les conférences de Monsieur Remy ont eu pour objet l’étude des pratiques plus ou moins mystérieuses par lesquelles les occultistes de tous les siècles, les magiciens, les kabbalistes, les sorciers, et, dans ces derniers temps, la multitude des spirites ont essayé et essaient d’entrer en relations avec le monde des esprits. Nombre de ceux qui s’adonnent à ces pratiques ont prétendu et prétendent s’adresser purement et simplement aux âmes des morts et constater leur intervention. Ceux qui les condamnent affirment que ce sont, en réalité, des démons qui leurre pondent ou qui môme, viennent spontanément vers 1es hommes pour parler, agir, les duper, et, finalement, pour les perdre aussi bien physiquement que moralement. Qui a raison ? N’y a-t il là que des phénomènes naturels jusqu’ici mal compris parce qu’ils sont extraordinaires ? Quelle est, en tout cela, la part de la fraude et de l’illusionnisme ? Peut-on soutenir que beaucoup des faits racontés n’ont jamais existé que dans l’imagination de ceux qui ont cru les constater ?
« Le sujet est très moderne », dit M. Remy ; on s’occupe plus que jamais de théosophie, de tables tournantes, de spiritisme. Le sujet est surtout très vaste ; aussi je n’ai pas la prétention de l’épuiser ni d’y faite la lumière complète : il est trop mystérieux et trop compliqué. Du moins, essayons de l’étudier, en le résumant sans parti pris et aussi sérieusement que possible. Dans la première conférence nous essaierons surtout de résumer et de classer les faits du spiritisme, et dans la deuxième nous donnerons les théories et l’appréciation.
la Pythie de l’oracle d’Apollon à Delphes, voyante de l’Antiquité.
Le mot de Spiritisme est assez récent ; mais la chose a toujours existé ainsi que le montre M. Remy en remontant jusqu’aux plus anciens temps auxquels la science puisse remonter, c’est-à-dire jusqu’à 2 000 ans avant J.C, époque à laquelle vivait Abraham qui marque le point de départ de l’histoire d’Israël. D’après la Bible, les papyrus et les monuments de cette époque et des âges suivants, qu’on peut voir au musée du Louvre, les pratiques spirites ou magiques furent très répandues chez les Chaldeens, les Egyptiens, les Perses les Hébreux. De même chez les anciens Grecs et chez les Romains, ainsi qu’il résulte des témoignages d’Homère, de Cicéron. d’Horace, de Suétone qui mentionne dans sa vie d’Auguste l’incinération publique de plus de 2 000 ouvrages qui s’occupaient d’enchantements. Dans la Chine et dans l’Inde, pays des lamas, des bouddhistes et des fakirs le spiritisme à aussi toujours existé et existe toujours officiellement. Un savant missionnaire, le P.Hue et des voyageur, non suspects, tels que Jaccolliot, dans son ouvrage Le Spiritisme dans le monde, racontent qu’on voit dans ces pays des faits extraordinaires. On y voit, notamment, les fakirs s’élever à plusieurs pieds au-dessus de terre et y demeurer sans aucun soutien extérieur ; parfois, lorsqu’un étranger vient les visiter, ils lui demandent de penser une phrase quelconque dans sa langue, ils étendent du sable fin sur la terre, mettent sur ce sable une petite baguette de bambou et la baguette écrit d’elle même la phrase pensée par l’étranger. Au moyen âge aussi, on s’occupe et on parle beaucoup de sorciers, de cérémonies magiques, de cuisines diaboliques, de nécromancie, d’envoûtements, etc.. Les littérateurs, les savants et, en particulier, le Tasse. l’Arioste, Benvenuto Cellini admettent la réalité de ces faits et les décrivent. Un peu plus tard, Giordano Bruno, le célèbre précurseur de la libre pensée moderne laisse voir, lui-même, dans son Candelaio, qu’il est convaincu de la réalité du commerce des vivants avec les esprits.
