Les illusionnistes ont imaginé et présenté au public, habituellement avec un grand succès, nombre d’expériences imitant les phénomènes spirites. Les deux conférences que j’eus l’honneur de leur donner au théâtre Robert-Houdin firent l’objet de longues discussions au sein de la Chambre syndicale de la prestidigitation et de maints articles dans l’Illusionniste, qui décidèrent M. Méliès, directeur du théâtre, à organiser une Revue rétrospective et moderne des phénomènes spirites. Ce spectacle, fort intéressant et qui continue à attirer en foule les spectateurs – il en est qui sont déjà venus le voir plusieurs fois – est un « défilé des principales expériences occultes ». Voici comment l’Illusionniste, de juin 1909, rend compte de ce spectacle que M. Legris, le prestidigitateur en titre du théâtre, devenu soudain médium de premier ordre, présente chaque soir avec sa bonne humeur et son entrain habituels :
« Après sa séance de prestidigitation, toujours remarquablement appréciée, Legris, cette perle des prestidigitateurs, se présente dans le plus smart complet gris qu’on puisse rêver, vraiment. C’est bien là Legris-perle ! La scène est de couleurs moins attrayantes : éclairée de lumières vertes et violettes, elle est funèbrement tendue de draperies noires et argent. Ces tentures qui forment une sorte de cabinet sont, ainsi que les tapis, visités par toute personne de l’assistance qui en exprime le désir, et reconnues sans ouvertures susceptibles de laisser passer quoi ou qui que ce soit sinon des esprits immatériels. Celui qui va animer les manifestations attendues est un esprit très « homme du monde », car, avant toute autre chose, il nous donne son nom : « Rhamsès », roi de l’ancienne Egypte, en nous faisant passer sa carte, par l’intermédiaire des Ardoises spirites… Puis il vient hanter, d’une façon plus bruyante qu’harmonieuse, le cabinet formé par les tentures et dans lequel Legris, caché à peine quelques instants derrière un rideau qu’on tire entre lui et les spectateurs, se trouve soudain, dès qu’on retire le rideau, consciencieusement ligoté, tout comme un Davenport dans son armoire.
Dessin de Méliès (1930) rassemblant les différents épisodes des Phénomènes du spiritisme sur la scène du Théâtre Robert-Houdin.
Viennent ensuite les curieuses lévitations d’une table, d’un guéridon, d’un banjo… tout cela non truqué et soigneusement examiné par les spectateurs. Voici maintenant les grandes évocations de spectres et fantômes. Sur une plate-forme isolée, portée par quatre pieds assez longs pour l’élever très raisonnablement au-dessus du plancher de la scène, Legris, avec quatre panneaux en bois, fabrique, sous les yeux du public, une caisse cubique, dépose dans la caisse un fin voile de mousseline jaune et ferme la caisse avec un cinquième panneau formant couvercle ; quelques secondes après, le spectre de Diogène soulève le couvercle, surgit hors de la boîte, lanterne en main, cherchant un homme… et, ne le trouvant pas, après avoir circulairement promené ses regards sur toute la salle, rentre dans la caisse dont le couvercle se referme et qui, démolie aussitôt, ne laisse voir aucune trace de son passage.
De plus en plus fort ! C’est à l’intérieur d’un coffret de cristal transparent que l’on voit peu à peu se matérialiser un second fantôme qui dépasse bientôt les dimensions humaines ordinaires. Malgré son ampleur et son importance, il se laisse cueillir, tel un papillon, dans un grand carton à chapeau, emprunté sans doute à une midinette, et que Legris lui a gracieusement tendu. Enfin, c’est à la vue de tous, sur la scène, que se forme un dernier spectre. Celui-ci a des allures plutôt familières. S’asseyant sur les genoux du médium épouvanté et dont les mains sont attachées derrière le dos, il le déshabille à demi, en lui enlevant son gilet, sans ôter ni froisser sa belle redingote grise… mais il est puni de sa témérité par une brusque dématérialisation entre les deux feuillets d’un missel très peu épais d’où il ne pourra plus sortir.
