Votre école a-t-elle été ouverte aux élèves au début de la création du Double Fond en 1988 ?
Oui, dès son ouverture, Le Double Fond a été non seulement un théâtre et un bar, mais aussi une école.
Comment avez-vous eu l’idée de proposer un diplôme professionnel de magicien ?
Dominique Duvivier, le créateur du Double Fond, a toujours eu à cœur la transmission et la reconnaissance de l’art magique. La mise en place d’une certification pour le métier de magicien est l’aboutissement d’une démarche historique, qui correspond à une volonté de donner ses lettres de noblesse à la magie.
Comment avez-vous procédé pour faire reconnaître cette formation Bac+2 au niveau du ministère en 2018 ?
La procédure a pris cinq ans. La première année a été consacrée au simple fait de comprendre les démarches nécessaires (gros travail !). La deuxième année, nous avons décidé de nous lancer, mais nous avons passé l’année entière à entendre que notre projet était irréalisable : à chaque fois que nous voulions avancer, nous apprenions l’existence d’une nouvelle barrière infranchissable. Donc la troisième année, nous avons été découragés et nous avons tout arrêté. Mais la quatrième année, nous nous sommes dit : « Tant pis ! Tout le monde dit, c’est impossible, mais on va le faire quand même et on verra bien ! ». On s’est retroussé les manches et ça n’a pas été simple : un an de travail, un dossier de 50 pages, 21 versions pour aboutir à un résultat satisfaisant, une instruction de dossier de 6 mois et un passage devant une commission de 40 personnes (avec représentants de ministères, de syndicats, d’organismes d’Etat divers…). Mais notre dossier a convaincu et nous avons obtenu cette autorisation de délivrer un Titre de magicien, niveau 5 européen, soit Bac+2, avec équivalence universitaire (120 points ECTS). Et la cinquième et dernière année a été consacrée à la commercialisation de cette nouvelle corde à notre arc.
Comment s’organisent les cours collectifs et sur combien de temps ?
Le cursus complet dure 550h et il y a deux rythmes possibles pour suivre la formation : sur une année scolaire (35h par semaine de septembre à décembre puis 7h par semaine de suivi pédagogique de janvier à juin) ou bien sur deux ans (en moyenne 7h par semaine). A noter que la réussite de l’examen final est par ailleurs conditionnée par un travail personnel de l’ordre de 2500 à 3000 heures
Sinon, au niveau de l’organisation des journées de cours, les modules ne sont pas déployés dans un ordre chronologique. Le parcours est structuré de manière à alterner les thématiques et à aérer les contenus afin de garder les apprenants attentifs, tout en leur permettant de prendre du recul et de mémoriser plus facilement. Chaque journée de formation alterne cours théoriques, mises en situation, travaux pratiques et travaux dirigés.
Combien de personnes peuvent s’inscrire dans une promotion ?
Nous n’avons pas fixé de limite. Par contre, nous faisons en sorte de ne pas dépasser une dizaine d’élèves par cours, pour que l’apprentissage reste le plus efficace possible. Donc, en fonction de la demande, nous multiplions les sessions de cours et développons l’équipe pédagogique. Nous nous adaptons.
Qui dispense les cours et comment ?
Actuellement notre équipe pédagogique est composée de sept formateurs : Dominique Duvivier, Alexandra Duvivier, Philippe de Perthuis, Olivier Bridard, Jean-Pierre Crispon, Benoît Rosemont, Quoc Tien Tran. Chacun enseigne ses spécialités, en fonction d’un programme de formation précis.
Comment avez-vous construit votre programme pédagogique de formation ?
Dans un premier temps, nous avons étudié la forme d’un programme pédagogique vis-à-vis des exigences du Ministère du Travail : il fallait découper le métier en « blocs de compétences », eux-mêmes découpés en modules. Puis nous avons fait des heures et des heures de réunion avec l’équipe pédagogique pour prendre en compte tous les aspects du métier. En l’occurrence notre programme comporte 4 blocs de compétences :
Bloc 1 : Exercice de la magie (Culture et histoire de la magie et les différentes catégories de magie : cartomagie, close-up, magie pour enfants, mentalisme et magie de salon/scène)
Bloc 2 : Préparation d’un numéro de magie (c’est-à-dire la connaissance du terrain : vocabulaire du monde du spectacle, etc.)
Bloc 3 : Interprétation d’un numéro de magie (comment susciter l’adhésion du public, captiver son auditoire, etc.)
Bloc 4 : Développement et gestion d’activité (savoir se vendre, connaître les différents statuts qui existent, les prix du marché, des notions de droit, etc.)
Comment abordez-vous avec les élèves la culture magique ?
Il y a un cours spécifique sur l’histoire de la magie, mais la culture magique est abordée en continu durant tout le cursus : la magie étant l’art de la transmission par excellence, l’accent est sans cesse mis sur l’importance de respecter la notion de chaîne du secret et de comprendre qu’en tant que magicien, on fait partie d’une grande communauté, avec ses droits et ses pratiques. En début de formation les étudiants signent une « Charte du magicien » qui les engagent vis-à-vis d’un certain nombre de points et nous insistons beaucoup tout au long du cursus sur le fait, par exemple, de citer ses sources, de connaître ce que l’on doit à ses pairs, de la nécessité de développer sa culture magique. Nous avons aussi un cours d’archives magiques, où l’on fait découvrir aux étudiants des vidéos d’artistes incontournables comme Fred Kaps, Albert Goshman, Richard Ross, Ricky Jay, Dai Vernon, Larry Jennings, etc. C’est d’ailleurs un moment que les étudiants adorent. Ils sont fascinés.
