D’après Le Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht et Paul Dessau. Traduction : Georges Proser. Adaptation, mise en scène et jeu : Sara Moisan et Christian Ouillet.
Le théâtre d’objets québécois prend ses quartiers parisiens au Mouffetard avec trois spectacles de la Tortue noire1, une compagnie, créée en 2005 et installée à Chicoutimi. Avec une version condensée de la pièce de Bertolt Brecht, elle-même inspirée du Cercle de craie de Li Qianfu, un dramaturge chinois du XIV ème siècle. Sara Moisan et Christian Ouillet, en supprimant le prologue et l’épilogue dans le kolkhoze, ne traitent pas, comme dans son modèle, de l’édification du socialisme mais s’appuient sur la seule trame épique de l’auteur allemand.
Le gouverneur Georgi Abachvilli est assassiné par des révolutionnaires et son épouse s’enfuit en abandonnant leur fils, Michel. Une servante du palais, Groucha Vachnadzé recueille le bébé. Poursuivie par les soldats, elle s’enfuit à travers les montagnes du Caucase où elle affronte tous les dangers et vit de nombreuses aventures… Après la révolution avortée, les soldats lui arrachent l’enfant pour le rendre à sa mère naturelle. Mais Groucha a élevé Michel et le considère comme son propre fils. À qui l’enfant doit-il revenir ? Un tribunal soumet les deux femmes à l’épreuve du cercle de craie : celle qui tirera vers elle Michel, placé au centre, gagnera. Mais il jugera que la véritable mère est celle qui refuse de tirer l’enfant et donc de le blesser. Tout est bien qui finit bien pour les justes : Groucha gardera son fils et retrouvera son fiancé, Simon, revenu de la guerre.
Les comédiens à la fois narrateurs et marionnettistes, nous racontent cette histoire en manipulant de nombreux objets parmi des caisses en bois et de vieilles malles, qu’ils déplacent selon les besoins du récit. Ils font appel à de nombreux objets : jouets, figurines, accessoires du quotidien, gravures anciennes, chromos… Autant de supports pour raconter cette épopée. Leur inventivité est sans bornes : des jumelles de théâtre figurent la femme du gouverneur ; des chiffons et une tête de poupée deviennent un nourrisson ; des bottes de caoutchouc ou des brodequins personnifient la virilité menaçante ; une maisonnette éclairée d’une bougie domine une riante vallée, évoquée par la photo d’un guide touristique. L’imagerie pieuse est détournée : une vignette d’une Vierge à l’enfant franchit les glaciers, défie les précipices : c’est Groucha avec des soldats de plomb à ses trousses. Masques, jeu de tissus, théâtre d’ombres… tout ici est bon pour camper les personnages et créer des paysages. On passe d’une dimension à l’autre, sans transition.
Coté ambiance, quelques grains de poussière simulent les tumultes de la révolution ; des flocons de papiers et tombe la neige tandis que le vent souffle par la bouche de l’acteur… Le bruitage accompagne les aventures de Groucha : du simple martèlement de doigts à des musiques jouées en direct sur des instruments-jouets. Sans compter les « songs » empruntés à Bertolt Brecht ou au folklore. L’heure passe vite : nous sommes suspendus à cet ingénieux bricolage des artistes mais on aurait aimé qu’ils laissent davantage parler les objets car le récit prend parfois le pas sur la belle imagerie qu’ils ont su créer…
Note de la rédaction :
1 Dany Lefrançois et Sara Moisan vivent et travaillent au Québec, à Saguenay, ville fameuse pour son Festival international des arts de la marionnette (FIAMS). Après s’être rencontrés pour Kiwi (2007), ils codirigent la compagnie, inventant sans cesse de nouveaux rapports entre l’acteur et l’objet animé. Ils ont signé neuf spectacles, pour adultes et adolescents, dont deux avec la compagnie mexicaine La Luna Morena. La Biennale internationale des arts de la marionnette les a accueillis en 2017 avec Le Petit Cercle de craie et Kiwi.
A lire :
– ORGRE.
Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Patrick Simard, Cie La Tortue Noire. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.