La dernière expérience consiste en de très curieuses apparitions, disparitions et voltiges de la tête de Rhamsès. Vainement Legris la poursuit et l’enferme, tantôt dans une amphore, tantôt dans une boîte, en un coin quelconque de la scène : elle reparaît aussitôt, narguant le médium, à l’extrémité opposée, ou même au-dessus du coffret où Legris l’avait enfermée. Puis, heureuse de son triomphe, elle manifeste sa joie par une dernière apparition, au cours de laquelle elle produit de belles spirales de fumée, en savourant une excellente pipe… C’est certainement celle que le vieux Pharaon n’a jamais pu casser, puisque, après tant de siècles, nous le retrouvons si vivant et si gaillard au milieu de nous. Les spectateurs, eux aussi, sont enchantés et se communiquent avec enthousiasme leur émerveillement. Nous n’en dirons pas plus à nos lecteurs; qu’ils soient spirites ou prestidigitateurs, ils trouveront dans le nouveau spectacle du théâtre Robert-Houdin, la plus intéressante manifestation de leurs doctrines respectives. » Le Servant de scène.
L’un des principaux mérites de ce spectacle consiste en ce que M. Méliès, ce maître-illusionniste, y reproduit, selon son excellente habitude, plusieurs effets semblables, par des procédés différents qui déroutent complètement non seulement le public, mais aussi les spectateurs qui ne sont initiés qu’à demi aux multiples ressources et secrets de l’illusionnisme. L’organisation des trucs mis en œuvre dans cette Revue des phénomènes spirites n’a pas coûté moins de douze mille francs : cela peut donner une idée de son importance et du vif intérêt qu’elle présente.
DESCRIPTIF DU SPECTACLE
Scènes d’illusionnisme imaginées et réalisées par Georges Méliès, directeur du Théâtre Robert-Houdin et représentées sur ce théâtre durant 3 ans (de septembre 1907 à septembre 1910).
Ces illusions ou « Trucs scéniques » qui sur l’affiche portaient le titre suivant : Les phénomènes du spiritisme, sont remplacées, depuis le mois de septembre 1910, par Les Merveilles de l’Occultisme. Ces Merveilles, qui se composent de toute une série de nouveaux « trucs » vraiment peu ordinaires : Le Cabinet de Cagliostro, Le Spectre de la Loïe Fuller, La Lévitation du Papillon bleu, etc., constituent un spectacle des plus intéressants et des plus artistiques.
Spectre de Diogène. Sur une plate-forme isolée, portée par quatre pieds longs de quarante centimètres environ, M. Legris, illusionniste, principal artiste actuel du théâtre Robert-Houdin, juxtapose successivement quatre panneaux en bois, pour former, sous les yeux du public, une caisse qu’il recouvre, finalement, d’un cinquième panneau. – Celui-ci ne tarde pas à se soulever, sous l’action d’une cause invisible, et l’on voit surgir le spectre de Diogène, tenant une lanterne et qui promène lentement ses regards sur toute la salle. Insuffisamment satisfait – peut-être – de cet examen, le spectre rentre dans la caisse ; le couvercle se referme brusquement, sans aucune intervention ou cause apparente ; l’illusionniste Legris se précipite pour démolir immédiatement la caisse, en séparant très rapidement les panneaux, et pour soulever la plateforme et la montrer au public dans tous les sens: mais le spectre n’a laissé aucune trace de son passage.
Lévitation d’une table au commandement de l’opérateur. Au commandement de l’illusionniste Legris, une table se soulève dans tous les sens, au grand étonnement des spectateurs qui ne peuvent s’expliquer ces lévitations si nettes et si promptes.
Lutte contre un fantôme. Assailli par un fantôme de grandeur humaine, sorti peu à peu, devant ses yeux et en présence des spectateurs, d’une petite botte disposée sur un tabouret, l’illusionniste Legris se défend avec une chaise. La défense est d’autant plus légitime que le rôle du fantôme est joué par un robuste artiste du théâtre Robert-Houdin, « en chair et en os » : bien que le public ne paraisse pas s’en douter !
Dédoublement d’un spectre en deux fantômes. Après sa lutte avec l’illusionniste Legris le fantôme représenté sur la troisième gravure s’est dédoublé visiblement, sous les yeux des spectateurs et de l’artiste qui est maintenant tourmenté par les deux spectres.
