Il a été dit qu’après la prostitution, la magie était la deuxième plus ancienne profession au monde. Bien que cela puisse être discuté, ce qui est certain c’est que les magiciens et leurs tours de passe-passe existent depuis des milliers d’années. Cependant, les finalités de la magie n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Bien qu’il s’agissait de mise en scène, la magie n’était pas utilisée comme divertissement. Elle était utilisée pour persuader. Toutefois, les supercheries sont toujours les mêmes des milliers d’années plus tard, et les prestidigitateurs d’aujourd’hui les utilisent toujours sous différentes présentations. Ce fait est avéré, mais un autre l’est beaucoup moins : Quel a été le premier tour de magie que l’on a décrit ?
Pendant des années, on a argumenté que le tour des gobelets et des muscades avait été antérieur à tous les autres. Avant d’analyser les preuves qui entourent cet argument, voici tout d’abord en quoi il consiste : Ce tour de magie est, par essence, une suite de disparitions, d’apparitions, de pénétrations, de transferts de petits objets, usuellement des balles (ou des muscades). La magie opère sous, dans, et au-dessus de trois gobelets, ou trois bols. Le tour se termine lorsque les balles sont transformées sous le couvert des gobelets, en un grand objet comme une pomme, un citron ou une orange. Des artistes modernes produisent même des poussins ou un verre de vin à la conclusion du tour. Le matériel utilisé dans le tour des gobelets et des muscades n’est pas important. En fait, Ce qui est important dans cette discussion, c’est de comprendre que ce type d’effet est connu sous le nom du tour des gobelets.
La preuve qui est souvent donnée pour dire que le tour des gobelets est le plus ancien tour décriaient d’Egypte. Aux environs du Caire, près du village de Beni Hassan sont alignées 39 tombes anciennes. Les murs de ces cryptes sont recouverts, comme le sont les tombes égyptiennes plus célèbres, de peintures murales qui dépeignent des scènes de la vie courante de l’Egypte ancienne. Dans la tombe datant de 2000 avant J.C de Baqet III (le gouverneur de région) se trouve la cause de beaucoup de débats parmi les historiens de la magie.
La scène dépeinte à Beni Hassan montre deux hommes, agenouiilés sur le sol et face à face. Les deux personnes tiennent un objet en forme de bol, ouverture vers le bas. Sous les ’’bols », dans leurs mains, il y a deux autres objets qui ont l’air identiques. Est-ce un dessin présentant le tour des gobelets ? Les dernières recherches sur la peinture murale de Beni Hassan l’affirment. Quels sont les arguments qui ont convaincus tant d’érudits ?
Milbourne Christopher, éminent magicien et historien de la magie renommé, argumenta dans deux livres importants, The illustrated History of Magic et Panorama of Magic que le tour des gobelets était, sans aucun doute, le premier tour de magie rapporté par l’histoire. Le premier chapitre de Panorama of Magic, intitulé, The ancient art of Magic dit que 5000 ans avant que le premier magicien apparaissent sur ie continent Nord américain, les magiciens montraient déjà leurs merveilles en Egypte. Christopher rejoint cette thèse en citant le fait que les égyptologues avaient décrit le dessin sur le mur de Beni Hassan, comme étant une illustration du tour des gobelets. Les scientifiques qu’il cite sont Sir J.G. Wilkinson et Percy Newberry.
Wilkinson a publié, dans son ouvrage Manner and Customs of the Ancient Egyptians que « la magie est présente chez les anciens égyptiens, au moins par le tour des gobelets où une balle était mise sous un gobelet alors que le spectateur devait deviner sous lequel des quatre gobelets elle était cachée ».
