La véritable histoire du spiritisme racontée et illustrée par Céline Noulin.
Depuis la fin de l’année 2022, Céline Noulin a entrepris la création d’« univers magiques » à travers une série de conférences, spectacles et visites guidées sous l’étiquette Les Magies de CirCé. Invitée en Bourgogne par Christine Lesage (Alice Ecila), vice-présidente du Cercle Magique de Dijon, la conférencière a dû adapter son intervention (initialement de deux heures) pour y inclure des effets magiques, spirites et mentaux, dans une forme courte n’excédant pas une heure. Une première pour Céline Noulin qui s’est vu partager la scène avec deux compères de la région : l’hypnotiseur et mentaliste Fabien de Forest et le magicien Léon Foby (Gaëtan Blanchard). L’idée, séduisante, de mixer conférence et spectacle avec ce sujet ouvert permet de multiples possibilités scéniques et donne un bon équilibre entre informations, récits et pratiques pour le grand public.
Au niveau des interventions magiques, en lien avec les sujets abordés, Fabien de Forest nous a proposé une séance d’évasion classique où il libère ses mains d’une corde, attaché sur une chaise sous couvert d’une veste ; un book test où il devine un mot librement choisi par un spectateur dans un livre ; et un effet de télékinésie en faisant exploser un verre de bière à distance. Léon Foby, lui, a exécuté une routine de Smash and Stab (main écrasée sur deux sacs dont l’un contient un pic) en utilisant en préambule le choix du spectateur à pile ou face (routine Pièce unique de Luc Apers) ; et un « voyage astral » en faisant choisir à une personne une destination avec un accompagnant qui sont révélés écrit sur un carnet et gravé sur une montre à gousset.
En raison de la préparation très rapide des trois intervenants et de la courte durée de la représentation, les effets manquaient un peu de cohésion au début, puis d’un climax plus spectaculaire à la fin. Le répertoire (bien choisi) aurait mérité des routines plus sophistiquées et personnifiées, moins bruts de décoffrage. Malgré ces réserves, la satisfaction des spectateurs était visible.
Il faut surtout saluer l’intervention de Céline Noulin qui maîtrise parfaitement son sujet (richement illustré de documents souvent inédits) en étant claire, directe, précise et concise. Elle se démarque surtout des communications « classiques » en ne lisant aucunes notes ! Réciter avec passion toutes ces informations et anecdotes est bluffant. On sent à chaque instant la conférencière investie d’une mission pédagogique, sociale et culturelle qu’elle transmet généreusement à l’auditoire.
La conférence
Le « spiritualisme » est l’un des tout premiers américanismes de la culture européenne. En 1853, beaucoup sont effrayés par ce débordement imprévu de la croyance aux esprits, dans une société de progrès scientifique, à la philosophie avancée. Tandis qu’en France, le spiritisme prend la forme d’un mouvement social et populaire, les expériences médiumniques des frères Davenport apportent un nouveau souffle épique.
Des forces invisibles
Au croisement des sciences, des croyances et du merveilleux, cette conférence aborde les liens entre le spiritisme et les arts magiques, du milieu du XIXe siècle à nos jours. Des États-Unis à l’Europe, le spiritisme, reposant sur la foi dans la communication avec les esprits de l’au-delà, se répand comme une traînée de poudre, dès 1848. Les médiums, intercesseurs de ces nouvelles « révélations », développent rapidement leurs pratiques qui, par certains aspects spectaculaires, vont durablement influencer le répertoire des illusionnistes de l’époque, jusqu’aux mentalistes actuels.
Des pratiques ancestrales
La croyance en un monde peuplé d’esprits est partagée par toutes les cultures anciennes. Dans la Grèce antique, on consulte les Oracles avant de prendre une décision importante. Le Moyen Âge donne naissance au concept de Purgatoire et au genre théâtral des « Mystères » présentés en place publique. À l’aube des Guerres de Religion, certains se risquent à simuler l’apparition d’esprits, frôlant le bûcher. Au début du XIXe siècle, une soif de connaissances et de découvertes révolutionne la société occidentale. Entre l’enthousiasme et la peur, de nombreuses disciplines pseudo-scientifiques émergent, déplaçant la limite du possible.