Evocation et matérialisation d’un troisième fantôme. L’un des deux fantômes de la quatrième gravure s’est élevé mystérieusement au-dessus du sol et repose maintenant sur un missel ouvert, placé sur une table, et entre les feuillets duquel il va se dématérialiser peu à peu. Le deuxième fantôme en évoque un autre qui se matérialise en sortant lentement de la petite boite que l’on voit également dans les troisième et quatrième gravures.
Médium attaché (curieuses apparitions, disparitions et lévitations d’une tête). Un rideau en étoffe ; dont on aperçoit les deux pans repliés, respectivement, à droite et à gauche de la gravure, est tiré devant les spectateurs, de manière à voiler la scène, pendant seulement quelques secondes. On entend l’illusionniste Legris pousser des cris et lutter contre les fantômes. Le rideau ne tarde pas à s’ouvrir et l’on voit l’illusionniste Legris très solidement attaché sur une chaise par de langues cordes. Le fantôme resté sur la scène lui montre alors, placée sur la table qu’on voit également sur les gravures précédentes, une botte qui s’ouvre bientôt mystérieusement. Un crâne sort de cette botte, puis disparaît, réapparaît…, à plusieurs reprises, instantanément, et voltige aussi dans l’espace, en tous sens, d’une bien curieuse façon.
Dématérialisation d’un fantôme entre les feuillets d’un missel. Le fantôme de la sixième gravure qui s’est élevé au-dessus du sol, pour se transporter, visiblement, sur la table, se dématérialise en s’affaissant lentement. Il entre peu à peu dans l’épaisseur du missel dont la couverture supérieure se referme brusquement et mystérieusement sur lui. Pendant cette dématérialisation, l’illusionniste Legris montre ses mains au-dessous de la table, pour prouver que le phénomène s’opère sans « effet de glace », et que la table dont il est fait usage, en cette circonstance, est incontestablement « une table ordinaire ».
Matérialisation d’un fantôme – Lévitation d’un banjo – Dématérialisation d’un fantôme. Avec quatre glaces encadrées Isolément et transparentes, un illusionniste, costumé en prêtre égyptien, confectionne, sur la scène, devant les spectateurs, un coffret de cristal transparent qu’il dépose sur un « tréteau pliant », après avoir préalablement déplié et installé celui-ci, également, devant les spectateurs. Un voile de mousseline jaune est jeté dans le coffret, puis, aussitôt, ce voile s’agite, se soulève, et l’on voit peu à peu se matérialiser un fantôme qui ne tarde pas à dépasser les dimensions humaines ordinaires. Ce fantôme descend ensuite sur le plancher de la scène, se promène dans tous les sens et, enfin, s’élève à nouveau dans l’espace, pour se dématérialiser entre les feuillets d’un missel, comme il est dit dans les explications relatives à la septième gravure. Parfois aussi, l’un des illusionnistes s’emparant du carton à chapeau, que l’on voit tout près de la table, présente ce carton au fantôme qui s’empresse d’y pénétrer. L’illusionniste ferme alors le carton à chapeau, le secoue et le retourne en tous sens, puis, l’ouvrant à nouveau, montre que ce carton est vide. Pendant ces diverses scènes, un banjo posé sur un tabouret s’élève dans l’air, tandis que l’un des illusionnistes, à l’aide d’un cerceau qu’il fait plusieurs fois monter et descendre, montre aux spectateurs que cette lévitation s’opère sans le secours d’aucun fil ni d’aucun lien.
A Lire :
– Le Théâtre noir.
– Le Théâtre noir / notes et réflexions.
– GEORGES MELIES, la magie et les fantômes.
– Méliès, L’homme orchestre.
– Méliès par Caroly.
– Méliès, magicien du cinéma.
– Magie et cinéma.
– Méliès, Cabaret magique.
– Méliès et le Théâtre Robert-Houdin.
– Méliès Mage.
– Méliès, lettre manuscrite.
– Méliès par Scorsese.
– Les effets pyrotechniques chez Méliès.
– Fantômes spirites.
– Henri Robin.
– Fantasmagorie de Robertson.
Extrait de Rémy, Spirites et Illusionnistes, Paris, A. Leclerc, 1911, pp. 245 à 249. Crédits photos – Documents – Copyrights : Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant droits, et dans ce cas seraient retirés.