J’ai mené cette enquête le plus simplement du monde, en ayant souci de me mettre toujours dans l’état d’esprit d’une femme un peu inquiète et désemparée, mais moyenne et équilibrée. Je n’ai pas fait l’esprit fort, je n’ai pas cherché non plus à mettre du mystère là où il n’y en avait pas, et le monde des « sciences occultes » m’est apparu en effet bien pauvre de secrets et les consultations de ses praticiens bien indigentes et sans substance.
Mais j’ai eu pourtant à deux reprises l’impression que j’approchais d’un mystère. Ce ne fut pas en face de tel illustre fakir, de telle voyante célèbre, mais au cours de deux entretiens que j’eus : l’un avec un grand avocat, l’autre avec un haut fonctionnaire de la police. C’étaient probablement les deux hommes qui connaissent le mieux en France la question. Pour la première fois, je me suis trouvé en face de véritables « sphinx ». Cet avocat qui connaît si bien les aventures du diable, ce policier qui n’ignore aucun détail des petits secrets nocturnes de Paris m’ont reçu tous les deux avec la même bonne grâce, la même courtoisie, le même sourire aimable et sceptique.
Tous les deux m’ont affirmé qu’ils n’étaient point de ces gens qui croient à la lecture de l’avenir, ce qui impliquait qu’ils regardaient comme des imposteurs ceux qui font métier de cette lecture. Tous les deux savaient, bien entendu, que l’exercice de cette profession tombe sous le coup du code pénal. Tous les deux enfin se sont plu à rappeler des souvenirs d’où le pittoresque n’était pas exclu. Mais tous les deux, à la question volontairement naïve que je leur posai : « quels rapports existe-t-il entre les devins et la police ? », m’ont répondu en me fixant de ce regard clair et loyal qui ne s’acquiert que par une longue étude : « il n’y en a pas. » Il me fallait bien croire que Balzac en avait menti, lui qui parle avec tant de précision des relations entre la préfecture et les cartomanciennes indicatrices. Balzac, et quelques autres personnes, plus modernes.
La voyante Mlle de Romanellas (Détective magazine, 1937).
Je demandai : « me garantissez-vous qu’il n’y a, qu’il n’y a jamais eu, qu’il n’y aura jamais aucun contact entre la police, dont l’un des rôles est d’être au fait de ce qui se passe dans la vie de nos contemporains, et ces hommes et ces femmes dépositaires de tant de secrets, et qui semblent faits pour être des indicateurs ? », « mais oui », répondit l’avocat, « mais oui », répondit le fonctionnaire.
Et leur regard était plus que jamais franc et loyal. Je n’aurais vu dans cette réponse qu’un excès de discrétion, qu’un respect scrupuleux pour les secrets professionnels d’autrui (le leur n’était pas en jeu), si le fonctionnaire n’avait insisté avec une ferme douceur sur l’inopportunité d’une enquête à ce sujet. Il employa d’abord un argument sentimental que j’attendais : « les magiciens, dit-il, loin d’être néfastes sont salutaires. Ils dispensent l’illusion et l’oubli de leurs maux aux hommes et aux femmes, qui en ont grand besoin. Ils les amusent et ils les bercent. »
Puis il me parla de la prostitution, de ces maisons de tolérances qu’on appelle justement aussi « maisons d’illusions » et se félicita, pour des raisons également morales et hygiéniques, de leur existence.
L’horoscope du Professeur SIRMA (Détective magazine, 1935).
Et, continua-t-il, en revenant aux sciences occultes : « Pensez-vous que ces pauvres gens gagnent leur vie ? Ils ont bien du mal à y arriver, croyez-moi. »
« Il m’a pourtant semblé, dis-je, que les astrologues paraissaient assez à l’aise. Il y a ceux, par exemple, qui font toute cette publicité. »
« Ils la font à crédit, me dit le fonctionnaire. »
« Quoi, ces énormes placards dans les quotidiens, ces magnifiques annonces ? »
« A crédit, chère madame, à crédit. »
Fallait-il donc croire que les agents de publicité étaient des philanthropes ? Fallait-il donc croire que ce n’est pas en vain qu’on invoque les puissances magiques et qu’elles vous dispensent de payer les impôts et les petites annonces et les grandes affiches ? Ou bien le fonctionnaire ne me parla-t-il de la sorte que parce qu’il avait été lui-même, à son insu, envoûté ?
L’homme anatomique ou l’homme zodiacal, Frères Limbourg (1411-1416).
Je quittai le haut fonctionnaire dont le bureau, sans doute meublé par Dufayel, donne sur un des plus beaux quais de Paris. Je traversai le salon d’attente, sévère, administratif et glacé. Les portes étaient lourdes, les couloirs étaient frais. On me conduisit dans le bureau d’un autre fonctionnaire célèbre qui ne me dit rien non plus. Je ne regrettai point cette visite à cause d’une photo sur le mur qui montrait M. de Paris, seul, devant le grand mur nu de la Santé, avec une dédicace qui offrait au locataire du bureau « ce puissant raccourci ». Cet humour de bourreau valait bien une visite.
Dehors, le soleil bourdonnait ; par les portes entrouvertes, on voyait des photos de stars et de boxeurs, de femmes pâmées et d’exécutions capitales. Je traversai le boulevard du Palais, des cours immenses retournées par des travaux souterrains dont la poussière de ciment collait aux vitres crasseuses des laboratoires. Dans les cafés du boulevard, des hommes de la Maison, en chapeau mou, buvaient des alcools couleur de poison. Peut-être avaient-ils tout de même des rendez-vous avec des voyantes riches en adresses utiles et des fakirs pleins de renseignements…
– Extrait de Trafiquants de Mystère (10ème partie) parue dans journal L’Humanité du 14 janvier 1937.
A lire :
– Des Gris-Gris aux petites annonces.
– Géographie des voyantes.
– Filtre d’amour.
– La devineresse qui questionne.
– La visite au FAKIR.
– Horoscope par correspondance.
– Guérison des maladies.
– Littérature de l’au-delà.
– Parlons d’argent.
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