Un mouvement populaire, social et féminin
À l’origine du spiritisme, se trouvent les phénomènes de « coups frappés » dans la maison des sœurs Fox, dans la nuit du 31 mars 1848, à Hydesville (État de New York). Très vite, le code mis au point pour répondre aux esprits cède la place à une planchette mobile, avant les tablettes de Ouija et « l’écriture automatique ». Théorisé par Allan Kardec, en 1857, dans Le Livre des Esprits, le spiritisme se veut une religion moderne, « la nouvelle science psychique », visant le progrès individuel et social. Tandis que les médiums américains se professionnalisent et rémunèrent leurs services, la médiumnité devient l’un des premiers métiers féminins au cœur de la société du XIXe siècle.
Spiritisme et arts magiques, des influences croisées
En 1853, quand les « tables parlantes » envahissent les salons parisiens, les illusionnistes cherchent de nouvelles sources d’inspiration. Les frères américains Davenport, arrivés en France en 1865, avec leur « Armoire spirite », apportent un nouveau souffle épique : alors qu’ils sont solidement attachés et enfermés à l’intérieur, des bruits retentissent et les instruments de musique se déchaînent… Si la presse satirique, les intellectuels et les prestidigitateurs les brocardent et cherchent à les démystifier, leur Armoire préfigure le « Cabinet noir » des médiums et anticipe la « Cabine spirite » de nombreux artistes américains et européens.
L’intérêt des écrivains, philosophes et scientifiques
À partir des années 1850, d’illustres écrivains, poètes et dramaturges imprègnent leurs créations de spiritisme (Alexandre Dumas, Gérard de Nerval, Théophile Gauthier…). En exil sur l’île de Jersey, Victor Hugo, par l’intermédiaire du guéridon, croit entrer en contact avec Léopoldine, sa fille défunte. Le philosophe et médecin Pierre Janet admettra toute l’importance de « l’écriture automatique » pour « traiter les maladies mentales ». L’éminent Carl Gustav Jung sera convaincu qu’il faut élargir ses connaissances à la totalité du réel. Si nombre de savants crient au charlatanisme, d’autres chercheurs militent pour une science résolument « ouverte » : Camille Flammarion, les époux Curie, Thomas A. Edison.
Photographie et cinématographe : le 3ème œil spirite
Entre 1870 et 1930, l’interaction entre l’occulte et la photographie est très prolifique. Aux yeux des médiums, cet art encore jeune apparaît idéal pour prouver l’existence des esprits et leurs matérialisations (ectoplasmes, lévitations…). Des photographes parfois peu scrupuleux mettent en scène des portraits fantomatiques vendus fort chers (William Mumler, Edouard Buguet…). Au théâtre, Henri Robin tente, avec ses spectres vivants basés sur des trucages scéniques, de rivaliser avec les séances de spiritisme. Le Cabaret du Néant présente des saynètes avec croque-morts et revenants. En revanche, les spirites rejettent le cinématographe, trop intrusif. Les films de Georges Méliès, influencés par le « théâtre noir », s’inspirent amplement de la vague spirite.
Médiums et magiciens : entre rivalité et héritage artistique
De célèbres controverses entre adeptes du paranormal et détracteurs magiciens ont défrayé la chronique. Citons Sir Arthur Conan Doyle, prêcheur infatigable de la cause spirite et Harry Houdini, parti en croisade contre les faux médiums. Des luttes d’influence s’engagent, par journaux interposés ou plus tard à la télévision, entre le médium Uri Geller et Gérard Majax. Pourtant, les illusionnistes reprennent à leur compte, en les adaptant, les meilleurs « trucs » des médiums : book tests, ardoises spirites, coffrets à prédiction, piano flottant… Peu à peu, la frontière entre l’étude des facultés métaphysiques et leur imitation s’estompe, au profit d’un nouvel art du spectacle mêlant illusion, suggestion hypnotique et psychologie : le mentalisme.
À lire :
- L’exposition Esprits Fantômes.
- Esprits fantômes : illusionnisme et spiritisme. Catalogue de l’exposition de la Maison de la Magie Robert-Houdin sous la direction scientifique de Thibaut Rioult et Antoine Leduc (2020).
À visiter :
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