Comment se passent les examens d’évaluation et la certification du diplôme ?
Il y a cinq épreuves : quatre épreuves écrites (QCM ou questions/réponses) pour le module 1 et les blocs 2, 3 et 4. Et l’examen final devant le jury, qui est une mise en situation. Le candidat prépare un minimum de trois tours de magie par discipline (cartes, close-up, mentalisme, magie pour enfants, magie salon/scène). Le jury de trois magiciens en activité (extérieurs au Double Fond) demande au candidat de présenter un tour de magie choisi au hasard dans chaque discipline. Le candidat présente ainsi, en définitive, un total de cinq tours de magie devant le jury, ce qui représente une durée d’environ une heure d’examen.
Après trois ans d’existence, quels sont vos retours d’expériences ? Avez-vous changé des choses dans vos méthodes d’apprentissage ? Quel est le pourcentage d’élèves qui s’engagent dans le métier ?
Nous sommes dans une logique d’amélioration continue. Chaque semaine le comité pédagogique se réunit pour échanger, rectifier, parfaire… Donc oui, nous avons changé beaucoup de choses, parce que nous faisons en sorte d’évoluer sans cesse. On se remet beaucoup en question, d’une part parce que c’est dans nos habitudes au Double Fond, mais aussi parce que cette aventure du diplôme de magie est une grande responsabilité à nos yeux, vis-à-vis de l’image de l’art de la magie, mais également vis-à-vis des étudiants qui nous font confiance en venant se former chez nous. Quant au placement de nos diplômés dans le monde du travail, il était très bon. Mais depuis la pandémie, les statistiques sont faussées.
Comment les gens peuvent-ils s’inscrire et se faire financer ?
L’inscription est conditionnée à un entretien de diagnostic préalable, mais il n’y a pas de prérequis établis, ni d’audition. La formation peut bénéficier des financements publics. En fonction du statut du stagiaire, nous étudions toujours les meilleures possibilités.
Le Double Fond propose également d’autres apprentissages de l’art magique par le biais de cours particuliers ou d’une plateforme de streaming. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Oui, nous couvrons tous les champs des possibles pour apprendre la magie : en dehors de notre formation diplômante, il y a aussi des formations courtes (20h, 40h, 80h qu’on peut faire financer avec son CPF) pour monter en compétence par rapport à un domaine particulier (par exemple : la magie pour enfants, le mentalisme, etc.). Il y a également des formules de cours particuliers pour les enfants, les adolescents, etc. Et enfin, il y a cette plateforme de streaming que nous avons montée : Double Fond TV. Une sorte de Netflix de magie, qui fonctionne par abonnement et sur laquelle on peut accéder à déjà plus de 800 vidéos pour apprendre ou se perfectionner dans la magie, mais aussi regarder des archives de spectacles par exemple.
Que pensez-vous de la pratique amateur dans la magie par rapport à une « professionnalisation » du métier ?
A nos yeux, il n’y a pas de fossé entre amateurs et professionnels. Si fossé il y a, c’est plutôt entre ceux qui pratiquent la magie pour de mauvaises raisons (se faire mousser, gonfler leur ego) et ceux qui la pratiquent pour de bonnes raisons (créer du lien, faire rêver, dans un état d’esprit d’empathie et de partage). Bref, il n’y a pas de « pratique amateur » qui s’opposerait à une « pratique professionnelle ». Tout se complète et s’enrichit mutuellement. La professionnalisation du métier de magicien, grâce notamment à ce diplôme, permet de porter vers le haut les valeurs du métier et de lui donner une certaine légitimité dont il manquait dans le champ des arts, parmi le théâtre, le cinéma, le cirque, etc.
Que pensez-vous du brevet d’initiation BIAM mis en place en 2020 par la FFAP pour former des enseignants aux arts magiques ?
C’est merveilleux. Toute initiative qui permet à la magie d’être davantage reconnue comme un art est à louer.
Est-ce que d’autres pays ont suivi votre exemple et engagé des demandes au niveau de l’Etat ?
Plusieurs pays nous ont contacté pour s’adosser à notre initiative (c’est-à-dire envoyer leurs étudiants passer le diplôme chez nous), mais nous n’avons pas encore eu vent d’un autre pays que la France qui aurait développé une certification reconnue par l’Etat. Nous avons ouvert une porte. Nous espérons bien que cela encouragera d’autres pays à se lancer !
Comment voyez-vous l’évolution du métier de magicien dans le futur ?
La magie s’est beaucoup développée ces dernières années et ce n’est pas un simple effet de mode. Face au numérique, au désenchantement et à la déshumanisation, la magie répond à plusieurs besoins fondamentaux de l’être humain : rêver, s’émouvoir dans le partage, se connecter les uns aux autres et vivre ensemble l’émerveillement. Il y aura donc certainement de plus en plus de magie dans le futur !
– Entrevue réalisée en novembre 2021.
A visiter :
– Le site de formation du Double Fond.
A voir :
– Reportage sur l’école du Double Fond par BFMTV.
– Le diplôme de magicien.
A écouter :
– L’interview d’Adeline Galland sur France Bleu.
Crédit photos : Le Double Fond. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.