sorcier vous enverra des produits qui permettent de retrouver l’auteur d’une lettre anonyme, « même dactylographiée ».
Le secret de ces fabrications est fort clair. Un fabricant de bijoux zodiacaux déclare : « Tous les corps émettent des ondes, mais particulièrement les pierres dont les vibrations sont d’autant plus salutaires qu’elles ont été magnétisées avec un très grand soin. » Dans toute cette magie, les notions connues vaguement de la science moderne, l’électricité, les ondes, les radiations s’introduisent : elles prennent le pas sur les vieilles notions des sorciers.
Quelques-unes de ces publications sont l’organe d’un groupement. C’est ainsi qu’Eudia exprime le mouvement « eudiste » et répand la bonne parole de l’initiation eudiaque. M. Henri Durville, médecin « psycho-naturiste » préside au destin de ce mouvement qui veut fonder « l’ordre eudiaque ». Le naturisme, la sexologie, l’initiation, le magnétisme y font un étrange univers. Bergson, Freud sont utilisés à la construction d’une philosophie imbécile qui évoque irrésistiblement la confusion mentale des asiles. Une sorte d’érotisme sournois plane, que le maître Durville expose ainsi : « Il est doux de se promener à deux dans la campagne, accompagné par le langage mystérieux de la nature, l’ombre qui enveloppe les corps fait rapprocher les cœurs, fait communier les âmes ; un besoin d’union naît dans le secret de la pensée, et alors, en même temps que les regards se mêlent amoureusement, les lèvres se confondent et les corps grisés se cherchent, accomplissant avec ivresse l’acte sacré d’amour, comme une manifestation du Grand Arcane de la Loi du Monde. L’amour perd ainsi tout caractère physique. »
Illustration tirée de La science secrète d’Henri Durville (1923).
L’ « Eudisme » possède avenue Mozart une école pratique de magnétisme et de massage, placée « sous l’égide de la Société des Nations », un musée, des sections de province. Les plaisirs du retour à la nature sont proposés aux solitaires, aux vaincus des grandes villes. Ce genre de prosélytisme rapporte. Au mois de janvier 1936, les fidèles de M. Durville avaient versé par souscription une somme de 420 000 francs. Ces chiffres sont le secret véritable de toutes ces magies…
Il y a les Annales des Sciences Hermétiques, avec leur Centre d’études. Ce centre, fondé en 1917 par Mme le Bouteiller, mère de Mme Henri Durville (c’est une famille spécialisée) a pour fin la « spiritualisation » de l’homme. On a fondé là un Ordre de la Rosa Mystica. Il ne groupe guère que des femmes investies par « le Très Haut de la mission de régénérer l’homme par l’amour sublime ». Les hommes peuvent à la vérité en faire partie, d’abord comme « pages », puis comme « écuyers », puis comme « chevaliers du Saint Graal ». Pas tous les hommes. Mais ceux-là seulement chez qui « le développement de certaines facultés féminines a éveillé le désir de coopérer au grand Œuvre universel… ETERNEL. »
La Rosa Mystica fait des conférences d’initiation où l’on étudie par exemple la « fonction occulte des glandes endocrines », où l’on enseigne les secrets de la Rosée d’Or (qui est l’amour intégral). Il s’y fait un grand commerce de tarots, de Chaldée, d’Egypte, de 50 Portes, de 32 Voies de la Sagesse. On y pratique le Grand-Art, qui consiste à « Oublier notre propre existence matérielle et ses difficultés présentes. » C’est un aveu. Toute cette magie ne vise peut-être qu’à faire oublier aux hommes de 1936 leurs malheurs et leurs conditions. Ils oublieront leur révolte.
Quelques occultistes expliquent assez bien la chose. M. Albin Valabrègue voit dans la magie un moyen d’éviter la révolution. On s’étonnerait que la Rosa Mystica ne fasse pas de profits : elle en fait, elle vend des horoscopes entre 10 et 500 francs. On pourrait allonger indéfiniment cette liste. On parlerait de l’Arot, association pour la rénovation de l’occultisme traditionnel. Mais le tableau ne changerait guère. On y verrait toujours beaucoup de naïfs suivre à l’aveugle quelques personnages révoltants qui ont trouvé, dans la candeur et l’angoisse des hommes, mille et un moyens de gagner de l’argent.
– Extrait de Trafiquants de Mystère (8ème partie) parue dans le journal L’Humanité du 12 janvier 1937.
A lire :
– Des Gris-Gris aux petites annonces.
– Géographie des voyantes.
– Filtre d’amour.
– La devineresse qui questionne.
– La visite au FAKIR.
– Horoscope par correspondance.
– Guérison des maladies.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.