Ni le souffle d’incrédulité qui, depuis le XVIIIème siècle se répand dans le monde, ni la science moderne n’ont fait disparaître ces croyances et ces pratiques. « Je ne sais », dit le docteur Grassay (Le Spiritisme devant la science), « si, comme on l’a répété maintes fois, les époques les plus incrédules sont, en réalité, les plus crédules. Mais il est certain qu’aujourd’hui on admet, on aime et on cherche le merveilleux avec autant d’ardeur qu’au moyen âge et dans l’antiquité ». Un grand journal quotidien de Paris contenait, le jour même de la conférence (25 avril), vingt-quatre annonces et a tresses de somnambules, cartomanciennes, chiromanciennes, occultistes, voyantes, devineresses, sorcières, etc.. Vingt-trois de ces annonces concernaient des sujets du sexe aimable. L’école théologique souligne ces constatations et cette sorte de renaissance païenne et, répétant la célèbre définition d’Aristote : « L’homme n’est qu’un animal religieux », elle déclare qu’il n’est pas étonnant que la superstition augmente lors que la religion diminue. Toujours est-il que, depuis un demi siècle, la croyance aux sorciers et le spiritisme sont plus en honneur que jamais, en Europe et en Amérique.
Margaret, Kate et Leah Fox. Naissance du spiritualisme moderne en 1848.
Tel qu’il a été en vogue depuis ce temps, le spiritisme et son nom actuel ont pris naissance en Amérique, dans l’Etat de New-York où s’était établie la famille Fox dont M. Remy raconte l’histoire. La personnification qui était entrée en rapport avec les Demoiselles Fox déclarant toujours être un esprit, en anglais spirit, de là vint le nom de spiritisme donné aux manifestations constatées par ces jeunes misses. D’Amérique, le spiritisme passa en Angleterre et en Allemagne où, à l’exemple des Demoiselles Fox on fit tourner d’abord les tables, et, ensuite, les fauteuils les chaises, les chapeaux, les saladiers, etc.. Il pénétra en France, en 1853 et y provoqua un engouement extraordinaire. M. Remy décrit, en les émaillant de récits, des faits survenus chez de proches parents ou qu’il tient directement d’amis dignes de foi, les phénomènes obtenus dans les séances de spiritisme. Ce sont, d’abord, les phénomènes intellectuels où les esprits sont censés exprimer leur pensée ; typologie, écriture directe ou automatique, voix, télépathie, prise de possession par l’esprit du corps d’un médium (fait odieux, dit M. Remy, parce qu’il suppose, en général, le consentement au moins tacite du médium, mais heureusement beaucoup plus rare que ne le pensent les spirites). Dans cet ordre de phénomènes, le conférencier cite certains faits extraordinaires : réponses de médiums dans une langue qu’ils n’ont jamais apprise révélations, divinations, prédictions à échéance plus ou moins prochaine, mais habituellement moins précises ou fausses quand l’échéance est trop éloignée. Viennent ensuite les phénomènes physiques : coups frappés, souffles, mouvements de choses inanimées, apports (ou apparitions d’objets, fleurs, gâteaux, bijoux, pierres morceaux de bois ou de verre, etc. , non apportés par les assistants), visions (effluves odiques, lueurs diverses, auréoles, lumineuses, fantômes), extériorisation de la sensibilité, lévitation (du latin : levitas, légèreté).
Phénomène de poltergeist vers 1850.
Parmi les témoins qui affirment ces faits, beaucoup sont suspects névrosés, hystériques, fraudeurs conscients ou inconscients, etc.. Mais, d’après une statistique présentée au 2ème Congrès spirite tenu à Paris en 1889, le nombre de ceux qui assistaient — à cette date — à des séances de spiritisme était, d’après les congressistes, supérieur à quinze millions d’individus : les uns le considérant comme un passe temps, un moyen de satisfaire leur curiosité et leur amour du merveilleux, les autres comme une sorte de culte. Il est inadmissible que le spiritisme actuel, comme aussi la magie et la nécromancie anciennes aient pu constamment abuser tant de dupes, avec des faits qui ne seraient ni sérieux ni réels. Des expérimentateurs sceptiques et qui ont pris les précautions les plus minutieuses contre toute supercherie ont dû avouer, après un certain nombre de séances que, souvent, les phénomènes semblaient procéder d’une cause intelligent, bien supérieure a celle du médium ou des assistants. C’est pourquoi, malgré les nombreux cas de fraude constatés — et M. Remy en raconte quelques-uns assez amusants — le conférencier conclut que, s’il y a une bonne moitié de charlatanisme dans tout ce qui est attribué au spiritisme, cependant les témoignages de personnes sérieuses et indépendantes et d’hommes très intelligents ayant constaté les phénomènes, vérifié, écarté toute cause de supercherie, sont trop nombreux pour qu’on puisse se montrer complètement
sceptique. Lombroso lui même, le fameux criminaliste italien, au grand émoi de nombreux cercles scientifiques, reconnaissait récemment la réalité et l’importance des phénomènes spirites. En terminant, M. Remy expose les trois faits suivants :
A- « Voici – racontait tout récemment encore, dans un cercle d’amis, M Bardinal, actuellement curé de Levallois-Perret — comment je
réussis a convaincre un incrédule. Mû par le désir de faire du bien et fort de ma confiance en Dieu, je promis que les tables ne tourneraient pas en ma présence. Avant de pénétrer dans la salle, je fis le signe de la croix avec une ardente prière ; je rentrai et tous ces gens habitués à faire tourner les tables ne purent rien obtenir. Quand tout le monde fut convaincu que ma présence empêchait les résultats je sortis et, aussitôt, m’a~t on certifié, les phénomènes ordinaires se produisirent à nouveau. J’avais donné le genre de preuve que j’espérais donner avec l’aide de Dieu. » Je ne connais pas M. Bardinal : mais je connais bien l’ami qui lui a entendu raconter ce fait plusieurs fois et je suis absolument sûr de son témoignage. Levallois-Perret est à quelques minutes de Paris et je ne crois pas que M Bardinal se refuserait à répéter et à donner les moyens de contrôler son récit à ceux qui s’adresseraient à lui dans ce but.