Percy Newberry, qui a étudié les peintures murales à Beni Hassan durant quatre ans, était d’accord avec l’interprétation de Wilkinson sur ce dessin. Newberry avait vu d’autres scènes murales où les gobelets étaient décrits comme des jeux et des exercices, ce qui pouvait faire émerger l’hypothèse que ces images étaient bien une illustration du tour des gobelets. Newberry, comme Wilkinson, décrivit l’image en question comme un jeu de gobelets. Les autres égyptologues avaient décidé de classer la scène des gobelets parmi les scènes de jeux. Newberry avait noté qu’un jeu utilisant un clou était mentionné sur un côté de l’image et qu’une autre image, dessous, représentait effectivement un jeu.
Aussi encourageante que puisse être cette indication, il apparaîtrait aussi que ces analyses superficielles du dessin ont été faites pour aboutir à la conclusion que cela montrait effectivement le tour des gobelets. Une importante question à poser qui est aussi l’une des plus évidentes : Où sont les balles, qui sont le point central du tour ? Un élément de base de presque toutes les représentations du tour des gobelets à travers les âges est la pénétration d’une balle à travers le dessus d’un gobelet. Ce fait, semble dire que le dessin ne concerne pas un tour de magie, mais plutôt un jeu quelconque. Ce qui est important de se souvenir ici, selon McKeague, c’est que les Egyptiens, qui ont peint les murs des tombes exécutaient leur travail, sans idées plus ou moins cachées. Ils peignaient ce qu’ils voulaient dire.
McKeague soumit aussi le problème à d’autres experts pour avoir une opinion extérieure sur la question du tour des gobelets. Les autres savants étaient d’accord sur le fait que la seule chose qu’on pouvait dire sur le dessin De Beni Hassan, était qu’il montrait un jeu d’un type inconnu. Le professeur Egyptien Naguib Kanawati a suggéré que la conclusion la plus vraisemblable soit que l’image dépeigne un jeu à base de devinette. Un individu mettait un objet sous l’une des tasses, et un second devait deviner quel était l’objet caché.
D’autres conjectures ont aussi été avancées sur ce que représentait la fameuse fresque de Beni Hassan. Considérant la position dans laquelle les tasses sont tenues, discute le professeur Jim McKeague, il semble que les hommes dans le dessin essaient de maintenir les tasses au-dessus les unes des autres. Il a aussi conjecturé que les personnages pouvaient tenter de faire tourner les objets entre leurs mains, sur les objets du dessous, comme des toupies. Ces deux tentatives d’explication indiquent, manifestement le fait que les tasses pourraient ne pas être des tasses, mais plutôt des objets pleins.
Bien que les personnages dans le dessin soient en train de faire quelque chose qui semble clair, personne n’est sûr de ce qui est effectivement dépeint dans cette fresque trouvée dans la tombe de Beni Hassan. La conjecture ne fournit donc pas une réponse certaine sur le fait que le jeu de gobelet soit le plus vieux tour de magie relaté. Alors que le doute subsiste sur le fait qu’il soit le plus vieux, il est certainement l’un des premiers ayant été rapporté par écrit.
Milbourne Christopher, en plus d’écrire sur sa foi en ce dessin, a discuté sur d’autres écrits anciens concertant le jeu des gobelets dans son classique Panorama of Magic. Peu de choses ont changées depuis presque 2000 ans comme le montre Le jongleur du château d’eau, datant de 1822. Un exemple qu’il cite est l’écrit de Seneca Le Jeune, né en 3 avant JC qui, dans les lettres quarante et cinquante à Lucilius, où il fait état de sa réflexion sur le jeu de gobelets. Les faits sont décrits par Seneca Le Jeune comme ceci : « Le truc dans lequel les balles ont disparues sous le couvert de tasses”.
