La conférence de notre ami Raynaly est venue a son heure. Jamais plus qu’en ce moment on a vu les grands quotidiens agiter la question de la réalité des phénomènes spirites. Dansée Mutin le docteur Le Bon a offert une prime de 500 francs, qui a été augmentée de 1000 francs par le Prince Roland Bonaparte, destinée au médium qui pourra, sans tricherie, et grâce à la force psychique, transporter un objet d’un endroit à un autre.
Le journal l’Eclair a publié le 29 avril, sous la signature de M. Georges Montorgueil, un article intitulé : Les Médiums sont-ils des Prestidigitateurs ? et se terminant ainsi :
« Alors, à mon tour, je fais une proposition. Je n’isole pas qu’un phénomène, je les prends tous : table soulevée, déplacement d’objet sans contact, attouchement sans rapport possible, ou tout autre fait, en dehors des matérialisations lumineuses qui peuvent être suspectes et le sont généralement. Pour la production de l’un quelconque de ces phénomènes, qui furent accompagnés de procès-verbaux et constatés à la manière ordinaire, et qu’un prestidigitateur répétera, en public, devant une assemblée, j’offre aussi cinq cents francs.
Nous sommes des centaines, des milliers qui avons vu. On nous dit : suggestion, prestidigitation. Vous avez été trompés. Si nous avons été trompés, c’est qu’il y a eu truc. A l’imitation du docteur Gustave Le Bon, j’offre cinq cents francs au prestidigitateur qui se présentera à l’Eclair et qui nous trompera à l’aide des mêmes trucs. Si un médium peut répéter une expérience, dans des conditions données, ce sera une preuve pour l’Académie des sciences. C’en sera une aussi, je pense, si aucun prestidigitateur n’est capable de répéter les manifestations qu’ont vues les Dastre, les d’Arsonval, les Maxwell, les Grasset, les Le Bon, et qu’ils ont pu croire truquées.
On veut voir de quoi les médiums sont capables ; nous voulons voir, c’est l’autre aspect du problème, si les prestidigitateurs sont capables d’être des médiums. »
Notre ami Raynaly écrivit aussitôt à M. Montorgueil, une lettre que nos lecteurs pourront trouver dans l’Eclair du 30 avril. De mon côté, je lui adressais les lignes suivantes.
« Paris le 1er mai 1908. Monsieur, Je crois que : si aucun de mes confrères n’a encore accepté votre proposition, c’est parce que vous demandez à un seul prestidigitateur d’accomplir toutes les expériences de tous les médiums. Or, nous sommes, aussi bien les spirites que les magiciens, des spécialistes. Ce n’est, quelquefois, qu’après 4 ou 5 années d’études et de patientes répétitions qu’un prestidigitateur parvient à exécuter certains tours. Dans ce cas, les confrères de cet artiste, bien que connaissant le « modus operandi » ne peuvent, ne s’étant pas livrés au même entraînement, produire la même expérience.
II est des médiums qui ont acquis, également par une longue pratique, une habileté toute personnelle dans une expérience déterminée. L’un d’eux, par exemple, se fait tenir les deux mains par les spectateurs; puis l’obscurité étant faite, il retire son pied nu de sa chaussure et le passe sur la figure des assistants qui, un instant après, affirment avoir reçu les douces caresses d’une main féminine. Je professe trop le respect d’autrui pour me livrer à cette gymnastique…, et puis je ne suis pas disloqué ! A part cette restriction, concernant les aptitudes personnelles, j’estime que beaucoup de prestidigitateurs sont capables de reproduire toutes les expériences soi-disant spirites.
Pour mon compte, j’ai l’avantage de relever le défi que vous portez à notre corporation dans les colonnes de L’Eclair. Ayez donc, Monsieur, l’obligeance de me faire assister, avec quelques-uns de mes amis, aux expériences que vous croyez inimitables et j’espère qu’il me sera possible d’en reproduire la plus grande partie grâce aux artifices de la prestidigitation.Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées. »
A la date du 5 mai seulement, M. Montorgeuil a publié le dernier paragraphe de ma lettre en le faisant suivre des quelques lignes suivantes :
« C’est donc des médiums que dépend la possibilité de l’épreuve, les prestidigitateurs ayant besoin, pour tenter l’expérience, de connaître ce qu’ils ont à faire, puisque aucun de ceux qui nous ont écrit n’a encore été à même de voir les phénomènes qu’il s’agit de reproduire. »
Depuis, nulle réponse n’a été faite par les médiums et cette abstention nous semble un aveu assez éloquent qui ne sera pas fait pour surprendre nos lecteurs. Donnons encore, cependant, un mois de délai aux spirites ; mais nous gardons l’assurance d’enregistrer leur défaite complète dans notre prochain numéro.