Séance de spiritisme vers 1853.
B- Le deuxième fait s’est passé à Reims. vers 1886. Un vieil officier, qui avait vu beaucoup de pays, tomba dangereusement malade. Malgré les instances de sa famille, il refusa longtemps de voir aucun prêtre. Enfin, il se décida. Un prêtre fut mandé et vint à la baie, or, quand il entra dans la maison, tableaux, buffet, chaises, fauteuils se mirent à changer de place et à danser une sarabande insensée. Cet officier était l’oncle paternel de deux bons amis, compagnons d’études du quartier latin où, ceci soit dit en passant et sans vouloir médire d’eux, ils s’amusaient alors plus qu’ils ne travaillaient. L’aîné est présentement notaire et conseiller général dans un département de l’Est ; l’autre rédige, dans une grande capitale de l’Europe, la correspondance étrangère de plusieurs grands journaux français.
C- Enfin, à une époque où j’avais accepté certain labeur, j’ai eu comme compagnon de travail, un franc camarade, père d’un jeune fils qu’il
chérissait par dessus tout, mais passant — malheureusement pour les siens — la majeure partie de son temps dans les coulisses des théâtres et des cafés-concerts et menant une vie aussi déraisonnable que joyeuse. Lui même en convenait tout le premier et, parfois, il m’a demandé en toute confiance des conseils que, d’ailleurs, il ne suivait pas. Une très grave maladie vint frapper son enfant, dont l’état empira très vite. Comprenant, à une dernière défaillance, que la mort était imminente, le père se précipita dans un couloir conduisant à une pièce voisine de celle ou se trouvait son pauvre fils, afin d’y prendre une potion énergique prescrite par le médecin pour le cas où une nouvelle et soudaine aggravation de la maladie se produirait en son absence. A peine dans le couloir, le père reçoit sur la joue un violent
soufflet : « Victor est mort ! », dit il, ce inutile d’aller plus loin ». Et revenant aussitôt vers son fils, il ne trouve plus qu’un cadavre.
Puissent ces faits et ceux que je vous ai exposés précédemment faire réfléchir les derniers sceptiques ! J’aurais pu vous en citer d’autres non moins probants et vous apporter aussi d’importants témoignages d’Alexandre Dumas, de Victor Hugo, de Clovis Hugues, de Paul Bourget, etc. J’aurais probablement l’occasion de le faire, mesdames et messieurs dans la prochaine conférence où nous nous attacherons, surtout en nous aidant de quelques autres faits particuliers a chercher l’explication de ces préoccupants phénomènes. Nous verrons ensemble les théories proposées et les solutions que l’on peut admettre. Mais je tiens dès aujourd’hui, dit en terminant M. Remy, à vous recommander de ne pas faire de spiritisme. Nous serons, en effet, je crois, obligés de conclure que ses résultats ne sont bons ni au point de vue physique, ni au point de vue intellectuel, ni au point de vue moral.
– La suite : Le Spiritisme (2/4).
A lire :
– Histoire de la voyance et du paranormal, du XVIIIème siècle à nos jours de Nicole Edelman. Editions du Seuil (2006).
– Phénomènes psychiques.
– Fantômes spirites.
– Georges Méliès, la magie et les fantômes.
– Les médiums sont-ils des prestidigitateurs ?
– Le médium spirite.
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