Le travail de Milbourne Christopher va jusqu’à citer d’autres exemples de jeu de gobelets dans l’antiquité, et incluant une brève discussion de Alciphron d’Athène, qui ayant observé une prestation du jeu de gobelets, il y a quelque 1736 ans, écrivait :
« Un homme vint et plaça, sur une table à trois pieds, trois petites assiettes, sous lesquelles étaient cachés quelques petits cailloux blancs. Il plaça alors ces cailloux un par un sous une assiette, et alors, je ne sais pas comment, il les fit réapparaître sous une autre assiette, A un autre moment il les a fait disparaître du dessous des assiettes et les a fait réapparaître dans sa bouche. Puis, alors qu’il les avait avalés, il en retira un de son nez, l’autre de son oreille et un troisième de la tête d’un spectateur debout près de lui. Finalement, il fit disparaître les pierres à la vue de tout le monde. C’était la personne la plus adroite que nous ayons vu, meilleur même que Eurybates d’Oechalie. «
Le passage précédent ne laisse aucune place pour les suppositions, contrairement à la fresque de Beni Hassan. Avec des variations légères (les magiciens d’aujourd’hui ne font pas habituellement apparaître les balles dans la bouche), c’est un exemple parfait du tour des gobelets. La dernière phrase est aussi intéressante à noter, dans le fait qu’il décrit un autre montreur de magie, Eurybates d’Oechalie. De cette indication, on peut conclure que la magie n’était pas seulement limitée à Athènes.
Aucune mention n’est faite de cette histoire de gobelets ou de la fresque de Beni Hassan dans le livre The Great Illustionists écrit par le professeur Edwin Dawes. Bien que Dawes note qu’il est évident que la manipulation était pratiquée des milliers d’années avant la naissance du Christ il ne fait aucune mention du jeu de gobelets avant 1584. Il mentionne juste le premier livre de magie en langue anglaise, Discoverie of Witchcraft de Reginald Scot comme décrivant le tour des gobelets.
A la pace de ce tour, Dawes discute brièvement d’une histoire de magie décrite dans le papyrus de Westcar, un document égyptien se trouvant au Musée de Berlin. Le Papyrus raconte les exploits du Roi Kéops, constructeur de la Grande Pyramide à Gizée autour 2600 avant JC. Kéops, dans le Papyrus, fait appel à ses fils pour lui amener un magicien connu sous le nom de Dedi. Dedi rend donc visite à la cour du roi Kéops, pour lui montrer quelques miracles. Agé de 70 ans, paraît-il, Dedi montre au pharaon ce que l’on peut considérer comme des tours impressionnants, même selon nos normes actuelles. Selon le paryrus, il décapita trois animaux : Une oie, un canard et un bœuf, ramenant ensuite à la vie, les bêtes massacrées sans aucunes séquelles apparentes. Quand Kéops lui demanda de faire le même exploit avec un homme, Dedi refusa. Dawes semble penser que c’est une indication sur le fait que Dedi n’utilisait pas de gimmick ou d’ustensile particulier pour exécuter ses exploits…
Milbourne Christoper décrit aussi cette prestation dans Panorama of Magic. Il admet aisément que bien que ces histoires de magie semblent exagérées, elles peuvent avoir été basées sur des faits réels. Si l’histoire de la décapitation dans l’Egypte ancienne semble excessive, selon Christopher, la réalité doit quand même être proche de cette fiction. Par exemple, l’artiste du 19ème siècle, Bartolomeo Bosco incluait la décapitation d’un oiseau dans ses spectacles. Il est encore plus intéressant de noter que l’un des illusionnistes les plus populaires, David Copperfield, montra la décapitation et la restauration d’un canard et d’une oie, pendant plusieurs années dans ses tournées à travers le pays.
Si nous ne pouvons donc être sûrs que le dessin sur le mur de Beni Hassan montre un jeu de gobelet, alors de quand date ce tour ? Quelle illusion l’a précédé dans l’histoire, si jamais il y en eut une ? Certains argumentent pour la décapitation décrite plus haut.
