Notre ami Chautard vient de faire paraître son volume : Les Révélations d’un Magnétiseur, précédé d’une chronique de M. Ulric Guttinguer.
On comprendra que pour laisser toute sa saveur à l’ouvrage, nous n’en donnions pas ici le moindre extrait. Mais nous ne pouvons résister au plaisir de mettre sous les yeux du lecteur une partie de la curieuse préface, que nous regrettons de ne pouvoir donner en entier.
J’ai beaucoup connu un magnétiseur et un liseur de pensées, qui, après Donato, avait conquis le sceptre de la renommée. Je veux parler de P…, qui a donné des soirées, non seulement dans la France entière, mais dans tous les pays du globe. Toutes ses expériences, sans exception, étaient du chiqué, pour employer une expression argotique qui est de mise dans le monde spécial des liseurs de pensées. Et pourtant il osait convoquer des médecins et les faire monter sur la scène afin de contrôler ses expériences. Et je sais quelques docteurs fameux qui ont certifié que P… n’employait aucun truc et agissait sous l’empire de la télépathie. Les médecins sont quelquefois déconcertants.
Dans le livre que j’ai le plaisir de recommander aujourd’hui au public, Chautard raconte une anecdote bien amusante, qui prouve que si quelques docteurs sont la dupe des liseurs de pensées, d’autres se laissent duper pour le simple plaisir de mystifier la galerie. Une anecdote que je veux à mon tour citer et qui est absolument véridique. viendra renforcer les arguments de l’auteur et prouver que ses révélations sont encore au-dessous de la réalité.
P…, dont je viens de vous parler, était suivi dans ses tournées par cinq ou six personnes qu’il disséminait dans la salle et dans les coulisses du théâtre. Lorsque les spectateurs se concertaient pour faire exécuter mentalement un acte quelconque au liseur de pensées, ils étaient toujours entendus par un compère qui prévenait P…, par une gesticulation conventionnelle. Le voile qu’il se faisait mettre sur les yeux était ce qu’on nomme « le voile de la religieuse ». Il voyait parfaitement au travers. Il est vrai qu’il agrémentait le voile d’un tampon d’ouate, mais par un système à lui, il le déplaçait complètement lorsque le bandeau était attaché sur ses yeux, et le tour était joué. Quant aux signes employés par les compères, le lecteur les connaîtra en lisant attentivement les Révélations d’un Magnétiseur. Ces signes n’ont pas changé et depuis vingt ans, P… emploie le même langage ; et presqu’instantanément, il comprend la pensée de ses acolytes.
Il y a une dizaine d’années, j’étais rédacteur au Journal de Roubaix, lorsqu’il vint donner deux représentations au Théâtre- Hippodrome. Il s’était fait précéder, comme il en avait l’habitude, d’une formidable publicité. Des affiches quadruple-colombier avaient fait connaître dans la ville sa tête étrange et ses anneaux d’or aux oreilles. Une location sérieuse annonçait une belle salle. Pourtant ce n’était pas assez. Il devait donner une seconde soirée et celle-là, il fallait la préparer.
Après renseignements, il acquit la certitude qu’un journaliste besogneux de la ville accepterait n’importe quelle offre pourvu que la rémunération put aider à payer ses dettes. Il alla le trouver et lui tint à peu près ce langage : « Monsieur, je sais que vous êtes un peu gêné dans ce moment; je viens vous faire une proposition qui vous séduira peut-être. Si vous voulez, ce soir, simuler l’hypnotisme et obéir à un ordre que je vous suggérerai, il y a cinq cents francs pour vous. Deux cent cinquante que je vous remettrai de suite, et deux cent cinquante après la représentation ». Vingt-cinq louis, une fortune pour le pauvre homme criblé de dettes. Il accepta de suite.
Et voici ce qui se passa le soir de la première représentation. Le public vit M. X…, rédacteur en chef du Xxxx, se précipiter sur la scène en renversant le trou du souffleur, et suivre P… comme un petit chien, les yeux dans les yeux. De plus, P… lui ordonna, avant de le réveiller, de venir le lendemain à midi, danser un pas de polka devant l’Hôtel de Ville. Ce fut un succès fou. P…, dans l’immense salle de l’Hippodrome de Roubaix, avait fait ce soir-là une recette de 6000 francs ; il devait faire le double à la seconde représentation.
En effet, le lendemain, un peu avant midi, plus de 20.000 personnes se pressaient sur la place de l’Hôtel de ville. Un service d’ordre fut organisé pour maintenir la foule. Mais quand à midi, on vit apparaître M. X… qui se mit à danser le plus sérieusement du monde, ce fut du délire, et P… qui se trouvait naturellement là, fut porté en triomphe par les ouvriers des tissages et des filatures.
Le soir, à l’Hippodrome, malgré les 2.000 places mises à la disposition du public, on refusa plus de 4.000 personnes. La recette fut énorme.
Cette histoire donne la mesure exacte des procédés employés par ce bluffeur de génie pour triompher de la force d’inertie du public. C’est M.X… qui m’a raconté — bien plus tard — le rôle qu’il avait joué dans cette comédie. Pour en revenir aux liseurs de pensées qui courent les plages, je dois dire que ceux-ci sont plus modestes. Ils se content d’opérer avec leur « sujet », ce qui leur évite des frais nombreux de compérage.
Le livre que mon excellent ami Chautard offre au public curieux, indique les différents moyens employés par les magnétiseurs et liseurs de pensées, pour donner au public l’illusion d’une force terrible et mystérieuse, dont ils sont les dispensateurs. A la vérité, avec beaucoup de mémoire et de répétitions, avec un peu de phychologie et beaucoup d’aplomb, n’importe quel amateur fera un excellent liseur de pensée. Et voilà pour les salons une nouvelle distraction que Chautard leur offre avec générosité.
Et ne croyez pas qu’en livrant ses révélations au public, il joue ainsi un mauvais tour aux magnétiseurs. Au contraire, il leur fait une immense publicité, et chacun pourra dire que si son confrère emploie des procédés truqués, lui, opère au grand jour de la science et que son regard fascinateur et sa seule volonté sont tout le secret de ses expériences.
De toutes façons nous devons admirer l’ingéniosité de ces hommes qui cherchent tous les jours un nouveau moyen de nous tromper. Prenons plaisir à ce spectacle comme à une séance de prestidigitation dont Chautard serait le mirifique opérateur, mais par grâce, laissons le merveilleux qui n’a rien à voir dans cette galère.
Un liseur de pensées à qui je communiquais, l’année dernière, mes impressions sur ses expériences, me dit ces mots : « Ah ! mon Dieu, comme je voudrais que la télépathie fut un phénomène véritable ! Que de mal je m’épargnerais. »
Ce sera, si vous le voulez, la conclusion de cette préface.
A lire :
– Télépathie.
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