Ainsi que nous l’ordonnait la plus élémentaire courtoisie, nous avons envoyé notre numéro de mai à M.G. Montorgueil de la réception duquel il a fait mention dans l’Eclair du 19 mai. Voici ce qu’il dit :
« L’Illusionniste, journal des prestidigitateurs, constate que nulle réponse n’a été faite par les médiums. Donnons encore cependant, dit-il, un mois de délai aux spirites, mais gardons l’assurance d’enregistrer leur défaite complète dans notre prochain numéro. Défaite est beaucoup dire. Tout cela, à notre grand regret, ressemblera fort à un rendez-vous où personne ne sera venu. Mais il faudra bien qu’un jour où l’autre on y vienne. Nous maintenons notre défi. »
En réalité, ce sera seulement s’il plaît à M. Montorgueil que tout cela ressemblera à un rendez-vous où personne ne sera venu. Il lui appartient, ayant soulevé la question, de trouver, — et il nous semble que, grâce à ses nombreuses relations spirites, cela doit lui être facile — de trouver, dis-je, ne serait-ce qu’un seul expérimentateur spirite pour nous montrer la voie dans laquelle nous devons nous engager.
Comme il arrive que ceux qui ont eu la « bonne fortune » d’assister a des expériences de médiums ne sont pas toujours d’accord entre eux quand ils racontent ce qu’ils ont vu, nous sommes autorisés à penser qu’après la réalisation, produite par nous, d’un de ces phénomènes, il pourra se trouver quelqu’un pour dire que la reproduction est inexacte ou incomplète. C’est pourquoi nous demandons à voir les médiums opérer avant nous.
Que M. Montorgueil veuille bien fixer enfin une rencontre» et il verra que nous y viendrons. En attendant nous considérons toujours les spirites comme en déroute — puisque le mot défaite semble trop fort au talentueux chroniqueur de l’Eclair — car rien ne ressemble plus à une déroute que le fait de pas accepter le combat. Comme dernier mot, ajoutons que, dans le cas où aucun médium ne se présenterait, il ne s’en suit pas que nous renoncions à la lutte. Que M. Montorgueil nous communique lesfameux procès-verbaux dont il parle dans l’Eclair du 29 avril, et nous sommes tout disposés à reproduire une ou plusieurs de ces expériences sur leur simple exposé.
Enfin pour dissiper les scrupules de quelques- uns de nos amis, faisons observer qu’il n’y a pour les prestidigitateurs, aucune raison de refuser l’expérimentation demandée. Nous ne nous proposons pas d’expliquer par quel moyen nous obtiendrons le résultat désire, et d’ailleurs on ne nous le demande pas. Le secret professionnel reste donc absolument observe et sa sauvegarde ne peut être considérée comme une cause d’abstention par tous ceux qui, connaissant à fond les ressources de notre art, se sentent capables de relever le défi qui nous est porté.
M. Montorgueil qui, on le sait, a porté le 29 avril un défi aux prestidigitateurs, n’a pas encore fixé la date du tournoi que nous avons accepté… La fixera-t-il jamais ? Nous savions bien que nous le mettrions dans un cruel embarras en lui disant : « Montrez-nous d’abord les expériences produites par les spirites » ; car les esprits ne sont jamais là lorsqu’on a besoin d’eux. Cependant, il me semble que depuis plus de deux mois M. Montorgueil aurait pu découvrir un médium de bonne volonté qui nous aurait montré ce qu’il savait faire. Nous en avons bien trouvé un, nous les prestidigitateurs. Il est vrai qu’il ne nous a rien montré du tout. Enfin, nous avons voulu faire la part belle à M. Montorgueil et notre confiance dans les ressources de la Prestidigitation est telle que nous lui avons dit : « Si vous ne trouvez pas de médium qui consente à opérer devant nous, communiquez-nous seulement les procès-verbaux des phénomènes que vous désirez nous voir répéter ; dites-nous simplement quel effet nous devons produire et nous nous mettrons a l’oeuvre ». — A cela, pas de réponse !! Serait-ce parce que M. Montorgueil est aujourd’hui convaincu que la réalisation de ces tours est pour nous des plus faciles, qu’il renonce à l’aventure ?
J.Caroly
A lire :
– Prestidigitateurs et parapsychologie.
– Le spiritisme.
– Phénomènes psychiques.
– Fantômes spirites.
– Les révélations d’un magnétiseur.
– Histoire de la voyance et du paranormal, du XVIIIème siècle à nos jours de Nicole Edelman. Editions du Seuil (2006).
– Le médium spirite.
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