Le Dr Dawes mentionne aussi les écritures d’Héron d’Alexandrie dans son livre, citant les miracles du temple, Héron les décrit comme les premiers tours de magie. Pour les anciens égyptiens et grecs, les portes d’un temple s’ouvraient mystérieusement et les idoles de pierre parlaient aux foules. Décrit par Héron d’Alexandrie en 62 avant JC approximativement, ces miracles apparents étaient possibles par une différence de pression de l’air. Ces effets pneumatiques étaient possibles par des feux qui brûlaient sur les autels du temple. Les temples ouvraient leurs portes lorsqu’un feu était allumé sur l’autel. Le mécanisme pour accomplir ce miracle a été décrit par Héron.
Ces tours de magie, habilement déguisés ne sont pas de la prestidigitation à proprement parlé (dans le sens où ils n’étaient pas destinés à divertir). Il s’agit de tromperies pour inspirer le respect et l’étonnement. Est-ce là les premiers tours de magies rapportés par l’histoire ? En supposant que l’histoire du papyrus de Westcar soit une histoire de prestidigitation, alors elle précède la magie d’Héron de plusieurs milliers d’années.
A partir de toutes les indications dont nous disposons, il semble presque certain que la fresque de Beni Hassan ne montre pas le tour des gobelets. Si les anciens artistes égyptiens faisaient toujours attention à dépeindre les scènes de manière directe, pourquoi ne l’ont-ils pas fait pour cette scène sensée représenter des gobelets et des balles ? Où sont les balles dans la fresque ? Bien qu’il semblerait que la scène montre un jeu d’une nature inconnue, cela n’élimine pas le jeu de gobelets de la course au titre du plus vieux tour de magie. Ayant été décrit dans presque tous les ouvrages de magie importants depuis 1584, les gobelets sont un classique dans les spectacles de magie depuis des siècles, si ce n’est des millénaires.
En considérant les indications actuelles, il est impossible d’affirmer formellement que le tour des gobelets soit le plus vieux tour rapporté (d’une manière ou d’une autre). Les indications, basées sur la recherche actuelle, semblent différées avec l’avis, largement répandu, de Milbourne Christopher.
La question reste ouverte. Est que l’on donne le titre de premier tour rapporté à la prouesse de Dedi, ou laisse-t-on cet honneur au temple magique d’Héron d’Alexandrie ? Le débat n’est pas véritablement clos. Le tour de magie le plus ancien restera un mystère perdu dans le brouillard du temps comme d’autres vieux mystères.
LETTRES GRECQUES DU RHÉTEUR ALCIPHRON (IIe – IIIe siècle)
Lettres de pêcheurs, de paysans, de parasites et d’hétaires. Traduites en français par Stéphane de Rouville (livres II et III). Texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER. Document fournie par Didier Morax.
XX — Napée à Créniade.
Tu te rappelles le jour où mon âne était tant chargé de figues ? Eh bien ? je l’ai mis à l’écurie, après avoir vendu ma marchandise, et je me suis laissé conduire au théâtre par un ami, qui m’a donné la meilleure place. Que de variété dans ces spectacles ! Je ne saurais vraiment dire ce qu’on y voit. D’ailleurs, l’intelligence me manque pour comprendre et raconter de pareilles choses. Il en est une cependant qui m’a rendu presque muet d’étonnement :
un Individu s’est avancé vers l’assemblée avec une table en forme de trépied. Il y posa trois coupes renversées, sous lesquelles il cacha de petits cailloux blancs et arrondis, comme il en existe au bord des torrents. Tantôt il les faisait passer d’une coupe à l’autre, tantôt il les montrait tous sous une seule ; puis, ils disparaissaient d’eux-mêmes, j’ignore comment, pour se retrouver dans sa bouche. Les ayant ensuite avalés, il appela sur la scène quelques spectateurs, et il leur tira du nez, de l’oreille, de la tête, ses fameux cailloux qu’il finit par escamoter complètement. Voilà un adroit fripon, beaucoup plus fort que cet Eurybate d’Œchalie dont nous avons entendu parler. Je ne souhaite pas sa présence au milieu de nos champs ; comme personne ne pourrait le prendre, il dévaliserait la maison sans qu’on s’en aperçût. Que deviendrait alors le fruit de mes travaux ?
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